Entretien r�alis� par Hani Mostaghanemi Jamais officier alg�rien � la retraite n�a autant parl� que Khaled Nezzar. Il a si souvent pay� de sa personne et pris tant de risques, qu�il ne compte plus les bleus qui marquent son �piderme. C�est un personnage qui passionne et d�range en m�me temps, qu�on aime ou qu�on d�teste sans nuance et qu�on insulte parfois. Au-del� des r�actions tranch�es que d�clenche le simple �nonc� de son nom, il reste pour toute une g�n�ration, un grand d�cideur qui a eu le courage de passer � l�acte quand il le fallait. Un d�cideur qui a �t� immense par les services qu�il a rendus � l�institution militaire et � la patrie. Son d�sint�r�t pour le pouvoir donne � ses paroles un incontestable accent de sinc�rit�. Parvenu � ces sommets o� g�n�ralement �les sauveurs du peuple� s�incrustent et s�vissent, il a �t� cons�quent avec ses engagements en se retirant de la politique. Il est vrai que la proclamation du 14 Janvier 1992 instituant un Haut Comit� d�Etat l�y obligeait par son article 4, �cette mission ne saurait exc�der la fin du mandat pr�sidentiel issu des �lections de d�cembre 1988�. Mais combien de g�n�raux, de par notre pauvre monde, ont quitt� volontairement le pouvoir, une fois qu�ils l�ont conquis ? M�me � la retraite, Nezzar demeure d�cideur de ses actes et de ses paroles, cassant les tabous les mieux assis de l�institution et fournissant des clefs d�acc�s � ses codes crypt�s. Dans un environnement impitoyable qui interpr�te chaque variation de ton comme une volte-face et chaque propos nuanc� comme un reniement passible d�anath�mes, il assume ses amiti�s, ses professions de foi et ses �corrections de tirs� avec des accents simples et des toniques qui portent au loin. Pol�mique, prolixe, se battant au corps � corps, au moment o� certains pensent que ses querelles sont indignes de sa stature et dommageables pour son image de marque (affaire Soua�dia), il r�v�le soudain derri�re ces leurres, ces marionnettes, des tireurs de ficelles qui expliquent et justifient sa col�re. C�est cela Nezzar, un hussard au grand c�ur venu � la politique par d�faut quand, au moment de la grande �preuve, ceux qui s�en pr�valaient �l�gitimement � avaient, tous, d�clar� forfait. Le Soir d�Alg�rie : G�n�ral Nezzar, ouvrons cette interview par une question indiscr�te : comment allez-vous ? G�n�ral Nezzar : Aussi bien que peut l��tre un homme d�cid� � se battre. G�n�ral Nezzar, ce n�est pas la premi�re fois que vous vous trouvez au c�ur d�une pol�mique, est-ce votre stature tot�mique qui attire sur vous la foudre ? Dites plut�t �au c�ur d�une conspiration�. Il est vrai que j�ai une certaine visibilit�. Cela, dans certains pays, se paye par la hargne des ennemis d�s que ces derniers subodorent qu�ils peuvent y aller sans craindre le retour du b�ton. Certaines hargnes ont la vie longue. Ces hargnes ne sont-elles pas nourries par un discours-perfusion ? Rien n�est plus gratifiant pour ceux auxquels l�ANP a, jadis, barr� la route que de voir un de ses anciens chefs sur la sellette. Quelque part, c�est une tentative d�obtenir par ricochet la condamnation par la justice des nations qui comptent de l�action salvatrice de janvier I992. Quel regard portez-vous sur les ONG en g�n�ral et sur TRIAL en particulier ? Je n�ai aucun commentaire � faire sur TRIAL. Pour ce qui est des ONG, celles qui se sont proclam�es gardiennes des droits de l�homme, elles sont per�ues par nos opinions publiques comme la bonne conscience s�lective de l�Occident. Mais nul ne doit se d�soler de voir ces gens se battre pour la d�confiture des m�chants et la gloire du droit, d�sormais impos� comme valeur universelle. Tant mieux, si les l�gislations des pays, o� ces ONG ont �rig� leur m�t et hiss� leurs couleurs, leur pr�tent mainforte. Et tant mieux pour tout le monde si ce n�est plus la canonni�re qui mouille � port�e de boulets des c�tes barbaresques mais les anath�mes des champions du droit d�ing�rence �quatre roues motrices�. Globalement, selon vous, leur action est donc positive ? Bien �videmment ! Notre monde, le n�tre surtout, autour duquel, depuis l�immol� de Sidi Bouaziz, gravite la plan�te, a tragiquement besoin de solidarit� et de justice. Pour les gens emprisonn�s, tortur�s, bombard�s, assassin�s pour leurs id�es, c�est d�j� �a de pris. Si la menace de devoir rendre des comptes peut faire reculer un dictateur, on ne peut que s�en r�jouir. Le canevas pour les pr�sidences � vie bas�es sur un homme �providentiel�, s�appuyant sur un clan surarm� et d�cid� � briser toute contestation par la violence a-t-il r�ellement fait son temps ? Gr�ce soit rendue � l�Europe des peuples, dont certaines ONG sont l��manation. Cette Europe des peuples qui a permis, �� et l�, � l��tincelle de ne pas s��teindre. Peut importe si cette justice supranationale n�agit qu�a posteriori, une fois que l�ancien fond� des int�r�ts des banquiers �trangers, gravement contest� dans son pays, a f�rocement s�vi. Vous ne r�pondez pas � la question. Peu importe ! Changeons de sujet, vous employez le mot �banquier�, est-ce une allusion � la patrie de Jean Zigler ? La Suisse est un grand pays ami qui, dans les moments difficiles, a �t� aux c�t�s de l�Alg�rie combattante. Chacun se rappelle ce que les autorit�s f�d�rales suisses ont consenti comme efforts pour faciliter les conditions dans lesquelles se sont d�roul�es les n�gociations alg�ro-fran�aises qui ont abouti au cessez-le-feu du 19 mars 1962 et avec quelle constance et quelle habilet� les diplomates suisses ont �uvr� pour rapprocher les extr�mes. Je me souviens d�un article de Pierre Henri Simon, paru dans Le Monde du 15 mars 1962, qui soulignait l�importance et la qualit� des prestations des autorit�s f�d�rales suisse, lesquelles : �Dans un monde agit� et furieux d�montrent une vocation d�ordre et de service�. Un monde agit� et furieux ? Un rappel de la sc�ne politique alg�rienne pendant la d�cennie 1990 ? Nos partenaires �trangers doivent, parce que nos relations sont anciennes et exemplaires, avoir une approche de nos probl�mes document�e et sereine. En un mot, prudente ? En un mot comme en dix ! Vous ne vous sentez pas concern� par les accusations dont vous �tes l�objet ? Ma r�ponse est on ne peut plus claire. Je suis pour le droit, pour la libert� d�expression, pour la d�mocratie. Je l�ai prouv� en facilitant, avec mes compagnons du HCE, les sensibilit�s politiques plurielles, et nous avons fait en sorte que celles qui n�utilisent pas la violence aient droit de cit�. J�ai quitt� le pouvoir volontairement. Pourquoi aurais-je tortur� ou fait torturer ? Dans quel but ? Faut-il douter de la bonne foi de vos accusateurs ? Rien n�est plus gratifiant pour les r�sidus du FIS que de voir sur la sellette l�homme qui a contrari� leurs ambitions. Ils m�incriminent en tant qu�ancien chef de l�arm�e, me faisant porter la responsabilit� de faits auxquels je suis compl�tement �tranger et contre lesquels la justice de mon pays a s�vi � chaque fois qu�elle en a eu connaissance. C�est donc l�arm�e qui est vis�e � travers vous et vous ne seriez que le pr�texte pour d�autres pr�tentions ? Mais ils le disent on ne peut plus clairement : on ne peut pas citer � compara�tre toute l�arm�e. On incrimine donc celui qui la commandait. Le timing de ces attaques, le contexte r�gional dans lequel elles sont men�es, les commanditaires que l�on devine derri�re elles, m�autorisent � croire qu�il y a des arri�re-pens�es bien �loign�es du dossier visible des plaignants. En ce qui me concerne, je suis bien d�cid� � crever l�abc�s une bonne fois pour toutes. Il y va de mon honneur et de celui de l�institution � laquelle j�ai consacr� toute ma vie. Nezzar, d�fenseur, quoi qu�il lui en co�te, de l�ANP ? Permettez-moi de rappeler � quoi l�ANP a d� faire face par deux citations de l�id�ologue du parti que la justice alg�rienne a dissous, Ali Benhadj : �La d�mocratie est m�cr�ance� ( Le Maghrebn� 173 du 23/10/1989) et �si le peuple vote contre la loi de Dieu (la Charia), cela n�est rien d�autre qu�un blasph�me. Dans ce cas, il faut tuer ces m�cr�ants�� ( Horizons du 23- 02-1989). On peut en citer d�autres toutes autant �difiantes sur ce que r�servaient ces braves gens aux Alg�riens. R�cemment, Mme Merkel, le pr�sident Sarkozy ainsi qu�Hillary Clinton se sont indign�s des menaces de l�ancien guide libyen adress�es � sa population. La d�cision du Conseil de s�curit� qui a autoris� l�intervention militaire contre Kadhafi a �t� prise pour emp�cher le massacre des civils. Je revendique pour l�arm�e de mon pays le droit d�intervenir pour prot�ger son peuple. Je souligne que je ne fais aucune comparaison malvenue entre l�ANP et les forces de l�OTAN. L�arm�e alg�rienne, h�riti�re de l�ALN, est intervenue contre la violence dans le cadre de la loi sans recourir aux m�thodes qui ont d�shonor� tant d�autres arm�es dans nos r�gions. L�ANP, tout en menant ses op�rations salvatrices de maintien de l�ordre, a confort� le multipartisme sans exclure aucune ob�dience, elle a respect� la libert� de la presse, elle a tout fait pour que le dialogue entre les Alg�riens soit le moyen de r�gler les diff�rends, elle a surtout initi� une politique de la main tendue et du pardon en direction de ceux qui ont pris les armes contre leur propre pays. Si nous avons bien compris, vous revendiquez pour l�arm�e un droit d�ing�rence dans la sph�re politique ? Pourquoi est-ce que vous d�tournez ce que je dis. L�ANP, et cela je le revendique et je l�assume, a emp�ch� la kaboulisation de l�Alg�rie. Que des m�moires � �ill�res le per�oivent diff�remment maintenant que le danger est pass� est dans la nature des choses. On peut s�en indigner, mais il faut faire avec. Vous avez �crit de nombreux livres, parmi tous ces ouvrages, il y en a un en particulier que j�ai lu avec int�r�t. Il relate avec beaucoup de d�tails les tenants et les aboutissants de l�op�ration de janvier 1992. Vous voulez sans doute parler de l��arr�t du processus �lectoral� ? Je suis en train de le mettre en ligne. J�aurais d� le faire avant, ainsi, les Suisses qui sont, comme chacun sait, m�ticuleux et pr�cis, auraient eu, avant mon interpellation, une approche totalement diff�rente de la personnalit� et de l�action des chefs de l�ANP et surtout de l�action qui pr�valait en Alg�rie � la veille et au lendemain de la d�mission du pr�sident Chadli Bendjedid. Est-ce que vous ne seriez pas en train de d�placer l�objet de la plainte dont la justice suisse est saisie en rappelant le pourquoi et le comment des �v�nements o� le FIS et l�ANP ont eu les premiers r�les ? Non, tout est inextricablement li�. Ce sont les m�mes commanditaires, les m�mes alli�s, les m�mes chapelles politiques, les m�mes int�r�ts li�s par la m�me finalit�. Dans quelques jours, vous verrez d�autres marionnettes accourir rameut�es par les m�mes officines et les m�mes laiss�s-pour-compte de l�Histoire pour b�n�ficier de la publicit� qu�offre un pr�toire. Vous contestez � la justice suisse le droit de se poser des questions sur les atteintes aux droits de l�homme en Alg�rie dont vous �tes accus� ? La meilleure fa�on de lui contester ce droit est de ne pas r�pondre � ses questions, or j�ai dit, et je le r�p�te ici, je suis et je resterai � sa disposition. Le procureur de la R�publique pr�s le tribunal de Sidi M�hamed vient d�ouvrir une information judiciaire suite � la plainte de M. Belmouhoub pour enl�vement et s�questration� Laissez-moi poursuivre � votre place. Vous voulez savoir si je suis pour quelque chose dans cette affaire ? Pas exactement, mon g�n�ral. Je voulais dire � parce que l�opinion publique l�a ainsi interpr�t� � qui a int�r�t � accabler encore Nezzar au moment m�me o� ce dernier se trouve dans une situation d�licate ? Personne de vraiment sens� n�a cru � votre implication personnelle, ou � celle de vos proches, dans cet �trange enl�vement. J�ai lu dans la presse, et vous le confirmez vous-m�me, que le procureur de la R�publique est saisi de cette affaire. Il ira jusqu�au bout. Cela je peux vous l�assurer. Il faut croire que vous n�avez pas que des amis en Alg�rie. Vous avez dans cette affaire �suisse� nomm� A�t Ahmed. Maintenez-vous vos propos ? J�avais du respect pour le parcours historique de M. A�t Ahmed. J�ai exprim�, il y a quelques ann�es, ma surprise lorsqu�il a cru de bon go�t de comparer le d�linquant Soua�dia aux h�ros de l�OS. Ses positions politiques sont un peu difficiles � suivre pour ceux qui sont habitu�s � une certaine constance dans les id�es. En feuilletant r�cemment de vieilles archives, je suis tomb� incidemment sur un article de La Nationdu 4 juillet I992, sign� par M. A. Boumendil qui dit en substance, � propos du dialogue initi� par les autorit�s de l��poque, que M. A�t Ahmed �aurait rendu hommage au r�alisme de l�ANP qui s�est exprim� par la recherche d�une solution au probl�me de la violence� l�initiative du g�n�ral-major Khaled Nezzar est pour le moins louable. Car ce genre de rencontres peut mener � une sortie pacifique de l�impasse et faire �chec � toutes les tentatives de plonger l�Alg�rie dans le chaos�. Je n�ai pas souvenance d�un quelconque d�menti de la part de M. A�t Ahmed. Je n�ai jamais compris son animosit� � l��gard de l�ANP, mais c�est son probl�me. L�Etat vous soutient-il dans vos difficult�s actuelles ? Ma r�ponse sera br�ve. L�Etat alg�rien est logique avec lui-m�me. Il s�est assum� clairement dans cette affaire. L�actuelle l�gislature fait suite � celles qui l�ont pr�c�d�e. Il y a une coh�rence et une continuit� dans l�action. Pourquoi l�Etat alg�rien abandonnerait-il un ancien responsable qui a �uvr� pour la p�rennit� de l�Etat et qui a m�me, peut-�tre, d�une certaine fa�on, � un moment, incarn� l�Etat ? Avez-vous le sentiment que le pr�sident de la R�publique a fait montre de solidarit� avec vous ? Pleinement !