T�t ce matin, je me suis recueilli sur ta tombe. Je l�ai fleurie, puis j�ai pos� ma t�te sur ton �paule et me mis � te raconter une foule de choses. Toutes ces choses enfouies en moi, que toi seul connais. J�ai pris l�habitude de te parler depuis ce jour o� accompagn� de ma m�re, celle-ci me dit : �Tu peux tout lui dire, les morts sont tout ou�e.� La premi�re fois, les mots qui me br�laient les l�vres ne venaient pas. �Absurde ! me disais-je. Comment donc une pierre tombale glaciale, pouvait-elle accomplir ce miracle ?� peu � peu je m�habituai � ces moments d�intimit�. Nous deux, p�re et personne d�autre. Dans ces lieux de repos �ternel toi et moi pour nous conna�tre, puisqu�ils ne nous ont pas accord� ce droit. Eux tes assassins. N�est-ce pas d�raisonnable, diraient certains, de commencer ma journ�e de coll�gien avec une telle morbidit� ? A quoi bon leur r�pondre puisqu�ils se sont octroy� le droit de rendre leur sentence : �Allons donc ! la vie continue� ou encore : �La vie reprend ses droits ?�. Bavards... verbeux... ennuyeux � p�re, si seulement ils pouvaient se taire ! Aujourd�hui p�re, je voudrai que tu dises � ton fils ce qu�est la mort. Oui p�re, qu�est-ce que la mort ? Est-ce cette s�paration qui fait si mal ? Est-ce un voyage sans retour ? un dernier baiser que tu as pos� sur ma joue de b�b� tandis que je dormais encore, le matin funeste o� tes tueurs t�attendaient ? Est-ce un ultime souhait ? Lequel as-tu formul� ce matin-l�, p�re ? La mort �tait dans la maison, elle �tait pench�e sur mon berceau et je dormais. J�avais six mois et j�ignorais que je ne te conna�trai jamais. J�ai treize ans aujourd�hui, je suis ton fils p�re et les souvenirs de ma m�re sont mes souvenirs. Mes seuls souvenirs, c�est elle qui m�a dit comment tu es tomb� � terre apr�s la premi�re balle, comment tu as tent� de te relever. Le second tueur a tir�... tir�. Il ne t�a laiss� aucune chance. C��tait en 1993. Ceux qui t�accompagn�rent � ta derni�re demeure dirent que tu �tais jeune pour mourir. Tu venais de f�ter ta trente-cinqui�me ann�e. As-tu seulement choisi d��tre une victime ? As-tu choisi de mourir cribl� de balles ? Aujourd�hui, peux-tu dire � ton fils qui sont donc les m�res de ces monstres, capables telle une b�te f�roce, de saigner, de lac�rer un homme sans d�fense ? Je veux seulement que tu me r�pondes. Que tu dises � ton fils comment il est possible de se cr�er une vie apr�s la d�vastation ? Avoir de bonnes notes, �tre un bon, voire excellent �l�ve, passer des examens, embrasser une profession ? Oui p�re, je te fais le serment de ne jamais te d�cevoir mais je te supplie de me dire comment ont-ils pens� que toutes ces choses ensevelies en moi, ces choses cruelles qui me rongent la vie allaient �tre balay�es d�un revers de la main appel� �d�cret pour la paix et la r�conciliation� ? Que de fois aije dit � maman : �N�en parlons plus !� croyant me pr�server en faisant de ton assassinat un effroyable silence. Mon silence. Mon supplice muet. Soudain, le jour o� ils ont d�cid� que toi et tes bourreaux �tiez �gaux, ma blessure s�est mise � saigner � nouveau. Le mal est aussi pr�sent qu�au jour o� il est survenu. Vois p�re, ton fils ne pleure jamais. Parce que je n�ai jamais su pleurer ton absence. Tu es en moi... tu es en moi et j�entends cette voix sourde gronder en moi. Elle dit qu�elle a tout son temps... qu�elle attend... elle me fait peur et elle attend... Tu es en moi p�re. Ma violence aussi. Je suis seul � la voir, � l�entendre. Elle gronde... gronde et me fait peur. P�re, peux-tu dire � ton fils ce qu�est le pardon ? J�ai eu beau chercher dans les livres, je n�ai trouv� aucune r�ponse � m�me de me satisfaire. P�re, peut-on pardonner � la place des morts ? P�re, peut-on pardonner � la place des vivants et des morts ? P�re, peut-on pardonner � ceux qui n�ont pas implor� mon pardon ? J�aurais pu vivre heureux � tes c�t�s, j�aurais pu profiter de ton savoir, de ton intelligence, toi qui fus ex�cut� parce que intellectuel. J�aurais pu go�ter � ton affection. Tu aurais pu ch�rir ton fils. J�avais six mois, tu avais trente-cinq ans. Je ne devais pas vivre orphelin. Tu ne devais pas mourir assassin�. Maman ne devait pas �tre veuve. Assassin� ! voil� bien un mot qui m�est familier. Peut-�tre est-ce au berceau qu�il a r�sonn� dans mes oreilles ? Il s�est appropri� ma vie et il me hante de jour comme de nuit. On ne peut pas oublier ASSASSINE. Et aujourd�hui p�re, ils croient pouvoir me sommer de jeter aux orties ton souvenir. En 1993, tu fus assassin�. Cela a �t�. Cela a exist�. Cela sera pour toujours. Je suis ton fils, p�re et tu es en moi. Repose en paix p�re, tu ne dois rien � ton fils. Tu lui a donn� plus que la vie, plus qu�un parchemin, la fiert� de porter ton nom et d��tre l�h�ritier d�une magnifique page d�histoire. Douloureuse, mais si belle ! Tu es mon p�re, le r�publicain victime de leur haine et de leur barbarie. Eux tes bourreaux. Eux auxquels ton fils ne pardonnera jamais. Je t�en fais le serment p�re. Ton fils bien-aim�
PS : La nouvelle parue le 23 mars 2006 avait pour titre �C�est g�n�rationnel monsieur� et non �C�est g�n�ralement monsieur� Toutes mes excuses aux lecteurs qui ont, � ne point en douter, corrig� d�eux-m�mes.