Salem Hammoum avait 10 ans quand il fit connaissance pour la premi�re fois avec la maladie. C��tait juste apr�s l�ind�pendance � A�n Fakroun, dans la wilaya de Oum-El-Bouaghi, o� son p�re tenait un atelier de forge artisanale, un m�tier que les villageois d�Ihitouss�ne, dans la commune de Bouzegu�ne (Tizi-Ouzou), perp�tuaient de g�n�ration en g�n�ration depuis le XVIIe si�cle, notamment � travers tout l�Est alg�rien, d�Akbou � Oued Zenati. Des d�tails de sa maladie, il n�en savait rien. Des effets du mal oui : son app�tit d�clinait et il portait en aversion tous les aliments � base de graisse, � la vue et � l�odeur desquels il vomissait. Depuis, la maladie ne la quittera plus. Au vieux p�re abasourdi, Dr Fournier, seul m�decin � exercer dans la ville, avait alors ordonn� son hospitalisation imm�diate dans une laconique phrase en arabe dialectal que l�enfant comprit, �clatant en sanglots et opposant un niet cat�gorique � cette d�cision. Le p�re le fit savoir au m�decin qui administra alors � l�enfant une gifle magistrale avant d�accepter son sort et une hospitalisation de dix jours � l�h�pital de Canrobert (Oum-El-Bouaghi) dans une ville qui comptait alors seulement quelques chaumi�res �parses. Depuis, l�enfant se porta comme un charme et ne remit plus les pieds chez un m�decin bien des ann�es apr�s, jusqu�� ce fatidique mois de mars 2009. Inconsolable, Salem, qui venait de perdre un pr�cieux ami d�enfance (Sma�l Aliane) emport� par un cancer, pensait que les douleurs persistantes et insupportables qu�il ressentait au niveau de l�abdomen �taient d�ordre psychiques et li�es au chagrin. Avant que son fils Kamel, m�decin exer�ant en France insiste pour qu�il se fasse examiner. Au service radiologie de la clinique de Cha�b (Mekla), on diagnostiqua une tumeur du rein de 6 cm. Orient� au service urologie du CHU de Tizi-Ouzou, il fut op�r� sous quinzaine. Mais Salem, ce journaliste �m�rite, n��tait pas au bout de ses peines car apr�s sa r�animation, il apprit qu�on l�avait aussi op�r� du c�lon, �galement touch�, et que le scanner n�avait pas d�cel�. Salem qui commen�ait � se r�jouir du succ�s de l�op�ration en d�pit de sept jours de terribles souffrances entub� qu�il �tait de partout, se rendit � l��vidence : il n��tait pas au bout de ses peines malgr� les assurances du corps m�dical. Bien qu�il abhorrait tout ce qui se rapportait � la maladie, les couvertures d��v�nements scientifiques et autres colloques et conf�rences sur la m�decine lui apprirent beaucoup sur la chose m�dicale, lui permettant ainsi de mesurer la gravit� de son cas. Son s�jour au service oncologie de Bellaoua pour six cures de chimio adjuvantes allait confirmer ses craintes. Des s�ances tr�s �prouvantes que notre confr�re affrontait avec un grand courage en lisant ou en s�adonnant aux mots crois�s durant les s�ances. Les multiples effets secondaires de ces s�ances (vomissements, aigreurs, br�lures des membres, d�mangeaisons, constipations, diarrh�es, saignements, �clatement de petites veines, anorexie, �touffements�) �taient atroces. Comme le sont les effets sur son sommeil, troubl� de terrifiants cauchemars. C��tait le d�but d�une descente aux enfers pour notre ami qui, habitu� � �crire sur les faits divers depuis une quinzaine d�ann�es, allait devenir objet de ces m�mes faits divers. Il lui fallait du courage pour surmonter cette terrible �preuve qui s�abattit sur lui au moment o� il s�y attendait le moins, notamment apr�s une retraite bien m�rit�e et apr�s 38 ans de bons et loyaux services au compte de l��ducation, dans une pause qui allait lui permettre de se consacrer enti�rement � l��criture entam�e en 1998, loin du stress quotidien et des pressions administratives de sa tutelle. Ce courage, il le trouvera aussi dans ces innombrables messages et v�ux de gu�rison �manant m�me des USA, de la Norv�ge, de ses proches et amis mais aussi de lecteurs. Sur un site social local, il re�ut une centaine de path�tiques messages d�Alg�rie et de l��tranger, y compris d�anonymes reconnaissants pour tout ce qu�il faisait, non seulement pour sa r�gion, mais par ricochet pour tout le pays en mati�re d�information et d��crits d�non�ant l�injustice et le m�pris. Messages auxquels il r�pondit individuellement en ajoutant des anecdotes ; si bien qu�un �crivain fran�ais, mod�rateur d�un site Web, lui demanda l�autorisation de les publier. Sa r�sistance contre la maladie, il la puisa de cette reconnaissance et de l�amour que lui port�rent les gens, amis, ou confr�res. Et Salem se sentit presque le d�fi de lutter et de vivre aussi pour tous ces gens qu�il ne voulait pas d�cevoir en c�dant � la maladie. De son lit qui pouvait aussi �tre son lit de mort, il lui est arriv� d��crire, oubliant son mal pour dire le mal des autres. A peine sorti de l�h�pital, il renoua avec l��criture alors qu�il se savait en sursis. Que de fois, le corps encore sous l�emprise du poison de la chimio, il couvrit des �v�nements n�cessitant des efforts physiques bien au-dessus de ses possibilit�s, tout cela pour sa passion pour le journalisme et son amour pour les �tres humains. Ses doigts tremblants avaient du mal � taper les messages, mais il conjurait le sort pour en sortir un texte synonyme de d�livrance. La veille d�une d�licate op�ration chirurgicale, il re�ut une information qui l�accapara pour sa r�percussion bien plus que le souci de l�intervention qui l�attendait. Sa vocation pour tout ce qui a trait � la culture et � l�art lui faisait oublier sa maladie jusqu�au jour de ces redout�s contr�les m�dicaux qui r�v�l�rent deux ans apr�s une r�cidive secondaire. C��tait plus que n�en pouvait supporter notre ami qui sentit que, cette fois-ci, la r�cr�ation �tait termin�e. Son oncologue lui conseilla une autre intervention chirurgicale, seule issue pour un autre sursis. C�est au service chirurgie thoracique du CHU d�Alger qu�il se retrouva cette fois-ci avec toutes les craintes que cela faisait peser sur sa vie. La joie ressentie apr�s le succ�s de cette intervention sera de courte dur�e puisqu�une autre intervention �tait n�cessaire pour pr�lever un autre nodule pulmonaire. Une �reprise� dont notre ami sera une fois de plus sauv� mais d�autres �prouvantes s�ances de chimio l�attendaient encore. C��tait le d�but d�une descente aux enfers pour notre ami qui, habitu� � �crire sur les faits divers depuis une quinzaine d�ann�es, allait devenir objet de ces m�mes faits divers. Les op�rations chirurgicales, maintes fois repouss�es pour cause d�anomalies d�cel�es dans les analyses, rajoutaient au drame de notre ami qui savait qu�une course contre la montre �tait chaque fois engag�e pour esp�rer une autre chance de survie. Et c�est ainsi que ces �ch�ances m�dicales avec tout ce qu�elles comportaient comme risques �taient attendues comme une d�livrance. Il revit les p�nibles �preuves du bloc op�ratoire et de la table d�op�ration o� les m�decins anesth�sistes d�ploient des tr�sors de psychologie pour rassurer les op�r�s. Il se rappelait les circoncisions d�antan o� les circonciseurs de l��poque tentaient de d�tendre l�atmosph�re et de disperser leur attention. Les enfants savaient le leurre, mais ils se laissaient toujours embarquer par l�histoire de ces chirurgiens traditionnels. Au CHU Mustapha, il refit l�exp�rience d�une aventure humaine avec cette disponibilit� du personnel m�dical mais aussi des visites familiales, d�amis et de confr�res. C�est aussi une autre forme de solidarit� qu�il d�couvrit avec toutes ces familles qui venaient avec des plats tout pr�par�s pour l�ensemble des malades des deux blocs. Les jeunes patients �taient ravis de profiter des visiteurs insolites de notre ami dont les entra�neurs de football Nourredine Sadi et Sa�d Belkacem, des journalistes et autres figures des arts et culture. Salem sera sensible � l�attention du personnel m�dical et param�dical comme cette infirmi�re qui le gavait de g�teaux pour le petit-d�jeuner ou encore cette cons�ur qui faisait le plein de journaux. Ou encore cette d�l�gation de villageois qui l��mut. Refusant de c�der � la panique, il se ressource dans le livre Anticancerde David Servan-Schreiber qu�il re�ut des mains de son fils, livre offert par son ma�tre de stage dans l�optique d�aider beaucoup de gens. C�est au plus fort de sa maladie que Salem se lan�a dans des ambitions. La finition d�une maison entam�e dans les ann�es 80, les remises � niveau, la lecture, l��criture et l�implication dans les projets des r�seaux associatifs comme le projet de mus�e et de st�le de son village avec un collectif et le concours de villageois jaloux de leur civilisation et de leur histoire. Ils le lui rendirent bien en l�accueillant comme un roi au village � sa sortie de l�h�pital le jour m�me du retour au bercail de Hamou Amirouche, le secr�taire particulier du colonel Amirouche auteur du livre Un an avec le colonel Amirouche. Les veuves de chahid, se rappela-t-il avec �motion, chant�rent longuement son nom au m�me titre que le h�ros Hamou Amirouche. Pour l�anecdote, � la premi�re vente-d�dicace du livre, il fut, bien que convalescent, le premier � rallier la biblioth�que du Tiers-Monde � Alger et se souvint de son interpellation par la police alors qu�il filmait l��v�nement depuis la statue de l�Emir Abdelkader. Les d�boires de notre ami ne s�arr�teront pas l�. Les terribles souffrances des s�ances de chimioth�rapie seront aggrav�es par les p�nuries nationales du m�dicament anticanc�reux, le X�loda, co�tant 200 euros la cure et dont sont tributaires ces s�ances. Il s�en tirera gr�ce � des �mes g�n�reuses mais aussi � la disponibilit� du personnel m�dical et param�dical qui l�adopta. Mais le journalisme continuait de l�habiter. Que de fois il notait d�une main des informations � traiter sit�t la tr�s p�nible cure termin�e alors que l�autre main �tait sous perfusion. Que de fois il re�ut des appels de villageois, victimes de l�arbitraire, pour dire leur mis�re et d�noncer leur marginalisation par les pouvoirs publics. Pr�occupations qui rel�guaient au second plan sa maladie. Un jour, on l�appela pour lui annoncer la mort d�un jeune entra�neur d�arts martiaux � Illoula Ou Malou. Il s�en voulut � mort de ne pouvoir donner suite � l�information, hospitalis� qu�il �tait. A l�h�pital, il se comportait comme un visiteur, jamais comme un malade, faisant partager aux malades ses passions pour le sport, la lecture et la musique. Adolescent, il fut passionn� de cha�bi et du folklore kabyle, chaoui, sta�fi pour avoir v�cu dans ces r�gions, grattant de la guitare et jouant de la fl�te et de la percussion. Dans les ann�es 1970, il para � la d�fection des drabkjide Lounis A�t-Menguellet puis du d�funt A�t-Meslayene en tourn�e dans la r�gion de Bouzegu�ne et qui furent alors les idoles des jeunes. C�est cette passion pour la musique, le sport ou encore la Toile, naviguant des heures durant pour s�informer et se former ou encore tisser des liens avec des personnes tri�es sur le volet � travers tout le territoire national, le Maghreb et l�Europe. Un jour, il fit connaissance avec une dame, actuellement enseignante d�anglais dans une universit� fran�aise et qui fit ses classes avec la d�funte ex-Premier ministre pakistanais, Benazir Butho. Il se souvient avoir fait profiter un couple d�infirmiers de m�thodes p�dagogiques pour les s�ances de soutien scolaire � leurs enfants et fait partager sa passion de la lecture� Portant aux relations humaines une importance capitale, sa d�livrance viendra aussi de l�amiti� et de l�amour que lui portent sa famille, ou encore les gens auxquels il voue un respect quasi sacerdotal comme cette jeune personne qui le surnomma �Le chevalier de l�Orion�, de cette autre qui r�invente chaque jour sp�cialement pour lui des mots d�espoir pour lui faire oublier son mal, de cette jeune �crivaine qui lui proposa de l�aider financi�rement pour faire face � ses soins, ou encore de ce m�decin qui n�attendait que son OK pour lancer un appel aux dons afin de se faire soigner � l��tranger, de ce chef de deux d�partements d�une universit� am�ricaine qui lui voue son admiration, de ces lecteurs et lectrices qui n�arr�tent pas de prier pour lui. De ces manifestations de solidarit� humaine, il tira une raison suppl�mentaire de vivre et de ne pas conna�tre cette terrible travers�e du d�sert que connaissent les personnes atteintes de sa maladie en d�couvrant un jour leur mal. De son exp�rience de la maladie o� il eut � cohabiter � plusieurs reprises avec la mort, il apprit le sens de la vie et l�importance du temps. Ce pourquoi notre ami mord sur la vie � pleines dents en se perdant dans ses innombrables passions pour oublier la maladie en vivant, pour reprendre ses termes, �deux fois par jour�. Il veille tr�s tard apr�s avoir observ� une pause dans la soir�e. Les jeunes patients �taient ravis de profiter des visiteurs insolites de notre ami dont les entra�neurs de football Nourredine Sadi et Sa�d Belkacem, des journalistes et autres figures des arts et culture. Quinze jours apr�s les op�rations chirurgicales d�Alger, il fit un p�lerinage au mus�e de Lalla Fadhma n�Soumeur dans la wilaya de M�d�a que ses anc�tres forgerons aid�rent dans la logistique militaire par les armes et la poudre � canon. Tout comme il fit avec ses amis quatre fois le tour de l�Est alg�rien pour collecter des fonds au mus�e du village. Jamais il ne ressentait autant de joie de vivre que depuis sa maladie devant laquelle il n�abdique pas m�me s�il est conscient de son destin. Durant les r�centes intemp�ries, les gens �taient surpris de le voir au front des hauteurs submerg�es par les neiges. Jusqu�� 3h du matin, il se tenait inform� de l��volution de la situation la neige jusqu�� la taille ! De la folie, lui disait-on, vu son �tat. C�est ma raison de vivre, r�pondait-il. Pour son ressourcement m�dical, Salem fit de sa maladie une amie. Car, estime-t-il, une amie ne trahit jamais celui qui l�aime.