Entretien r�alis� par Antar Benzaki L�Alg�rie risque-t-elle de chuter au rang de pays moins avanc� ? Sera-t-elle confront�e � l�effet ciseau, des importations en hausse continue et des exportations qui s�effondrent en raison de la chute du prix du baril ? Un sc�nario catastrophe encore possible ! Comment parer � ce risque ? Dans la mesure o� les diff�rentes politiques initi�es par les pouvoirs publics pour r�duire les importations, en mettant notamment en place le cr�dit documentaire qui est une �mesure monstrueuse� et pour relancer l�industrie et d�velopper les exportations, s�av�rent encore inop�rantes, l�universitaire Mohamed Bouchakour appelle � changer de cap. Il est opportun, explique cet universitaire, de mettre en place une strat�gie industrielle qui r�serve un r�le structurant central � la substitution des importations, l� o� des marges int�ressantes existent. A charge cependant d�une rationalisation des importations, l�engagement d�une strat�gie industrielle �mergente, incub�e par une communaut� d�affaires �moderne, visionnaire et organis�e�, un gouvernement �attach� � l�int�r�t g�n�ral � long terme de la nation� et un dialogue public-priv� institutionnalis�. En somme, lib�rer les capacit�s de man�uvre, impliquer l�Etat et les entreprises de mani�re dynamique, tout en assurant le �d�clic de la volont� politique de l�initier�. Le Soir d�Alg�rie :Selon les premiers chiffres du commerce ext�rieur alg�rien pour 2011, il semblerait que les exportations hors hydrocarbures aient augment� de 40% par rapport � l�ann�e pr�c�dente. Quel est votre commentaire ? Mohamed Bouchakour : Les chiffres d�finitifs de 2011 ne sont pas encore publi�s, mais pour les neuf premiers mois de l�ann�e �coul�e, on peut constater que les exportations hors hydrocarbures ont atteint 1,6 milliard de dollars, dont 860 millions de dollars, soit la moiti�, sont repr�sent�s par des d�riv�s des hydrocarbures qui sont statistiquement comptabilis�s comme des produits hors hydrocarbures. On rel�ve un autre gros chiffre : 202 millions de dollars de sucre blanc. Cela peut repr�senter une perc�e digne d�int�r�t, m�me s�il s�agit ici plut�t d�une r�exportation. Il faudrait cependant examiner l�ensemble de la cha�ne de valeur pour v�rifier si le bilan devise global est au moins �quilibr�. Donc, pour 2011 � fin septembre, nous sommes autour du seuil de 1 milliard de dollars en mati�re d�exportation hors hydrocarbures. Les importations pour 2011 ont �t�, encore cette ann�e, en forte hausse et ce n�est qu�� la faveur des exportations hydrocarbures, bien port�es par les prix, que nous devons notre exc�dent. Jusqu�� quand les hydrocarbures vont assurer l�exc�dent et que se passera-t-il lorsque ce ne sera plus possible ? Comme vous venez de le dire, tant que les hydrocarbures sont l�, et que les prix se maintiennent � des niveaux �lev�s, disons au-dessus des 80 USD le baril, notre commerce ext�rieur pourrait, un temps, rester exc�dentaire. Mais maintenant que les experts estiment que le pic p�trolier a �t� atteint et que, toutes choses �tant �gales par ailleurs, nous sommes d�sormais sur le d�clin, la sonnette d�alarme est tr�s s�rieusement tir�e. Si, par malheur, le prix du baril chute ou voit son pouvoir d�achat �rod� par l�inflation, nous irons plus vite qu�on ne le pense vers un effet de ciseau avec, d�un c�t�, les importations qui continueraient de s�envoler en raison de leur forte rigidit� structurelle et, de l�autre, les exportations qui s�effondreraient. Cette chute sera d�autant plus forte que la consommation �nerg�tique nationale est en train de progresser � des rythmes d�brid�s. Ceci est bien s�r le sc�nario catastrophe. Il faut le garder en vue non pas par pessimisme, mais par lucidit� sur ce qui risque de nous arriver. Dans ce sc�nario catastrophe, comment les choses pourraient-elles se d�rouler ? Pour faire face aux importations incompressibles, c�r�ales, lait, sucre, m�dicaments, pi�ces de rechange et autres, il serait possible de commencer dans un premier temps par �puiser� dans les r�serves de change, puis tr�s vite l�on devra recourir � nouveau � l�endettement ext�rieur. Et si l�on reste dans les m�mes paradigmes de la pens�e renti�re, il faut s�attendre � ce que l�on aille tout droit vers une cessation de paiement et un nouveau programme d�ajustement structurel (PAS) avec le FMI. La grande diff�rence avec le PAS de 1994 est que le contexte national et international n�est plus le m�me. Aujourd�hui, et demain peut-�tre encore plus, il faudra faire face � des exigences sociales internes et des conditionnalit�s et conditions de financement externes plus drastiques. Je ne voudrais pas trop noircir le tableau, mais si l�on ne commence pas d�s � pr�sent � d�samorcer ce sc�nario catastrophe, l�Alg�rie est un PMA en perspective qui s�ignore ! C�est le moins que l�on puisse dire. Que faire alors ? Le gouvernement a essay� de freiner les importations en introduisant en 2009 l�obligation du cr�dit documentaire comme mode de paiement des fournisseurs. Cette mesure n�a pas eu le r�sultat escompt�. J�ignore le but r�el de cette mesure car il n�y a pas eu de communication claire expliquant sa finalit� et encore moins de dialogue sur son opportunit� et son objectif. Mais, ce que je peux vous dire, c�est que cette mesure est unique dans l�histoire des politiques protectionnistes men�es � travers le monde. Je m�explique. D�une part, le cr�dit documentaire rel�ve du domaine contractuel au m�me titre que le choix des incoterms, ou de l�arbitre en cas de litige. C�est une pratique du commerce international et non pas une r�gle du commerce international qui, elle seule, doit reposer sur un ancrage r�glementaire, lui-m�me ancr� dans une convention ou un accord international. Sur la n�cessit� d�observer telle ou telle pratique du commerce international dans les clauses contractuelles, le gouvernement peut, � la limite, dicter des injonctions aux entreprises dans lesquelles l�Etat est actionnaire majoritaire, via le conseil d�administration, mais pas dans les entreprises priv�es. D�un point de vue de gouvernance publique, c�est carr�ment une mesure monstrueuse unique dans les annales. D�autre part, s�il est un acteur bien indiqu� pour exiger le cr�dit documentaire, c�est bien le fournisseur, car la finalit� et la raison d��tre de ce mode de paiement est de s�curiser les paiements de l�exportateur. On n�a jamais vu un gouvernement tirer une balle dans la jambe des entreprises de son pays juste pour freiner les importations. En fait, cela a abouti � rench�rir les importations par les frais g�n�r�s par la proc�dure et � perturber les approvisionnements externes d�un march� fortement d�pendant de l�ext�rieur. Du point de vue du patriotisme �conomique, c�est encore une mesure monstrueuse unique dans les annales. Sous d�autres cieux, c�est au contraire aux exportateurs que l�on cherche � compliquer l�acc�s au march� national en dressant toutes sortes de barri�res. Chez nous, les barri�res tarifaires (BT) ont �t� rabaiss�es, sans que les barri�res non tarifaires (BNT) ne prennent le relais comme elles auraient d� le faire. Si c�est pour la transparence des op�rations que le cr�dit documentaire a �t� impos�, l�op�ration ne peut �tre qu�un coup d��p�e dans l�eau. Cette proc�dure permet, certes, de tout observer sur les transferts en termes de tra�abilit� des flux entre les banques des importateurs et les banques de leurs fournisseurs, mais elle ne permet de ne rien voir en termes de malversation ! Je vous donne un exemple par analogie : c�est comme si on cherchait � dissuader des personnes ind�licates d�effectuer des op�rations frauduleuses entre les diff�rents quartiers de la ville, en obligeant tout le monde � prendre exclusivement le bus, pour pouvoir v�rifier si chacun a bien pay� son ticket et descend bien � la station couverte par le tarif pay�. Vu les d�sagr�ments caus�s, les bons payent aussi pour les mauvais sans que ces derniers ne soient pour autant inqui�t�s. Qu�aurait pu donc faire le gouvernement pour freiner les importations ? Tout d�abord, dans le cadre des accords commerciaux qui ont �t� conclus, que ce soit l�accord d�association avec l�Union europ�enne ou la Zone arabe de libre�change, il existe normalement des clauses de sauvegarde qui permettent de se prot�ger lorsqu�on constate que les �changes commerciaux sont en train d�avoir des impacts n�gatifs sur l��conomie nationale. L�Alg�rie aurait pu les actionner, ce que n�h�sitent pas � faire les pays pointilleux sur leurs �quilibres ext�rieurs dans les situations plus ou moins exceptionnelles o� ils jugent que les retomb�es des accords pass�s ne sont pas conformes � celles attendues au d�part. Ces clauses sont faites pour �a. Ind�pendamment de cela, l�Alg�rie a certes ouvert son commerce ext�rieur, mais nous avons une vision trop idyllique de cet engagement. Si la doctrine et l�id�ologie lib�rale ont toujours proclam� haut et fort qu�en mati�re de commerce international, le libre�change est la r�gle et le protectionnisme l�exception, dans la r�alit�, c�est tout � fait l�inverse qui se passe. Le protectionnisme est la r�gle et le libre-�change l�exception. C�est ce qu�on constate lorsqu�on observe la pratique de la plupart des Etats, d�abord et y compris ceux qui se font les d�fenseurs les plus ardents de la libert� du commerce et de l�industrie. Quand leurs int�r�ts l�exigent, ils n�h�sitent pas � violer un accord ou un engagement contract� dans le cadre de l�OMC et assument le plus normalement du monde d��tre mis en cause devant l�organe de r�glement des diff�rends. Aujourd�hui, l�usage des tarifs douaniers est insignifiant. Entre les pays membres de l�OMC, c'est-�-dire la quasi-totalit� des pays du monde, ils sont en moyenne de 3% contre 40% en 1947, � la cr�ation du GATT. Mais parall�lement � cette baisse, on a assist� � l�av�nement de politiques protectionnistes consistant � �riger des barri�res non tarifaires (BNT) �lev�es qui, de plus, n�ont plus rien � voir avec celles qui faisaient partie de l�arsenal protectionniste traditionnel � l��poque du GATT : la politique des quotas, le contingentement, les licences d�importation, les subventions � la production nationale. Ces BNT sont fortement d�courag�es par l�OMC et sont devenues obsol�tes. A leur place, c�est une nouvelle g�n�ration de BNT qui a pris le dessus. Vous faites allusion ici aux obstacles techniques au commerce (OTC) et aux mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) ? Oui, mais ces BNT ne sont que la partie visible de l�iceberg. Sous l�empire de l�OMC, on distingue les BNT formelles et les BNT informelles. Les premi�res englobent les OTC et les mesures SPS, lesquels sont explicit�s par �crit. L�OMC les tol�re et s�efforce tant bien que mal de les encadrer. Ce sont des dispositions r�galiennes �dict�es par la r�glementation. Les OTC sont justifi�es par des exigences allant de la protection de l'environnement jusqu'� l'information du consommateur en passant par la protection contre les risques et la s�curit� nationale. Elles portent sur les r�glements, normes et proc�dures d�essai, d�homologation et de certification, sur l��valuation de la conformit�, le conditionnement, l�emballage, l��tiquetage des produits. Quant aux mesures SPS, elles sont justifi�es par le souci de prot�ger sur le territoire du pays qui les �dicte la sant� et la vie des personnes et des animaux de tout risque pathologique et � pr�server les v�g�taux de tous risques dus � des substances n�fastes. Elles peuvent prendre la forme de prescriptions sur l�origine contr�l�e des animaux et produits d�origine animale, l�inspection des produits sur les risques de contamination microbiologique, etc. Toutes ces exigences sont drastiques et ont toujours tendance � �tre un peu plus excessives qu�il ne faut, car elles jouent un r�le � la fois protecteur et protectionniste. L�autre type de BNT n�est �crit nulle part. Elles sont dites informelles et sont aussi appel�es les barri�res invisibles. Elles consistent en la pratique de proc�dures contraignantes parfois tr�s arbitraires, impos�es par les administrations aux exportateurs et aux prestataires et auxiliaires qui interviennent pour eux au cours des op�rations de transport, de logistique, d�inspection, de d�douanement. Par exemple, dans le cadre de l�organisation du transport a�rien, et sous le pr�texte de d�sengorger les grands a�roports, un pays peut d�cider que tous les avions cargos transportant tel ou tel type de marchandises ou ceux en provenance de telle ou telle r�gion du monde doivent atterrir et d�charger sa cargaison dans un a�roport d�sign�, qui se trouve �tre situ� dans une zone enclav�e. C�est une fa�on de cr�er un goulot d��tranglement logistique pour l�acc�s d�un produit �tranger sur le march� national. Un autre type de barri�res invisibles peut trouver son origine dans les comportements et attitudes des personnes physiques qui travaillent pour ces administrations et plus largement dans les pratiques, us et coutumes li�es � la culture nationale des affaires. Tels sont les types de barri�res dress�es par les gouvernements qui, sous le couvert de la protection, pratiquent un protectionnisme sur les importations. Pour �viter l�effet de ciseau qui se profile � l�horizon, faut-il, selon vous, prioriser le d�veloppement des exportations hors hydrocarbures ou la r�duction des importations ? Et quels types de mesure vous semblent opportuns ? Je commencerai par enfoncer une porte ouverte : sur les deux fronts, il y a mati�re � travailler pour �viter l�effet de ciseau. Mais depuis une bonne trentaine d�ann�es on nous ressasse le slogan de la diversification de nos exportations, sans que les r�sultats dans ce domaine n�avancent d�un iota. Il est grand temps de se demander si la solution de l��quation de l�apr�s-p�trole ne doit pas commencer plut�t du c�t� des importations. Personnellement, j�estime qu�aujourd�hui, l�efficacit� d�un dollar investi pour r�duire les importations est nettement sup�rieure en termes de rendement, de risque et de d�lai de r�cup�ration � celle d�un dollar investi pour accro�tre les exportations hors hydrocarbures. Cela signifie que ce dollar investi dans la r�duction des importations pourrait, en 2 � 3 ans, en procurer 4 ou 5 en termes d��conomie de devises, tandis que dans le d�veloppement des exportations, les scores sont certainement tr�s inf�rieurs et tr�s al�atoires. Sans compter que les cr�neaux � exploiter sont plus �vidents dans le premier cas que dans le second cas. C�est pourquoi la porte d�entr�e de la pr�paration de l�apr�s-p�trole se situe du c�t� des importations et non pas des exportations hors hydrocarbures. Quand vous dites que les cr�neaux de r�duction des importations sont plus �vidents, qu�entendez-vous par l� ? Pr�cisons tout de suite qu�il ne s�agit pas de rationner les importations, mais de les rationaliser. La diff�rence est de taille : le rationnement conduit � l�asphyxie �conomique, � la p�nurie et � la sp�culation, tandis que la rationalisation est un acte de bonne gouvernance qui s�inscrit dans une philosophie de d�veloppement durable. Dans ce cadre, je vois cinq types de mesures qui peuvent �tre d�terminantes dans la rationalisation des importations : (I) instituer des BNT de fa�on � ce qu�elles jouent pleinement les r�les de protection et de r�gulation attendus d�elles, (II) faire jouer chaque fois qu�il le faut les clauses de sauvegarde pr�vues dans les accords commerciaux pass�s, (III) faire valoir pleinement et � tous les niveaux notre pouvoir de n�gociation dans les approvisionnements ext�rieurs ; un r�le important �tant d�volu ici � la diplomatie �conomique, (IV) professionnaliser davantage les op�rations d�importations en renfor�ant les capacit�s des op�rateurs � obtenir et � n�gocier les meilleures offres possibles en se pr�munissant au mieux contre les multiples risques inh�rents aux achats internationaux, (V) et the last but not the least mettre en place une strat�gie industrielle qui r�serve un r�le structurant central � la substitution des importations. Chacun de ces types de mesure doit renvoyer bien entendu � tout un programme. Le cinqui�me point que vous �voquez est d�terminant, celui de la strat�gie industrielle. Mais comme vous le savez, des �tudes ont �t� initi�es par le gouvernement � l��poque du MPPI et il n�y a malheureusement pas eu de consensus sur la strat�gie industrielle � adopter. Une strat�gie peut prendre forme de deux fa�ons. Elle peut �tre d�lib�r�e, c'est-�-dire concoct�e � t�te repos�e par ceux qui en ont les pr�rogatives. Mais elle peut �tre aussi �mergente, c'est-�-dire dict�e � chaud par les faits et la pratique. La premi�re est un peu platonicienne. C�est ce que le gouvernement a essay� de faire, sans aboutir. A partir de cet �chec, le monde s�est arr�t� de tourner. On a oubli� qu�une strat�gie peut �tre aussi �mergente. Notre strat�gie industrielle peut en grande partie �tre dict�e par les tendances lourdes et la structure de nos importations. En proc�dant � une analyse de ces tendances et de cette structure, on obtient �en creux� ce qu�il y a lieu de faire en urgence dans le domaine de l�industrie, de l�agriculture et des services. Tr�s globalement, de tr�s int�ressantes marges de man�uvre s�offrent � la relance des industries sid�rurgiques, m�tallurgiques, m�caniques et �lectriques (ISMME), celles-l� m�mes qui ont connu un net d�clin ces derni�res ann�es. Idem pour les biens de consommation o� il est encore plus facile de d�tecter les choix qui ont un caract�re fatal et �vident : je pense ici � des produits prioritaires comme les c�r�ales, les m�dicaments, le lait, mais aussi � d�autres produits comme la levure, ainsi qu�un grand nombre de produits qui ont massivement p�n�tr� le march� alg�rien depuis la signature des accords de la Zale en 1999. Selon le cas, il s�agira d�investissements nouveaux, de modernisation, d�extension, de redimensionnement, de restructuration de l�outil de production en place. Donc, tr�s empiriquement, la strat�gie industrielle qu�on attend comporte des volets �mergents dans lesquels les choix sont dict�s comme des fatalit�s par les p�rils qui se profilent � l�horizon et sont orient�s vers les fili�res agroalimentaires, la pharmacie, les ISMME, auxquelles on peut certainement ajouter d�autres comme les �nergies renouvelables. Le tout est de bien cibler les segments, de proc�der aux �tudes de march� et aux �tudes technico�conomiques, de concevoir des montages juridico-financiers judicieux, de s�lectionner soigneusement les partenaires, de n�gocier des contrats solides, et de veiller � leur ex�cution rigoureuse. C�est plus facile � dire qu�� faire dans l��tat o� se trouvent nos institutions. Vous avez raison. Mais rien n�interdit de r�ver, n�est-ce pas ? Vous avez raison. Continuons � r�ver. Vous venez de citer de mani�re intuitive et � titre d�exemple quelques pistes, mais l�Alg�rie importe de tout. Ce n�est pas �vident de s�lectionner les priorit�s. Bien s�r que cela requiert un travail technique pr�cis et m�ticuleux. L�obstacle � lever pour ce travail est celui du d�clic de la volont� politique de l�initier. Sinon, pour le ciblage des segments prioritaires, il suffit de mettre en place une approche crit�riologique toute simple. Je peux vous citer une batterie de sept principaux crit�res pour la s�lection des produits prioritaires : (I) le poids financier en termes de co�t en devises � l�importation, (II) la dynamique de la demande interne, (III) la prospective des prix sur les march�s internationaux, (IV) le degr� d�incompressibilit� des approvisionnements nationaux en cas de difficult�s financi�res du pays, (V) le degr� de disponibilit� locale imm�diate des ressources rares requises et leurs co�ts, (VI) l�impact sur l�environnement et les �quilibres �cologiques, (VII) les effets induits en termes de d�veloppement des avantages comp�titifs, tels que l��conomie de la connaissance. Il suffit par exemple qu�un segment r�ponde pleinement � au moins cinq de ces sept crit�res pour qu�il soit digne d��tre inscrit sur la liste des segments prioritaires. Comme vous le voyez, en partant des p�rils qui nous menacent et en s�appuyant sur quelques crit�res simples, l�esquisse d�une strat�gie industrielle par substitution � l�importation devient un jeu d�enfant. Essayons de nous inspirer des pays d�Asie. Chez eux le terme �crise� n�a pas la connotation qu�on lui conna�t ici, celle d�une situation porteuse seulement de menaces et de contraintes qui a pour effet de nous affaiblir. C�est aussi une ouverture sur des opportunit�s nouvelles et inesp�r�es (le yin et le yang). Chez nous, on continue pourtant � se noyer dans un verre d�eau, en fantasmant sur une strat�gie industrielle majestueuse dans l�esprit des ann�es 1970. La strat�gie industrielle de l�Alg�rie des ann�es 2010 sera �mergente ou ne sera pas !!! Mis � part le prisme culturel qui nous bloque sur le yin et nous emp�che de consid�rer le yang, comment expliquez-vous que l�approche par la strat�gie �mergente continue d��tre ignor�e, apr�s que l�exploration d�une strat�gie d�lib�r�e ait �chou� ? Les strat�gies d�lib�r�es et les strat�gies �mergentes n�ont pas les m�mes initiateurs. Les premi�res ne peuvent �tre initi�es que par la technocratie ou � d�faut par la bureaucratie, de jure. Par contre, les secondes peuvent �tre aussi incub�es et lanc�es de facto par la communaut� des affaires. Alors que l��chec dans la qu�te d�une strat�gie d�lib�r�e n�est imputable qu�au gouvernement, la responsabilit� d�un �chec ou d�un renoncement dans la qu�te d�une strat�gie �mergente est partag�e entre le gouvernement et la communaut� des affaires. Il faut admettre que personne n�est spontan�ment int�ress� par l�existence d�une strat�gie industrielle au point d�en faire une fixation ! Tant qu�on peut vivre sans, faisons-le ! Pour qu�un pays puisse se doter d�une strat�gie industrielle digne de ce nom, il faut que des conditions soient r�unies, dont trois me semblent d�terminantes aujourd�hui en Alg�rie : un gouvernement attach� � l�int�r�t g�n�ral � long terme de la nation, une communaut� des affaires moderne, visionnaire et organis�e, et enfin un dialogue public-priv� institutionnalis� et ax� sur les probl�matiques �conomiques et sociales fondamentales du pays. Autant dire que la strat�gie industrielle n�est pas pour demain en Alg�rie. N�y a-t-il pas un moyen de commencer � avancer dans ce sens, sans attendre que les conditions id�ales soient r�unies ? Nous avons parl� des marges de man�uvre qui, fort heureusement, existent. L�, vous venez de soulever la question des capacit�s de man�uvre. Allons-nous pouvoir mettre � profit les marges de man�uvre offertes, ou sommes-nous condamn�s � rester les bras crois�s face � un potentiel vou� � la d�composition ? Lib�rer les capacit�s de man�uvre, c�est instaurer entre l�Etat et les entreprises des projets communs gagnant-gagnant, fond�s sur les r�gles du donnant-donnant, des r�gles qui soient claires, transparentes et explicites, chacun restant dans le r�le qui est le sien. Ni plus ni moins. Ce tournant ne peut pas �tre op�r� sans une initiative forte et persuasive qui peut venir indiff�remment du gouvernement ou de la communaut� des affaires. Pouvez-vous �tre plus concret sur ce point pr�cis ? Puisqu�il s�agit de valoriser un gisement qui est ici celui de la substitution � l�importation, on pourrait penser � une formule proche de celle utilis�e dans les contrats d�association dans le secteur des hydrocarbures. Je m�explique : un, le gouvernement �labore un programme national de substitution � l�importation dans lequel sont r�pertori�es des esquisses de projets tr�s concrets et bien d�limit�s. Deux, il lance des appels publics � manifestation d�int�r�t nationaux et internationaux, accompagn�s de cahiers des charges dans lesquels il incite les entreprises int�ress�es, nationales et �trang�res � se constituer en consortium pour soumissionner en vue d�un contrat de performance. Trois, la performance consiste ici � augmenter la part de la production nationale pour un produit ou une gamme de produits import�s, avec pour effet de r�duire ou stabiliser les importations, ou encore de d�c�l�rer leur croissance. Quatre, le m�me projet peut �tre pris par deux consortiums, voire plus. Cinq, les deux parties contractantes, le consortium et une agence gouvernementale sp�cialis�e, agissant comme ma�tre d��uvre, seraient li�es par des droits et obligations qui procureraient un b�n�fice mutuel aux entreprises du consortium et � l�Etat. De quels genres seraient ces droits et ces obligations ? Le consortium assumerait des obligations de moyens mais aussi des obligations de r�sultats. En contrepartie, il obtiendrait des avantages et facilit�s sp�cifiques, ainsi qu�une r�mun�ration variable calcul�e sur un pourcentage des devises �conomis�es par le pays, par rapport au cas de figure o� l�intervention du consortium n�aurait pas eu lieu. Par ailleurs, le gouvernement en retirerait tout ce que la nation attend de lui : une pr�servation des r�serves de change nationales et des r�serves d�hydrocarbures pour les g�n�rations futures, une densification � modernisation du secteur de la PME, une dynamisation du partenariat et de la sous-traitance nationale et internationale, un renforcement de l�int�gration �conomique nationale, des cr�ations d�emplois productifs, une r�g�n�ration de l�entreprenariat ; en un mot, la relance d�une croissance de bonne qualit�. Un dernier mot ? Oui, j�aimerais ajouter un point. Il existe en Alg�rie beaucoup de dispositifs pr�cieux et co�teux, comme les avantages et facilit�s ANDI, la politique des IDE, le programme de mise � niveau des PME, les nombreux dispositifs de soutien agricole, les programmes de recherche scientifique, etc. Mais ils fonctionnent d�un certain point de vue pour eux-m�mes, un peu � l�aveuglette et en tout cas de mani�re cloisonn�e et dispers�e, ce qui rend leur efficacit� douteuse. Ils gagneraient � s�inscrire dans une d�marche strat�gique nationale qui leur donnerait une finalit� et un sens. Un programme national de promotion de la substitution � l�importation peut jouer ce r�le. Il n�est pas non plus � exclure que la mise en �uvre d�un tel programme contribue � am�nager des tremplins pour les exportations hors hydrocarbures.