Il n�y a vraiment rien qui puisse inciter un chef d�Etat arabe, soucieux de sa r�putation, � participer � un sommet de la Ligue arabe � Damas. D�abord, la condition sine qua non pour la tenue de ces assises, � savoir l��lection d�un pr�sident libanais, n�est toujours pas remplie. Ce qui prouve que les Syriens tergiversent ou qu�ils ont du mal � se faire entendre de leurs alli�s au Liban. Secundo : ceci expliquant cela, le r�gime syrien n�est toujours pas arriv� � convaincre les Arabes que les assassins du dirigeant du Hezbollah, Imad Moghnieh, � Damas sont venus de l�ext�rieur. Tertio : la r�pression contre les opposants et contre la population kurde s�intensifie, ce qui n�encourage pas les Arabes � emprunter le chemin de Damas. Penser que les dirigeants syriens ont sans doute renonc� � la tenue de ce sommet, c�est faire fi de leurs ambitions et de celles de leurs amis iraniens et libanais. Or, les Baathistes ont toujours mis quelques barbes de c�t� pour les ann�es de disette. Et les militants de ce parti, jadis la�que et r�volutionnaire, ont miraculeusement retrouv� la foi. Charg�s autrefois de surveiller les mosqu�es, ils connaissent au m�tre pr�s la hauteur de leurs minarets. Instruits par l�exp�rience et par l��tude des sciences opportunistes, ils savent le poids des mots combinant le fracas des d�cibels et le vertige des hauteurs. Ing�nieux comme tous les tyrans soucieux de durer, les Syriens ont eu recours � l�arme de la fetwa, plus efficace encore que celle du p�trole utilis�e avec un succ�s mitig� en 1973. La semaine derni�re, ils ont envoy� en premi�re ligne leur mufti en chef, le �Douktour� Ahmed Badreddine Hassoune, en l�occurrence. Le mufti syrien a d�cr�t� que la participation au Sommet de Damas est un �devoir strict� (fardh ayn) pour tout chef d�Etat arabe. En cons�quence, ce �devoir strict� ne saurait s�accommoder d� excuses, comme les probl�mes de sant�, qu�invoquent les rois et pr�sidents arabes pour se faire repr�senter. Sauf s�ils sont atteints de maladies graves qui restreignent leurs d�placements et limitent leurs mandats �lectoraux, les pr�sidents et les rois sont somm�s d�y aller. Les absents auront donc tous les torts et seront consid�r�s comme �tant en �tat de p�ch�, indique le mufti dans une d�claration publi�e la semaine derni�re par le quotidien qatari Al-Arab. Ahmed Badreddine Hassoune conna�t l�immense pi�t� des dirigeants arabes qui ne se sont empar�s du sceptre que pour servir l�islam et, accessoirement, leurs peuples. En th�ologien disciplin� et soucieux de satisfaire ses chefs, il a d�livr� cette fetwa sachant qu�il n�est ni le premier ni le dernier � se plier aux d�sirs du prince. Peut-�tre table-t-il sur un sursaut de pi�t� de dirigeants soucieux de ne pas �tre en exc�dent de bagages au moment du vol ultime. Nos confr�res du magazine Middle East Transparency qui ont rebondi ces d�clarations rappellent que des th�ologiens ottomans ont d�j� montr� le chemin. Pour �viter la �fitna� ou la discorde dans l�empire, ils ont autoris� le �calife� S�lim 1er � massacrer tous ses fr�res et tous ses neveux, h�ritiers potentiels du tr�ne. C�est fort justement en r�f�rence � cette �poque b�nie des fetwas imm�diatement ex�cutables que des Arabes, d�ici et d�ailleurs, ont salu� comme une d�livrance l�arriv�e au pouvoir des islamistes en Turquie. Cependant, le r�tablissement du califat � Istanbul n�avance pas assez vite � leur go�t. Il semblerait m�me que le �Fr�re� Erdogan veuille prendre son temps et m�me renverser l�ordre des priorit�s attendues par l�Internationale islamiste. Certes, Erdogan a inaugur� son r�gne par la proclamation du hidjab comme symbole et embl�me de l�islam politique. Ce qui a donn� lieu � des manifestations de joie et de liesse populaires � Gaza et � Beyrouth mais, depuis, les barbes affichent leur d�senchantement. Non content d�intervenir militairement au nord de l�Irak, le faux fr�re s�attaque au Livre Saint. Il pr�tend en extirper les versets qui ne cadrent pas avec les exigences de l��poque. Du coup, des voix timides se sont �lev�es dans le monde arabe pour approuver l�initiative. Notre confr�re �gyptien Achraf Abdelkader a m�me salu� en lui un �r�formateur �, hors pair, dans ses contributions au magazine Elaph. Mais dans les �minbars� islamistes, on fulmine. Le chef de file des �Ottomans�, le Tunisien Rachid Ghannouchi accuse Erdogan de vouloir abroger des versets du Coran pour plaire � l�Occident. Ce qui n�est pas tout � fait invraisemblable connaissant l�esprit tactique du chef de file de l�islamisme turc. Ghannouchi a donc lanc� une fetwa contre Erdogan d�sign� comme apostat et, comme tel, en posture de condamn� � mort en sursis d�ex�cution, jusqu�� ce qu�une �me bien n�e en d�cide autrement. Tout ceci n�a pas soulev� autant de vagues que les caricatures danoises ou les �meutes du pain en Egypte. On sait pertinemment que le �Fr�re� Erdogan, qui viole sans arr�t les fronti�res arabes, n�est pas un pr�curseur en mati�re de chevauchement ou de franchissement de lignes rouges. Des versets ont �t� abolis du vivant du Proph�te et apr�s sa disparition, sans que l�on crie aujourd�hui au scandale. Et lorsque le Soudanais Hassan Tourabi a annonc� avoir abrog� les verstes concernant le t�moignage et l�h�ritage des femmes, il n�y a pas eu d��meutes � d�plorer. Mais imaginez qu�une femme tienne le m�me discours et proclame que des versets se rapportant aux femmes doivent �tre abolis sous pr�texte de conformit� avec l��volution des m�urs ? Vous l�avez imagin�, Al-Jazeera l�a fait : le 6 mars dernier a actionn� son artilleur favori, le Syrien Fay�al Alkassem. L�animateur qui fait ressembler le plateau de son �mission �A contre-courant� � une cellule capitonn�e pour asile d�ali�n�s, a r��dit� sa performance favorite. Sa m�thode est simple : il invite des personnalit�s qui ne pensent pas comme lui ou tiennent des propos non conformes � l�orthodoxie puis il donne libre cours � son indignation patriotique ou religieuse. Il s�est ainsi confectionn�, sans coup f�rir, l�image d�un preux d�fenseur du bien-pens� arabe face aux la�cs et aux lib�raux �sionisants� et �am�ricanisants �. C�est dans le cadre de ces desseins que Fay�al Al- Kassem a fait appel � plusieurs reprises � la psychologue syrienne Wafa Soltane, install�e aux Etats-Unis depuis une vingtaine d�ann�es. Ses propos sur l�Islam et sur l�intol�rance des musulmans ont d�j� d�fray� la chronique et soulev� contre sa personne tous les excit�s de la t�l� et du Web. Le 6 mars dernier, Wafa Soltane est � nouveau invit�e � s�exprimer, en direct des Etats-Unis, sur le plateau de Fay�al Al- Kassem qu�elle a d�j� malmen� dans ses �crits. Pas rancunier du tout, le chevalier des causes troubles lui oppose un th�ologien de troisi�me rang dont elle ne fait qu�une bouch�e. Comme � son habitude, et comme Erdogan et Tourabi, Wafa Soltane se prononce pour l�abrogation des versets du Coran qui amoindrissent la femme. Mais contrairement aux autres, elle le fait avec son langage et ses outrances. Normalement, la pol�mique aurait eu fin sur le plateau mais c��tait ignorer la duplicit� de Fay�al Al-Kassem et de la cha�ne Al-Jazeera. Cette derni�re d�cide de ne pas rediffuser l��mission, contrairement � la tradition, et pr�sente des excuses � son public pour les propos outrageants de Wafa Soltane. C�est ainsi que la r�probation qui avait �pargn� Tourabi et Erdogan s�est d�vers�e sur Wafa Soltane, simplement parce que c�est une femme. Et une femme, m�me au mois de mars, doit savoir tenir sa place et, surtout, sa langue. Pour l�avoir ignor�, Wafa Sultane rejoint au pilori arabe le caricaturiste danois, hier anonyme aujourd�hui best-seller mondial.