[email protected] Avez-vous remarqu� la soudaine disparition des femmes de ce paradoxal printemps arabe depuis qu'il a tourn� au vert, la couleur de la victoire islamiste ? C'est � croire que le sc�nariste n'a pr�vu pour elles que les larmes, la douleur et les chants fun�bres du dernier quart d'heure des despotes. Elles �taient pourtant tr�s comme il faut sur les images des t�l�visions occidentales et conformes aux canons en vigueur concernant le port vestimentaire. On ne voyait que hidjabs, djilbabs et niqabs chez l'�crasante majorit� des manifestantes film�es m�thodiquement par les cam�ras occidentales et arabes. On sentait qu'il y avait de la manipulation dans l'air, mais dans l'euphorie ambiante annonciatrice de la chute des chefs, on ne s'y est pas arr�t�. On se consolait en se disant qu'avec ou sans hidjabs, les femmes avaient au moins leurs mots � dire, et ces mots exprimaient partout la m�me soif de libert�. Sur les banderoles brandies � la face des dictateurs, on aurait aim� lire �� bas la tyrannie masculine�, mais il fallait s'armer de patience, l'usine � fabriquer des �ch�ances diff�r�es. La libert�, ce mot f�minin mis au clo�tre par les tyranneaux arabes, est rest�e dans sa cellule � Tripoli. Du haut de la m�le tribune o� il c�l�brait la fin de Kadhafi, Mustapha Abdeldjalil s'est empress� d'ass�ner le premier coup : la polygamie interdite en Libye sera r�tablie. �Exultez femmes de Libye, et d'ailleurs, vous avez partag� notre combat, vous aurez d�sormais le droit de nous partager !�Au Maroc, les islamistes ont all�grement pi�tin� leur propre r�gle qui veut qu'il faille deux voix de femmes pour �galer celle d'un homme, en l'occurrence on aurait d� avoir deux fois plus de femmes ministres que d'hommes. Alors que dans les gouvernements pr�c�dents, on a compt� jusqu'� huit femmes ministres que la Constitution de 2011 pr�conise la parit�, il y a une seule dans le gouvernement Benkirane. Et avec des attributions aussi peu exaltantes qu'insignifiantes, comme la solidarit�, la famille, etc. On pourrait y ajouter l'�largissement de la cellule familiale, l'�galit� au harem, que �a ne choquerait personne, et c'est d�j� au programme. Et la Tunisie ? Ah la Tunisie ! On nous disait que la Tunisie avait des acquis irr�versibles (expression bien connue chez nous) en mati�re de droits de la femme. On nous serinait encore que la soci�t� civile tunisienne �tait bien structur�e et combative et qu'elle ne permettrait pas un retour vers la dictature. On n'ose prononcer les mots de �khalifat�, de �r�publique islamique �, de �Charia�, pourtant inscrits en toutes lettres dans les programmes islamistes. Qu'importe apr�s tout si les militants du parti Ennahdha au pouvoir et leurs groupes de choc salafistes travaillent chaque jour un peu plus � restreindre l'expression f�minine. Ce n'est pas dramatique non plus si, dans un acc�s d'enthousiasme, des militants de Ghannouchi ont cri� des slogans antijuifs pour faire plaisir au repr�sentant du Hamas originel, le Palestinien Isma�l Hanyeh(1). Apr�s tout, Ghannouchi lui-m�me s'est excus� pour ce d�rapage ind�pendant de sa volont�, mais il faudra voir� A suivre l'actualit� arabe de ces derniers jours, on s'aper�oit que les femmes ne sont pr�sentes que lorsqu'on a besoin d'elles contre les tirs � balles r�elles et pour les cam�ras de t�l�vision. D�s qu'il s'agit de cueillir les lauriers, de partager les fruits de la victoire, elles disparaissent du cadre tout entier accapar� par la masculine engeance. On parle d'elles en Syrie(2) parce que certaines de ces dames, comme Souheil Ataasi ou Razan Zaitounah, incarnent l'engagement et le courage face � la r�pression du r�gime. Gageons qu'on n'entendra plus parler d'elles, sauf comme d�tenues ou exil�es, une fois que la �r�volution � syrienne aura port� au pouvoir les islamistes, conform�ment au programme �tabli. Alors, parlons de celles qui luttent au pr�sent, en esp�rant qu'elles feront chuter la dictature politique et reculer la supr�matie masculine. Samedi dernier, le quotidien londonien Al-Hayat a publi� une lettre ouverte aux autorit�s religieuses d'Arabie saoudite, sign�e par la po�tesse et �crivaine saoudienne Zyanab Ghassab. Cette derni�re s'insurge contre les impr�cations qu'un th�ologien saoudien lance sur une cha�ne satellitaire contre les intellectuels du royaume qui ne sont pas aux normes wahhabites. Zaynab Ghassab, qui a d�j� alert� les autorit�s sur les risques d'un exil massif des intellectuels saoudiens vers l'�tranger, accuse ce th�ologien inquisiteur et ses semblables de d�former l'image de l'Islam. �Alors qu'� l'�poque de l'islam des lumi�res, des chr�tiens abandonnaient leurs propres �critures pour s'int�resser aux livres de l'Islam, ces th�ologiens �uvrent � d�tourner les musulmans de leur propre religion�, �crit-elle. La po�tesse va plus loin en d�non�ant, dans une interview � Elaph, la mainmise masculine sur la religion. Elle �voque notamment les multiples fatwas qui autorisent les mariages contract�s en secret, � l'encontre des r�gles de l'Islam, et qui sont en fait une forme de prostitution. �Cette culture masculine est encore dominante dans les soci�t�s du Golfe, mais elle est de plus en plus remise en cause�, affirme l'�crivaine qui fustige ceux qui pratiquent un islam ostentatoire. �Malheureusement, ajoute-telle, ceux qui pensent qu'il suffit de se raser les sourcils et de laisser pousser la barbe, pour parler au nom de l'Islam, trouvent encore des oreilles attentives et des ex�cutants dociles.� Du Golfe � l'Atlantique, assur�ment ! A. H. (1) Lire � ce propos l'�mouvante tribune publi�e par l'�crivaine tunisienne H�l� B�ji dans le quotidien Le Monde du 19 janvier 2012, et intitul�e : �Tunisiens ne trahissez pas les nobles id�aux de votre r�volution !�. (2) Certains lecteurs amis m'ont fait le reproche d'avoir �t� un peu vite en louanges la semaine derni�re vis-�-vis de Malek Anouar, qui a refus� de faire partie de la lie des observateurs. Ce monsieur aurait des sympathies, voire des accointances avec des courants islamistes aussi peu recommandables que ceux qu'il fustige sur son blog. Je ne dispose pas d'informations l�-dessus, mais je peux rassurer mes amis : je ne suis pas pr�s de tourner casaque ou de me pr�cipiter au march� pour faire l'acquisition d'une gandoura et d'un chapelet.