Les mutations qu�a connues le Maghreb avec la chute du r�gime de Ben Ali puis celui de Kadhafi n�auront pas �t� sans cons�quences sur les pays limitrophes. La crainte de la contagion a eu pour effet en Alg�rie un recul de la pr�sence de l�Etat dans plusieurs secteurs. Si l�anarchie n�est pas un fait nouveau, elle est en phase d��tre institutionnalis�e. Le laxisme est en passe d��tre �rig� en politique. Nawal Im�s - Alger (Le Soir) - Au nom d�une paix sociale difficile � instaurer, l�Etat multiplie les concessions. C�est ainsi que les vendeurs � la sauvette ne sont plus inqui�t�s. Ils peuvent squatter les trottoirs sans avoir � redouter une �ventuelle course-poursuite avec la police. Idem pour l�obligation d�utilisation du ch�que pour les transactions importantes qui a �t� diff�r�e. Profitant de cette anarchie ambiante, les transporteurs oublient qu�ils accomplissent une mission de service public et transportent les passagers dans des mouroirs ambulants, les commer�ants occupent les trottoirs ill�galement en y exposant leurs marchandises, les cambistes exhibent des liasses de billets sur la voie publique, les bandes rivales r�glent leurs comptes � coups de bagarres rang�es et les rues croulent sous les ordures m�nag�res. Un laisser-aller qui risque de faire exploser la facture d�une hypoth�tique paix sociale. Lorsqu�au mois de janvier dernier, des �meutes �clataient un peu partout en Alg�rie, la r�ponse de l�Etat ne s�est pas fait attendre : les importateurs des produits de premi�re n�cessit� b�n�ficiaient de largesses pour faire baisser la tension sur le sucre et l�huile. Ce n��tait que le d�but d�une longue liste de mesures dites �d�apaisement � qui trahissent cependant un d�sengagement de l�Etat. Les vendeurs � la sauvette dans les bonnes gr�ces Premiers � b�n�ficier de ces �mesures�, les vendeurs � la sauvette. Alors que le discours officiel �tait � l�heure de la lutte contre le march� informel, les r�volutions arabes sont venues changer la donne. Plus de chasse � l�informel. Les forces de l�ordre ont eu pour instruction de ne plus chasser les vendeurs occasionnels qui squattent trottoirs et grandes art�res. R�sultat : le commerce informel prolif�re et semble avoir un avenir prometteur devant lui. Ni les contestations des riverains, ni les nombreuses plaintes des commer�ants l�galement install�s ne font reculer les pouvoirs publics. Ces derniers laissent faire, craignant des mouvements de protestation difficilement ma�trisables. Les jeunes et moins jeunes vendeurs informels profitent pleinement de ce laxisme et se permettent le luxe de refuser les alternatives qui leur sont quelquefois propos�es. Pas question pour eux de basculer dans le formel et de payer des imp�ts. Ils pr�f�rent le statut confortable de vendeur � la sauvette depuis que ce dernier profite de la protection des agents de l�Etat lesquels, impuissants, assistent � la vente de produits contrefaits, d�aliments � la date de p�remption d�pass�e. Les commer�ants l�galement �tablis ont �t� � leur tour �contamin�s �. Ils n�h�sitent plus � utiliser les trottoirs pour exposer leurs marchandises. Une �pratique commerciale� qui vise � app�ter le client mais qui est totalement ill�gale et qui, pourtant, ne fait pas r�agir les services concern�s. De la devise sur la voie publique Les trottoirs �tant devenus un barom�tre du commerce, c�est tout naturellement que s�y sont implant�s des centaines de cambistes qui, au vu de tous, proposent de la devise � longueur d�ann�e. A Alger, c�est au square Port- Sa�d qu�ils ont �lu domicile. A longueur d�ann�e, ils �changent dinars contre devises ou vice-versa, fixent les taux des �changes. Leur pr�sence est tol�r�e, voire accept�e. Ils font d�sormais partie du paysage m�me si le discours officiel condamne ces pratiques. Sur le terrain, ils op�rent en toute impunit�, exhibant des liasses de billets et proposant leurs services � qui veut bien vendre ou acheter des devises. Nul n�est en mesure de d�finir le montant des transactions, ni de montrer du doigt les barons qui sont derri�re cette organisation informelle du march�. Officiellement, il s�agirait de �jeunes� qui auraient choisi cette activit� informelle pour en tirer profit et dans le contexte actuel, il n�est certainement pas question de menacer cette �activit� au risque d�ouvrir un autre front de contestation. Le diktat des transporteurs sans scrupules Mais ils ne sont pas les seuls � b�n�ficier de ce laxisme ambiant. Les transporteurs publics, oubliant de remplir leur mission de service public, continuent leur course au gain facile sans aucun scrupule. Des bus aux allures de mouroirs ambulants sillonnent les rues, causent des accidents mortels sans craindre de se faire verbaliser. Ils racolent les usagers en faisant des arr�ts non autoris�s, d�marrent alors que ces derniers n�ont eu le temps ni de monter ni de descendre. Que d�accidents ont �t� ainsi provoqu�s sans que des poursuites soient engag�es. Les propri�taires de ces bus exercent sur les chauffeurs et receveurs une pression incroyable en leur imposant une obligation de r�sultat. Ils leur fixent un seuil qu�ils doivent imp�rativement atteindre par jour. Pour y arriver, les chauffeurs se transforment en chauffards au risque de mettre en p�ril la vie de ceux qu�ils transportent � tel point que prendre le bus est devenu risqu�. Les discours sur la r�organisation du secteur ont laiss� place � un laisser-faire g�n�ralis� pourvu que ces transporteurs qui utilisent des bus insalubres ne d�brayent pas et ne paralysent pas un secteur o� ils sont en position de force face � la faiblesse de la couverture du transporteur public. L��pisode de l��t� qui a vu les transporteurs de la ville de Tizi-Ouzou imposer leur diktat en bloquant pendant plusieurs jours des axes routiers strat�giques est � lui seul r�v�lateur de la gabegie du secteur. Les bandes rivales se font justice Le laxisme �tant �rig� en politique, des bandes rivales s�octroient d�sormais le droit de se faire justice. Des batailles rang�es sont r�guli�rement signal�es dans des quartiers populaires. Qu�importe le motif, des jeunes ou moins jeunes s�autorisent � porter des armes blanches et � agresser d�autres personnes pour se venger ou pour se faire justice. Cela donne lieu � d�impressionnantes rixes qui terrorisent les habitants des quartiers. Tr�s souvent, les forces de l�ordre n�interviennent m�me plus, laissant ces bandes rivales r�gler leurs probl�mes entre elles. Lorsqu�elles se d�cident � intervenir, elles font face � une r�sistance farouche. Des escarmouches sont souvent signal�es. Elles se soldent par des interpellations et des admissions aux urgences mais le feuilleton ne s�arr�te pas en si bon chemin. Il n�est pas rare que des bandes enti�res fassent incursion dans des commissariats pour �lib�rer� leurs comparses des mains de la police. R�sultat d�une politique de relogement qui mise sur la �mixit� sociale�, ce fl�au s�est d�plac� dans des zones jadis paisibles. C�est ainsi que des localit�s comme Birtouta font connaissance avec les batailles rang�es, l�usage des armes blanches et la notion d�impunit�. Des quartiers croulent sous les ordures Plus que tout, c�est visiblement la notion de service public qui est en voie de disparition. Cela s�illustre aussi bien chez les transporteurs qui imposent leur diktat, chez les commer�ants qui ferment boutique � 17h mais �galement au niveau du ramassage des ordures. C�est pourtant ce service public qui constitue un des barom�tres incontournables pour jauger la qualit� de vie dans une ville. Force est de constater que dans la majorit� des villes, ce m�me service public est d�faillant surtout lorsqu�il s�agit du ramassage des ordures. Qu�il soit d�volu � une entreprise publique ou du fait des collectivit�s locales, ce ramassage n�ob�it � aucune r�gle. Au niveau de la capitale, vitrine du pays, les ordures s�amoncellent dans de nombreux quartiers. Aucun syst�me de ramassage ne s�est av�r� performant. L�entreprise publique charg�e du ramassage a tent� d�imposer des horaires pour la collecte des ordures mais force est de constater qu�elles ne sont pas respect�es. Les citoyens non disciplin�s sortent la poubelle � toutes heures, souvent la jetant � c�t� de bennes � ordures d�bordant de sacs �ventr�s alors que les services de collecte passent � toutes heures de la journ�e perturbant souvent la circulation routi�re. L��quation para�t difficile � r�soudre � tel point qu�une ville comme Tizi-Ouzou a d� confier la t�che � une entreprise �trang�re. L�absence de l�Etat se sera finalement mat�rialis�e dans presque tous les aspects de la vie au nom d�une paix sociale indispensable � quelques mois des �lections l�gislatives.