Abdelhamid Benzerari, Directeur d��cole � la retraite �L��cole finit � la porte qui donne sur la rue. La famille s�arr�te � la porte de la maison. La rue est, dans l��ducation, le troisi�me facteur puissant, et nous ne savons rien de la rue.� (Angelo Patri) Cette remarque du directeur d��cole et p�dagogue Patri, disciple de Dewey, est l�expression d�une observation. Elle �quivaut � l�affirmation de l�existence de trois facteurs dans l��ducation : l��cole, la famille, la rue. L��cole et la famille �La famille sera toujours la base des soci�t�s et le noyau de la civilisation.� (Honor� de Balzac) L��cole n�est que le second milieu du jeune enfant ; elle prend le relais ou plut�t compl�te l��ducation sociale et culturelle re�ue dans la famille. En effet, dans la cellule familiale, on transmet des ensembles d�id�es, des mani�res de penser, de sentir et d��tre, des attitudes que l�on peut appeler le contenu culturel de la famille. Mais la famille est bien plus qu�un v�hicule de culture. Elle s�lectionne, interpr�te et �value ce qu�elle transmet. Pour chaque chose, pour chaque action, elle propose � ses enfants une �chelle de valeurs, un syst�me de normes dont ils seront profond�ment et parfois inconsciemment impr�gn�s. La famille, c�est un creuset o� se forge la personnalit�. Sur le plan strictement scolaire, on s�aper�oit que la bonne ou la mauvaise disposition de l�enfant � l��gard de l��cole ou de la mati�re scolaire est fonction du climat familial. L�enfant est bien model� culturellement et effectivement par sa famille. Malgr� la forte influence �ducative qu�elle exerce sur lui, l��cole n�est pas prioritaire ; c�est la famille qui reste, en d�pit de tout, le point de d�part et le g�n�rateur essentiel en mati�re d��ducation durant la premi�re enfance et une partie de la seconde. L�enfant y apprend � parler, y contracte de bonnes et de mauvaises habitudes, joue, imite. Tous les membres de la famille apportent leur contribution, souvent contradictoire, � cette �ducation. L�enfant se trouve ainsi soumis, pendant plusieurs ann�es, � une action toute empirique dont la valeur est fonction du milieu : rural, urbain, ais�, besogneux. En effet, le niveau culturel de la famille conditionne l�adaptation � l��cole. Du fait que notre petit homme y vit ses premi�res ann�es, que son �quilibre affectif s�y pr�pare, que ses premi�res exp�riences culturelles et sociales s�y effectuent, l�influence de la famille est d�cisive et d�terminante. Et ce n�est pas exclusivement le climat des premi�res ann�es qui conditionne l�acc�s � la scolarisation. A chacune de ses �tapes, celle-ci peut �tre am�lior�e ou compromise si le climat se modifie. On peut en conclure que le milieu familial et le milieu scolaire sont loin de s�opposer et de varier en sens inverse. Ces deux influences varient dans le m�me sens et l�une ne peut grandir au d�triment de l�autre. L��cole et l�enfant �Celui qui ouvre une porte de l��cole, ferme une prison.� (Victor Hugo) Aux alentours de six ans, s�ouvre une grande p�riode dans l�existence de l�enfant : l�entr�e � la grande �cole qui va le doter d�un second milieu et lui donner d�j� un statut social : il n�est plus seulement un enfant, il est �colier. Et � compter du jour o� l�enfant entre en classe, la famille se consid�re d�charg�e de cette responsabilit� au profit de l��cole. Celle-ci a alors la conviction que son action, toute rationnelle, est la seule efficace : c�est pourquoi elle s�efforce de ne rien n�gliger et vise � la fois l��ducation physique, l��ducation intellectuelle et l��ducation morale, ce qui n�emp�che pas la famille de continuer, par le fait seul qu�elle existe, son action empirique. L�enfant, � l��cole, fait donc connaissance du travail, source pour lui de joie et de fiert�, confirmation de sa valeur et de son pouvoir par l��uvre objective qui en r�sulte. Notre petit �tre entre en soci�t� avec ses pairs, il fait partie d�un groupe o� il sera l��gal de ses partenaires en �ge, en possibilit�s physiques et mentales. Notre �colier recherche encore l�affection de l�adulte ext�rieur au cadre familial, travaille aussi �pour son ma�tre ou sa ma�tresse�. Cet aspect affectif de la besogne est tr�s important. Il se d�pense pour faire plaisir � son instituteur, pour �tre distingu� par lui ou parce qu�il est passionnant et sait rendre vivant un enseignement ardu. Le travail est contraire � la mentalit� du petit homme. Il lui impose d�abord une double discipline : la discipline de l�ordre et celle de l�effort, et cela pour des heures enti�res qui se r�p�tent chaque jour pendant des mois. C�est pour lui un apprentissage difficile, une contrainte v�ritable qui se paye par bien des explosions � la sortie de la classe, exub�rance, bagarres, pleurs� L��cole est un milieu o� le petit bonhomme doit se tailler lui-m�me sa place au soleil, sans b�n�ficier de pr�jug� favorable de l�amour parental. Mais il doit tenir compte de l�autorit� nouvelle du ma�tre ou de la ma�tresse ; il sait aussi que le travail scolaire avec tout ce que cela comporte d�efforts, de lassitude et de joies peut seul lui permettre d�acc�der � l��tat d�adulte. Il a envie de devenir �un grand�, de r�aliser son vieux r�ve d��tre aussi fort et aussi savant que l�adulte. Ce d�sir reste un excellent stimulant pendant toute sa scolarit� d�enfant, puis d�adolescent. La d�couverte de ses possibilit�s intellectuelles et d�une vie sociale riche en exp�riences, alli�e � son d�sir d��tre grand, lui fait oublier ses d�sespoirs, ses difficult�s et ses rancunes vis-�-vis du milieu scolaire. L�enfant et la rue �L��ducation d�un peuple se juge avant tout dans la rue.� (Emonda de Amicis) Dans ce monde o� certains affirment que l��cole est dans la rue, o� l�enfant comme ses a�n�s est assailli par mille bruits et par mille images, notre �l�ve n�a plus rien de commun avec l��cole type que l�on persiste � consid�rer. Or, ni l�action de l��cole ni celle de la famille ne sont exclusives. En p�dagogie comme l�a dit Dugas, �il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, et ce qui ne se voit pas est g�n�ralement bien plus important que ce qui se voit. Ce qui se voit, c�est l�action de l��cole et de la famille ; ce qui ne se voit pas, c�est le r�seau d�influences qui enveloppe l�enfant de toutes parts, les exemples qu�il a sous les yeux, les sentiments qu�il devine, les m�urs dont il s�impr�gne, les habitudes qu�il contracte, les paroles qu�il entend�. Nous sommes plong�s dans un flux de tohu-bohu et de paroles. C�est un fond sonore d�o� �mergent paroles, propos, discours �cout�s, re�us (plut�t qu�accueillis) d�une oreille distraite, mais qui cependant forment et d�forment le go�t. En pr�sence de la masse �norme d�informations au sens g�n�ral et au sens cybern�tique du terme qu�il re�oit chaque jour, il se forme de mani�re diff�rente. Dans nos villes et villages, les enfants, surtout ceux des travailleurs, sont livr�s � eux-m�mes et, au sortir de l��cole, c�est la rue qui les prend, avec la circulation intense des voitures et des bus, ses affiches de publicit�, ses trottoirs squatt�s par les marchands ambulants, la foule dense des passants, ses incidents, sa vie qui n�est pas toujours �difiante : manifestations, r�pressions, violences physiques et verbales, agressions, blasph�mes, vols� Des milliers de mineurs sont victimes de s�vices en tous genres et une centaine de kidnappings d�enfants sont � d�plorer chaque ann�e ( Quotidien d�Orandu 28.7.2011). Aujourd�hui, les parents, les enseignants, les �coliers appr�hendent tout �a. Tous ces abus sont dangereux et nocifs. A la sortie des classes, certains �l�ves, par n�cessit�, vont se m�ler aux marchands dans les march�s pour vendre du persil, des �ufs, de la galette, des sachets, des l�gumes� ; d�autres s�cheront les cours pour aller, �� et l�, glaner quelques ressources. Une �cole parall�le Il y a ainsi v�ritablement une �cole parall�le dont l�importance et l�influence ne cessent de cro�tre, et que la plus grande erreur p�dagogique serait d�ignorer ou de rejeter. Le r�le de l��cole est de donner aux �l�ves un cadre de connaissances et une capacit� de jugement qui leur permettent de situer, d�interpr�ter et de mettre en ordre les informations disparates, qui les assaillent de toutes parts. Pourtant, informer n�est pas former et le but de l��cole demeure de former l�enfant. L��l�ve se d�finit, se justifie, puis se r�alise. Cette p�dagogie du discernement ou tout simplement du choix, d�s la maternelle, s�applique d�abord � l��colier. Les activit�s d��veil y trouvent tout naturellement leur place, puis � travers lui et au-del� de lui � l�adulte. �Agress�, conditionn�, trop souvent dup� et finalement d�sabus� et d�sorient�, ce qui le conduit � s�isoler psychologiquement et intellectuellement, faute de �saisir� un univers (m�me quotidien) qui n�est ni � sa mesure ni � sa port�e. Une des t�ches prioritaires de l�enseignant se trouve d�embl�e d�finie : elle consiste � donner � l�enfant ce qui lui permettra de �saisir son univers�, pr�sent comme futur et cela gr�ce aux proc�d�s et aux m�thodes de cette p�dagogie, gage d�une adaptation permanente qui le conduira � l�essentiel, en passant par l�observation, la d�couverte et la r�flexion, d�abord en �liminant l�exag�r� ou le superflu, puis en allant directement � l�indispensable, en le cernant, en l�analysant presque d�instinct, il en tire alors un �panouissement progressif et �quilibr� de son sens critique et plus g�n�ralement de sa personnalit�.� Les mati�res d��veil ne devront pas faire l�objet d�un enseignement purement magistral ni d�une m�morisation syst�matique et impos�e ; elles seront une source d�int�r�t, une r�serve de th�mes dans laquelle on puisera pour motiver les activit�s dirig�es, des enqu�tes, des recherches individuelles ou collectives. L�enfant apprendra en m�me temps � regarder, � soutenir son attention, � se former par lui-m�me une repr�sentation mentale ordonn�e des faits et des choses. Comment assurer la pr�pond�rance � l��cole ? Pour assurer la pr�pond�rance � l��cole, il faut : - faire rendre son maximum � l�action �ducative de l��cole en donnant aux enfants l�habitude de la pens�e libre et le go�t du travail ; - amener la famille � apporter son appui � l��cole et �uvrer dans le m�me sens (f�tes scolaires, r�unions, associations de parents) ; - soustraire les enfants � la rue en les confiant apr�s la classe � des �uvres p�riscolaires (activit�s sportives, artistiques), maisons de jeunes, scouts� L�enfant, si l�on n� y prend pas garde, risque de se trouver �cartel� dans les remous de la soci�t� adulte. En effet, consid�rons que l��agressivit� et le conditionnement de l�univers �adulte� atteignent nos �l�ves (et les ont d�j� atteints) par impr�gnation inconsciente. �C�est par une v�ritable endosmose qu�agissent ces influences muettes !� Il est n�cessaire de les �armer� tr�s t�t aussi bien en leur donnant les moyens de s�exprimer et de communiquer qu�en r�v�lant, en exer�ant et en affirmant progressivement l�acuit� des sens dont la nature les a pourvus pour d�couvrir, observer, toucher, puis conna�tre, �valuer et comprendre les �tres et les choses qui les entourent et constituent les innombrables �l�ments divers et complexes du monde o� se d�roulera leur vie d�hommes. Toute l�astuce p�dagogique, tout l�art des �ducateurs, toute cette conception nouvelle de l��ducation tiennent dans le contact permanent avec la r�alit�, la responsabilit� des choses et des connaissances : apprendre � faire des synth�ses, distinguer ce qui est superficiel, apprendre aux adolescents � ne pas retenir seulement les impressions fugitives, mais � r�fl�chir, � approfondir Il revient donc � l��cole de jouer � la fois un r�le de protection et de pr�paration � la vie. Mais il appartient � chacun, Etat, parents, �ducateurs d�en tirer les conclusions pour son propre compte. Car toute �ducation est le reflet d�une soci�t�. Ainsi, si l�on s�int�resse � nos enfants de cette mani�re, s�ils se reconnaissent dans l�enseignement qu�on leur apporte, s�ils sentent qu�on les pr�pare � la vie, et non pas qu�on prolonge une scolarit�, que non seulement �ils marcheront� mais qu�ils apporteront eux-m�mes de quoi r�nover r�ellement par le fond, l��ducation, le syst�me de l�enseignement et r�ussiront � y faire entrer les choses de la vie. Car l��utopie� n�est pas moins n�cessaire que le r�alisme politique. Sans elle, sans cette imagination qui r�clame le pouvoir, l�humanit� n�aurait gu�re fait que pi�tiner ou reculer.