Par Tarik Mira [email protected] (D�put� de B�ja�a) �Le Mexique, c�est une dictature presque parfaite parce qu�invisible�, d�clarait Mario Vargas Llosa, futur prix Nobel de litt�rature, au moment o� ce pays �tait encore sous la f�rule du PRI (Parti r�volutionnaire institutionnel), parti qui a pr�sid� aux destin�es de l�Etat mexicain durant 72 ans d�affil�e. Cela lui avait valu une expulsion retentissante alors qu�il devait participer � un colloque sur la d�mocratie. Le pouvoir alg�rien a pu se targuer de cette �perfection mexicaine� durant un demi-si�cle. Cependant, les bouleversements qui secouent le sous-continent maghr�bin font �merger des revendications et des pratiques qui �ringardisent� cette exception. Durera-t-elle ? Premier paradoxe A quelque variante que l�on consid�re le Grand Maghreb, avec la Libye et la Mauritanie, ou sans ces deux pays, l�Alg�rie repr�sente une exception dont le paradoxe est saisissant : c�est la contr�e o� se d�roule le plus grand nombre de gr�ves, de revendications socioprofessionnelles et d��meutes par mois (un pic de 700 a �t� atteint en un mois lors de l�ann�e 2011), mais en m�me temps, le pouvoir n�a pas �t� �branl� sur ses fondements. Les tentatives de mobilisation des mois de f�vrier et de mars derniers pour la chute du r�gime sur le mod�le tunisien n�ont pu atteindre leur but. Loin de l�. L��chec de ces premiers essais rend optimiste la classe dirigeante qui tente d�accr�diter la th�se que l�Alg�rie a d�j� accompli cette exp�rience dans la douleur et que nos voisins sont dans le rattrapage par rapport � notre pays. D�o� l�enhardissement du pouvoir � lancer une offre politique qui lui fait reprendre l�initiative par le lancement de �r�formes�. L�initiative en elle-m�me est un aveu du retard accumul� sur le terrain d�mocratique. C�est donc contraint et forc� qu�il tente un nouveau processus de l�gitimation contr�l� en amont et en aval. Des projets de lois ordinaires (associations, partis, code �lectoral) et des lois organiques (quota des femmes, information) ont �t� vot�s en l�espace de moins de deux mois par l�APN. Appr�ciation sommaire des r�formes En dehors de la loi sur le quota des femmes, qui porte la marque de la n�cessaire discrimination positive, tous les autres textes sont en de�� de ce qui a �t� octroy� lors de la r�vision constitutionnelle de f�vrier 1989 qui, au final, avait lib�r� d��normes espaces pour la transition d�mocratique. Une premi�re remarque g�n�rale, la loi sur le quota des femmes (1/3, soit 33% �ligibles), malgr� ses manquements, peut �tre consid�r�e comme une avanc�e dans le sens du progr�s. Cependant, elle constitue, avec la promesse d�ouverture de l�audiovisuel, un �cran de fum�e destin�e � abuser l�opinion sur le reste des textes. Ces derniers portent le sceau de la centralisation de la d�cision et du contr�le tatillon de l�Etat sur l�ensemble de l�expression publique qu�elle soit politique ou civique. Le pouvoir craint l�autonomie de la soci�t� civile dans ses multiples manifestations et subit le syndrome libyen qui le fait se recroqueviller sur lui-m�me. Les r�f�rences abusivement r�p�t�es, sur pratiquement l�ensemble des textes, aux constantes nationales, � la souverainet� du pays, � la d�fense des int�r�ts diplomatiques et �conomiques de l�Etat sont autant d��l�ments de vagues g�n�ralit�s qui indiquent la peur panique du pouvoir face � la volont� d��mancipation des citoyens et de la soci�t� civile. Ces r�currences illustrent aussi l�angoisse du pouvoir devant les �volutions rapides � nos fronti�res. Au lieu de tirer des le�ons positives et d�anticiper par une plus grande ouverture, il a choisi la fermeture et l�enfermement, r�flexe naturel qui a men� tant de ses semblables � une chute irr�m�diable. Le r�gime craint par-dessus tout un soul�vement incontr�lable et le sc�nario catastrophe. Les prises de position contradictoires sur la crise libyenne sont symptomatiques de cet entredeux inconfortable et illustrent de fa�on �difiante ce constat. Sur un autre volet, il s�essaye � l�achat de la paix sociale gr�ce � la rente p�troli�re, et ce, sans contrepartie �conomique. Tout semble indiquer que le pouvoir manque de volont� et d�imagination et ne veuille pas aller vers la n�cessaire transformation. Multiples fractures Le d�ficit d�mocratique qui caract�rise la pratique politique en Alg�rie met en exergue l�absence de l�gitimit� du pouvoir en place. Le personnel qui fait fonctionner le syst�me, qu�il soit civil ou militaire, est embourb� dans la gestion de la sauvegarde du r�gime. Les choses pressent car l�on sent de plus en plus fortement en Alg�rie l�affaissement de l�Etat et l�apparition de forces centrifuges. Cela est fortement r�dhibitoire pour la construction pacifique de la d�mocratie et de la sauvegarde de l�Etat. Telles que les choses sont amorc�es � l�instant, rien n�est annonciateur d�une ambition ou d�un dessein. L�alg�riascl�rose frappe de plein fouet. La classe dirigeante s�av�re impuissante � juguler la crise morale et politique dont souffre le pays. Le premier est que le personnel politique issu du Mouvement national tient toujours les r�nes du pouvoir, m�me s�il a �largi son camp aux islamistes dits mod�r�s. Avec l�association de Hamas � la gestion gouvernementale, l�Alg�rie peut se targuer d�avoir �t� l�un des premiers pays � int�grer institutionnellement �les fr�res musulmans �. Autres enseignements, le camp de la conservation est id�ologiquement aux commandes de l�Etat, l�islam politique a �chou� mais l�islam social a avanc�. Le camp d�mocratique traditionnel reste divis� alors que la sc�ne politique nationale a �volu�, notamment sur l�appr�hension de la question islamiste. En r�alit�, on peut dire que, malgr� l�irruption du pluralisme, la nature du r�gime n�a pas fondamentalement chang�, singuli�rement dans les pratiques et m�thodes de gouvernance. L�absence de l�Etat de droit, c�ur de la probl�matique d�mocratique, d�l�gitime la norme juridique aux yeux du peuple et fait confondre en une totalit� pouvoir et Etat. Face � cette situation bloqu�e et une corruption g�n�ralis�e, la pouss�e d�mographique aggrave la crise par une demande d�emploi massive, revendication qui ne trouve pas de r�solution. La majorit� sociologique n�est pas la majorit� politique. Une v�ritable fracture civique, �thique et politique s�instaure dans le paysage public national, notamment dans la jeunesse priv�e de perspectives. Y a-t-il d�fiance � l��gard du politique ? La r�ponse est � double d�tente. D�un c�t�, la composante partisane dans sa repr�sentation traditionnelle n�arrive pas � mobiliser comme au d�but du multipartisme. Le blocage de la vie politique, le trucage �lectoral, la division des diff�rentes formations du camp d�mocratique et le fonctionnement interne de celles-ci sont les grandes causes de la m�fiance populaire � l��gard du ph�nom�ne partisan. D�un autre c�t�, on assiste � un cycle ininterrompu de revendications en faveur de l�am�lioration des conditions de vie par la gr�ve, les manifestations de rue et les �meutes. Ce ph�nom�ne rel�ve formellement du politique. Il y a g�n�ralement confusion dans nombre d�esprits entre le politique et le partisan. Si les premi�res tentatives n�ont pas abouti, la pression se fait de plus en plus forte et pesante, notamment � travers la toile, pression qu�exacerbe l�emballement de la sc�ne r�gionale. Ce ph�nom�ne exerce un qui-vive permanent sur le pouvoir, cr�ant un rapport de force in�dit. Le pouvoir vit mal cette situation d�autant que le syndrome de l�encerclement � ses fronti�res aggrave son isolement. Il risque d�avoir en plus de son rival traditionnel de l�Ouest, le Maroc, d�autres adversaires situ�s cette fois-ci � l�Est : la Tunisie et la Libye. C�est la premi�re fois que l�Etat alg�rien est confront� � une situation diplomatique aussi d�licate au niveau r�gional. En tout cas, le double signal � interne et externe �est fort, entamant un peu plus la cr�dibilit� du syst�me. Globalement, la confiance des populations envers la chose publique est en demi-teinte. Sa mobilisation � terme de fa�on partisane et politique r�side dans la capacit� de la soci�t� civile � mieux s�organiser, � inventer ses propres instruments de lutte et � la volont� du pouvoir de mettre en place librement les prochains scrutins. Toute la probl�matique r�side l�, et pas ailleurs. La derni�re sortie du chef de l�Etat lors de l�ouverture de l�ann�e judiciaire, qualifiant les scrutins pass�s �d��lections � la Naegelen�, se passe de tout commentaire. Le n�ud gordien appara�t dans toute sa nudit�. Il appartient au chef de la magistrature supr�me de donner des gages pour cr�dibiliser le futur scrutin. Il a les comp�tences constitutionnelles et politiques d�agir ici et maintenant. C�est une question de volont� car il y a des r�gimes qui �voluent devant la r�alit� t�tue pour lib�rer dans la foul�e un pragmatisme qui �pargne au pays des retards �conomiques, des sacrifices humains et des traumatismes psychologiques. Une fragile exception Si l�on regarde nos fronti�res, on peut sans conteste dire que l�Alg�rie fait exception au bouleversement qui est en train de se r�aliser chez nos voisins en attendant de mieux appr�cier la situation future en termes de construction d�mocratique dans ses contr�es. La singularit� alg�rienne est dans cet esprit de contestation soutenu sans aboutir au renversement du r�gime. La d�cennie noire avec un terrorisme de violence et de contreviolence qui a pris le peuple en otage est l�une des explications de la retenue populaire � l�endroit d�un soul�vement. Malgr� l�existence de soupapes de s�curit�, l�Alg�rie n�est pas un Etat de droit car le pouvoir prend ses aises avec les valeurs d�mocratiques, y compris ses propres normes juridiques, et bride nombre de libert�s, notamment d�organisation, d�expression, de conscience et de culte. L�Etat rentier et s�curitaire avec sa r�serve de change et son exp�rience �prouv�e dans la lutte antiterroriste donne � cette exception l�apparence de durabilit�. Le pouvoir est en r�alit� fragile, � l�image de l�affaissement de l�Etat dans ses missions publiques. Il est guett� par un nouvel acteur : jeune, num�rique, au credo intelligible compos� de la qu�te de la libert� et le respect de la dignit�. Derri�re ce ph�nom�ne affleure un immense d�sir de changement. L�un des enjeux majeurs est de donner � cette immense aspiration au changement le cadre de son expression qui combine la rigueur dans la d�marche et la fid�lit� dans la pratique aux id�aux que l�on veut d�fendre. L�alternative d�mocratique est � venir sans pr�juger de la voie qu�auront � emprunter les acteurs de ce projet : rupture r�volutionnaire ou �volution par compromis ? L�heure est � la fin de l�exception � laquelle nous sommes interpell�s. La g�n�rosit� envers l�avenir n�est-elle pas de tout donner au pr�sent ?