Par Nadji Safir, sociologue ([email protected]) Les r�sultats officiels des �lections l�gislatives du 10 mai 2012 en vue du renouvellement de l�Assembl�e populaire nationale (APN) sont connus. L�importance de l�abstention, officiellement �tablie � 56,86%, doit y �tre relev�e comme un ph�nom�ne politique et social majeur, marquant la faible adh�sion de la population au processus �lectoral engag�. Et ce, alors m�me que la campagne �lectorale, en termes de communication, a �t� men�e dans un contexte marqu� du c�t� des autorit�s par une exag�ration outranci�re, voire une dramatisation tout � fait excessive de l�importance des enjeux li�s � la participation au scrutin. Or, au final, les deux partis constituant le c�ur de l�Alliance pr�sidentielle sortante � le Front de lib�ration nationale (FLN) et le Rassemblement national d�mocratique (RND) � qui, entre autres gr�ce aux dispositions du mode de scrutin retenu, obtiennent respectivement 221 et 70 si�ges de la future APN, ont une base �lectorale de 1 324 363 et 524 057 voix sur un corps �lectoral total de 21 645 841 �lecteurs dont 9 339 026 votants et 7 634 979 suffrages exprim�s. En fait, les deux partis � FLN et RND � tout en obtenant 62,85% des si�ges, ne r�unissent, en derni�re analyse, sous leurs deux banni�res que : 8,53% des inscrits, 19,79% des votants et 24,21% des suffrages exprim�s. C�est donc dire combien leur base sociale r�elle est limit�e par rapport � l�ensemble de la soci�t� en direction de laquelle ils doivent agir. De tels r�sultats que l�on peut supposer comme peu susceptibles d�avoir �t� manipul�s � la baisse par une intervention de l�administration en raison de la forte et directe proximit� des deux acteurs impliqu�s � FLN et RND � avec elle, tout comme ceux obtenus par les formations politiques inscrites dans la mouvance islamiste � la principale coalition de partis islamistes, l�Alliance de l�Alg�rie verte, comprenant le Mouvement de la soci�t� pour la paix (MSP) qui participait � l�Alliance pr�sidentielle sortante, obtient 47 si�ges et 475 049 voix � nous interpellent quant � leurs causes. Six grands ensembles de d�terminations m�ritent d��tre soumis � examen et d�bat : 1 - la centralit� croissante dans la soci�t� alg�rienne de la rente �conomique li�e aux hydrocarbures et de l�ensemble des enjeux individuels et collectifs li�s aux modalit�s d�acc�s direct et indirect � ses ressources : depuis plusieurs d�cennies d�j�, mais de mani�re encore plus nette depuis les ann�es 2000, la soci�t� alg�rienne est domin�e par un contexte �conomique rentier de plus en plus nettement accentu�, voire caricatural. En effet, les ressources li�es aux hydrocarbures repr�sentent sensiblement 35/40% du Produit int�rieur brut (PIB), 65/70% des ressources budg�taires de l�Etat et 98% des exportations. Et c�est ainsi que l�acc�s � ces ressources dont la gestion est assur�e par le pouvoir politique central, seul en charge des modalit�s de leur redistribution, est devenu un enjeu d�cisif pour toutes les strat�gies individuelles et collectives. En fait, d�une mani�re ou d�une autre, directement ou indirectement, tous les acteurs sociaux vont d�velopper des strat�gies afin de maximiser leurs avantages dans la comp�tition g�n�ralis�e qui se d�roule autour de l�acc�s aux ressources concern�es. Les cat�gories sociales ayant b�n�fici� sous une forme quelconque de la redistribution de ces ressources renti�res � mieux assur�e ces deux derni�res ann�es sous les formes les plus diverses comme pare-feu face aux risques de contagion du printemps arabe� � sont celles qui ont constitu� la base sociale majeure de l��lectorat FLN/RND, comme noyau politique central du pouvoir en place et donc, garant du statu quo redistributif. Pour l�essentiel, elles sont compos�es des couches salari�es moyennes et sup�rieures articul�es autour du fonctionnement de l�ensemble des structures publiques : administrations centrales et territoriales, entreprises publiques et locales. Ainsi que des propri�taires des entreprises priv�es b�n�ficiant des march�s publics et des artisans et/ou petits producteurs ayant b�n�fici� de pr�ts publics bonifi�s, notamment dans le secteur de l�agriculture, et des m�mes couches salari�es moyennes et sup�rieures �uvrant dans le secteur priv�. Elles peuvent toutes �tre consid�r�es dans une lecture en termes de �insider/outsider� utilis�e dans certaines approches sociologiques et �conomiques � propos de l�emploi � et que l�on pourrait rendre par �acc�dant/ non acc�dant� � comme �tant des �insiders/acc�dants � pour, � la fois, l�emploi et/ou le revenu et donc, de fait, d�une mani�re ou d�une autre, pour les pr�cieuses ressources renti�res. Peuvent �galement �tre consid�r�es dans ce cas les cat�gories sociales contr�lant gr�ce aux politiques publiques mises en �uvre le fonctionnement des circuits de distribution de �l��conomie de bazar� et des diverses formes d��conomie informelle objectivement mises en place et qui, culturellement, id�ologiquement et fonctionnellement souvent plus proches de la mouvance islamiste, vont constituer la base sociale principale des formations islamistes entr�es en comp�tition. L�ensemble form� par les diverses cat�gories sociales �voqu�s, en r�gle g�n�rale compos� de citoyens plut�t �g�s et relativement bien ins�r�s �conomiquement et socialement, notamment en termes de r�seaux sociaux, souvent de nature client�liste, articul�s autour des canaux formels et informels de redistribution de la rente � de fait donc, tous des �insiders/acc�dants� � va constituer l�essentiel de l��lectorat qui a particip� au processus �lectoral du 10 mai dernier ; 2 - le d�sint�r�t croissant � l��gard des processus politiques officiels de la part d�une jeunesse �conomiquement marginalis�e et qui se sent exclue de la redistribution renti�re : face � cet ensemble, compos� �d�insiders/acc�dants �, dans une soci�t� pourtant domin�e par les jeunes � l��ge m�dian actuel est de 28 ans � existent d�innombrable �outsiders/non acc�dants�, majoritairement jeunes qui vont constituer l�essentiel des abstentionnistes enregistr�s. Comme le r�v�lent, � la fois, le niveau limit� de la contribution en 2010 au PIB de l�industrie (5%) et de l�agriculture (8%) et la g�n�ralisation du recours massif aux importations, y compris de produits sans aucune complexit� technologique, illustrant le processus paradoxal de d�sindustrialisation qui affecte le pays, tous les secteurs �conomiques potentiellement cr�ateurs d�emplois sont en crise profonde. Avec, comme cons�quence directe la plus lourde de cette grave crise, l�importante croissance du ch�mage et du sous-emploi, particuli�rement s�v�res chez les jeunes affect�s par un taux de ch�mage r�el moyen de l�ordre de 35/40% et, en r�alit�, dans certaines zones g�ographiques, bien sup�rieur. A l�exception des cat�gories, nettement minoritaires, de jeunes les plus qualifi�s et les mieux ins�r�s socialement � soit directement soit dans le cadre de strat�gies familiales �, ce sont eux qui d�veloppent des strat�gies de survie dans le cadre de l��conomie de la �d�brouille� mentionn�e et en voie d�expansion, tentant ainsi, eux aussi, d�acc�der � leur mani�re aux ressources renti�res. En r�gle g�n�rale, d��us par les r�sultats qu�ils obtiennent, ils ont le net sentiment d��tre exclus des circuits majeurs de la redistribution renti�re qui, en tout �tat de cause, ne les concerne qu�� la marge et, dans les faits, ne parvient ni � r�duire leur vuln�rabilit� ni � assurer leur insertion sociale, les renfor�ant dans leur positionnement �d�outsiders/ non acc�dants�. M�me lorsqu�il leur arrive de travailler dans le secteur formel dont ils forment, de par leur faible niveau de qualification, les couches salari�es inf�rieures, ils vivent une condition de travailleur pauvre dont les effets n�gatifs ne sont att�nu�s que par le �filet social� de la solidarit� familiale, encore active dans la soci�t�. Tentant � leur mani�re d�exprimer leurs sentiments de r�volte, ainsi que leurs frustrations et ressentiments, dans des processus plut�t individuels et localis�s, ils sont les principaux acteurs des multiples �meutes locales g�n�ralis�es � travers le pays et qui contribuent � y cr�er les conditions d�une pr�occupante situation d�anomie sociale. Face aux processus politiques officiels, tels que celui des r�centes �lections l�gislatives, ils ne se sentent que tr�s faiblement concern�s et vont constituer l�essentiel de la base sociale de la tr�s forte abstention enregistr�e ; 3 - l��volution de la dynamique islamique pr�sente dans la soci�t� alg�rienne vers des pratiques plus religieuses, sociales et culturelles que r�ellement politiques : maintenant durablement install�e dans la soci�t� alg�rienne � au moins depuis le tournant des ann�es 1980/1990 �, il existe une dynamique id�ologique, culturelle et sociale complexe qui, progressivement, a fait de la matrice intellectuelle islamique un des d�terminants majeurs de tous les domaines de la vie en soci�t�. En effet, sur cette p�riode historique, un mouvement d�islamisation de la soci�t� a directement contribu� � installer, au sein m�me des mentalit�s individuelles et collectives , diverses probl�matiques islamiques � y compris dans certaines de leurs versions �salafistes� � comme devant d�sormais constituer les seules options possibles, � l�exclusion de toutes les autres. De ce point de vue, on ne soulignera jamais assez le r�le jou� par cinq importants ensembles d�acteurs institutionnels dont les logiques, pratiques et discours dominants auront fini par converger, cr�ant ainsi les conditions d�une h�g�monie culturelle de nature islamique au sein de la soci�t� : le syst�me �ducatif, le r�seau des mosqu�es, les institutions religieuses traditionnelles, notamment les zaou�as, les m�dias nationaux publics et les cha�nes de t�l�vision satellitaire arabes. Le soutien ostensible accord� par le pouvoir politique en place au mouvement d�islamisation � l��uvre dans la soci�t�, tant qu�il se �limite� � des pratiques religieuses, sociales et culturelles, a contribu� � le faire percevoir � en premier lieu le FLN, surtout en raison de l�action publique de certains de ses courants � par de larges couches de la soci�t� comme garantissant une offre politique cr�dible � caract�re �suffisamment islamique� en termes de contenus religieux, sociaux et culturels tels qu�exprim�s par la demande sociale. Cette offre islamique �moyenne� est d�autant plus attrayante qu�en permettant d��viter le recours aux risques de d�rives politiques que pourraient repr�senter les partis islamistes eux-m�mes, elle appara�t comme un compromis social acceptable, en premier lieu car garant de la stabilit� n�cessaire � la p�rennit� de la redistribution renti�re, surtout aux yeux des �insiders/acc�dants� qui, de par leur �ge et leur statut, fournissent l�essentiel des leaders d�opinion actifs en direction de la soci�t� ; 4 - la monopolisation de l�offre politique de changement possible par la seule mouvance islamiste : en raison du faible impact social des partis politiques non islamistes, autres que le FLN et le RND et ce, pour des raisons complexes, notamment li�es, � la fois, � l�histoire de la colonisation du pays et aux clivages culturels internes qu�elle a g�n�r�s, aux orientations et pratiques politiques privil�gi�es apr�s 1962 et � leur propre incapacit� � formuler un projet politique commun cr�dible, aujourd�hui, tout changement politique substantiel appara�t comme ne pouvant pratiquement se faire qu�au profit de la seule mouvance islamiste. Un tel �verrouillage� de la probl�matique politique nationale, r�duite dans les faits � la seule alternative �pouvoir politique en place ou mouvance islamiste� contribue pour beaucoup � renforcer le premier dans son positionnement affich� en tant que seul garant de la stabilit� face aux risques, voire aux menaces dont serait potentiellement porteur tout changement en faveur de la seconde. Plac�s face � cette probl�matique binaire, pouvant para�tre lourde de cons�quences non ma�trisables en raison de l�histoire r�cente, � la fois, du pays m�me et de certains pays arabes, de nombreux citoyens et, en tout premier lieu, majoritairement, les diff�rentes cat�gories �d�insiders/acc�dants � en position de b�n�ficier, d�une mani�re ou d�une autre, de la politique actuelle de redistribution, dans un r�flexe de type conservateur compr�hensible, ont pr�f�r� se prononcer plut�t pour l�offre politique du pouvoir en place ; 5 - le souvenir toujours vivace des traumatismes individuels et collectifs li�s aux �v�nements des ann�es 1990 qui continuent de fonctionner comme repoussoir : la fa�on dont l�exp�rience de d�mocratisation de la vie politique intervenue apr�s les �v�nements d�Octobre 1988 a �t� men�e et les impasses auxquelles elle a abouti, avec leurs lots de violence exacerb�e des ann�es 1990, ont conduit les citoyens � plus de circonspection � l��gard des graves d�rives que comporte tout processus politique dont les conditions de mise en �uvre apparaissent comme porteuses de risques non ma�tris�s, notamment en termes de violence. En effet, pour l�ensemble de la soci�t�, le douloureux v�cu des ann�es 1990 continue de nourrir les imaginaires individuels et collectifs en souvenirs traumatisants dont nul ne souhaite qu�ils puissent, aujourd�hui, d�une mani�re ou d�une autre, se renouveler. D�autant plus que, le terrorisme islamiste �tant toujours actif, m�me s�il a perdu en intensit�, le sentiment diffus demeure que le pays n�est pas totalement � l�abri d�un regain de ses activit�s et m�me d�un nouvel embrasement que la majorit� de la soci�t� encore fortement traumatis�e � y compris dans ses composantes jeunes � rejette ; 6 - l�influence n�gative du nouveau contexte r�gional dont le caract�re chaotique des transitions qui s�y d�roulent finit par fonctionner comme contre-exemple : en effet, les �volutions politiques en cours dans d�autres pays arabes affect�s par �le printemps arabe� � particuli�rement Tunisie, �gypte et, surtout, Libye et Syrie � r�guli�rement suivies, notamment gr�ce aux cha�nes de t�l�vision satellitaire arabes dont l�influence dans le pays va croissant, et �valu�es, apparaissent, de plus en plus, aux yeux de l�opinion publique comme plut�t d�cevantes. Les majorit�s politiques qui se d�gagent � ou semblent en mesure de se d�gager � dans ces pays �tant largement domin�es par la mouvance islamiste, celle-ci a perdu en l�gitimit� et cr�dibilit� puisqu�elle n�a pas �t� � ou ne semble pas � en mesure d�y r�soudre les probl�mes rencontr�s, notamment d�ordre �conomique, � commencer par celui de l�emploi, de mani�re satisfaisante ; et du moins pas aussi bien qu�elle n�avait cess� de le proclamer. Enfin, il est un facteur dont l�effet sur le comportement des �lecteurs alg�riens n�a pas �t� n�gligeable : celui correspondant � la �th�se du complot� � propos du �printemps arabe� tr�s r�pandue dans l�opinion publique, mais aussi largement utilis�e par le pouvoir en place. Dans une r�action de type nationaliste, tendant � d�montrer une sp�cificit� alg�rienne longtemps r�clam�e et assum�e comme telle, les �lecteurs ont pu vouloir, en quelque sorte, prouver leur �anticonformisme� en se d�marquant de la mouvance islamiste per�ue et/ou pr�sent�e comme manipul�e, et ce, de mani�re tout � fait �paradoxale � par un �Occident� dont les strat�gies en direction des mondes arabe et musulman sont souvent analys�es comme contraires aux int�r�ts de leurs peuples. Aujourd�hui, avec la nouvelle majorit� parlementaire qui s�annonce � probable alliance FLN/RND, ouverte ou non � une tierce force � la donne politique nationale formelle qui est apparue ne conna�t aucune �volution significative majeure. Elle consacre un ordre rentier pr�caire, dont le pr�sident Abdelaziz Bouteflika, ainsi que l�illustrent son discours du 8 mai 2012 � S�tif et son probable pl�biscite dans les urnes, se pose comme le gardien. Elle est nettement domin�e par l��mergence d�un grand p�le conservateur, autour du noyau FLN/RND, fondamentalement garant d�un ordre doublement rentier et, en fait, engag� dans une course contre le temps, perdue d�avance. En raison de l�inexorable processus d��puisement, d�j� largement entam�, de ses deux sources constitutives : la rente politique fond�e sur l�instrumentalisation du patrimoine symbolique datant de la guerre de Lib�ration nationale, et � laquelle les nouvelles g�n�rations sont d�j� et seront de moins en moins sensibles ; la rente �conomique, li�e � la commercialisation des hydrocarbures � ressource fossile non renouvelable � sur le march� mondial et dont les r�serves nationales, plut�t limit�es � ne sont certainement pas in�puisables. Pour aller � l�essentiel, le d�fi le plus important, auquel est aujourd�hui clairement confront�e la soci�t� alg�rienne, est celui de sortir le plus rapidement possible du sc�nario actuel de �croissance �conomique-fiction� exhibant, comme autant de preuves de son existence et de son efficacit� suppos�es, d�une part, la croissance annuelle du PIB, bas�e sur une exploitation de nos ressources naturelles ; alors que cette croissance n�a aucun sens en elle-m�me et ne peut en avoir que si, en m�me temps, elle contribue directement � g�n�rer de nouvelles sources durables de cr�ation de richesses ; ce qui actuellement n�est pas le cas. Et de l�autre, une accumulation de r�serves de change � actuellement de l�ordre de 205 milliards de dollars � strictement li�e � la valorisation des hydrocarbures et dont le statut, en termes d�affectation productive sociale optimale, doit absolument �tre interrog�, en fonction de la seule grille de lecture possible : celle des r�els probl�mes de toutes natures que vit la soci�t� alg�rienne et dont la solution imposerait pr�cis�ment la mobilisation productive des ressources immobilis�es qui, en l��tat actuel, ne font qu�aggraver le syndrome rentier en cours. En fait, la soci�t� alg�rienne doit aujourd�hui imp�rativement faire la preuve de ses capacit�s � cr�er de nouvelles richesses par la production de biens � hors hydrocarbures � de services et de connaissances, et ce, en fonction de nouveaux imp�ratifs li�s � sa participation active aux �changes mondiaux, eux-m�mes actuellement caract�ris�s par l�importance croissante de l��conomie de la connaissance. A cet �gard, pour ce qui concerne la production de connaissances qui pose directement la question des capacit�s nationales g�n�r�es par le fonctionnement des syst�mes d��ducation et de formation et de la recherche scientifique et d�innovation, il convient d��tre conscient de leur n�cessaire articulation structurelle avec l��conomie, les trois ne pouvant fonctionner qu�en �troite symbiose. D�s lors, il est vain de croire qu�un pays sans un secteur productif � hors hydrocarbures � de qualit� puisse avoir des syst�mes d��ducation et de formation ainsi que de recherche et d�innovation qui le seraient. L�enjeu productif est d�autant plus important que, de toute �vidence, il n�y a aucune autre solution possible aux graves probl�mes d�emploi que conna�t le pays � notamment chez les jeunes, victimes de taux de ch�mage et de sous-emploi exceptionnellement �lev�s entretenant directement leur fort sentiment d�exclusion � que l�urgente d�finition et application de nouvelles politiques �conomiques et sociales visant la mise en place d�une r�elle base productive nationale. Et, ipso facto, refondant les conditions de la r�partition de la richesse ainsi cr��e en fonction de crit�res d�efficience centr�s sur le travail, la cr�ativit� et le m�rite. Dans le contexte actuel du pays, o� elles sont plus pertinentes que jamais, les premi�res lignes du dernier chapitre de la Th�orie G�n�rale de l��conomiste John Maynard Keynes m�ritent d��tre relues et m�dit�es : �Les deux vices marquants du monde �conomique o� nous vivons sont, le premier, que le plein emploi n�y est pas assur�, le second, que la r�partition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d��quit�.� Les �lections l�gislatives qui viennent de se d�rouler continuent de maintenir la soci�t� alg�rienne � comme depuis longtemps � dans une situation nettement caract�ris�e par la domination des apparences et des enjeux formels au d�triment de la prise en charge des v�ritables probl�mes auxquels elle doit faire face. Sa jeunesse surtout, dont les diff�rentes modalit�s de r�ponses � ses immenses besoins doivent devenir la r�f�rence majeure des politiques � conduire dans tous les domaines. Et ces derni�res �lections ne peuvent avoir de sens � comme phase n�cessaire mais non suffisante � que si elles permettent l��mergence des conditions de d�finition et de mise en �uvre de ces nouvelles politiques dont l�urgence s�impose. Or, de ce point de vue, comme d�j� soulign�, la base �lectorale � et donc aussi n�cessairement sociale � �troite du pouvoir politique qui se dessine n�incite gu�re � penser que cette tr�s forte contrainte pourra, du jour au lendemain, �tre lev�e par les simples processus politiques formels inh�rents aux lendemains de telles �ch�ances �lectorales, tels qu�un simple changement de gouvernement. Car il ne faut pas s�y tromper, si l�on en juge par l�importance, � la fois, des d�fis de toute nature qui sont ceux de la soci�t� alg�rienne, en g�n�ral, et surtout des sentiments d�exclusion qui existent chez une tr�s grande partie de la jeunesse, en particulier, la �victoire� du pouvoir politique en place intervenue aux �lections l�gislatives est clairement en trompe-l��il. R�inscrite dans le contexte g�n�ral des �volutions profondes de la soci�t� et de l�ensemble des donn�es caract�risant le processus �lectoral, elle ne modifie en rien des processus sociaux structurellement complexes toujours � l��uvre et pouvant, demain, � tout moment, g�n�rer des formes de violence d�une intensit� bien sup�rieure � celle qu�aujourd�hui nous connaissons dans des �meutes locales aussi largement r�pandues que facilement contenues. En derni�re analyse, la soci�t� alg�rienne - par le biais de ses �lites, dans toute la diversit� de leur composition, militaire comprise car partie prenante majeure du pouvoir politique r�el et rarement interpel�e sur les fondements de la l�gitimit� de ce statut - doit s�organiser pour n�gocier de mani�re ouverte et d�mocratique les conditions d�un �nouveau pacte social�, comme condition de la formulation � plus complexe et plus longue � faire m�rir � d�un v�ritable �projet de modernit� dont la pertinence historique ne saurait se d�mentir. Un tel �pacte� doit accompagner le changement de cap qui, de plus en plus, s�impose en raison des tr�s nombreux risques syst�miques pesant sur l�avenir du pays et en mena�ant directement la stabilit�. Qu�ils soient internes (croissance d�mographique encore significative, sousemploi et ch�mage importants, limites des r�serves en hydrocarbures, capacit�s limit�es du march� national, contraintes li�es � l�am�nagement du territoire, cons�quences directes dans le pays des crises climatique et �cologique mondiales�) ou externes (crises climatique et �cologique mondiales, turbulences probables li�es aux �volutions de l��conomie mondiale entr�e dans une phase relativement longue de reconfiguration des rapports entre ses principaux acteurs avec d�in�vitables ondes de choc et r�pliques vers �le reste du monde�, instabilit� pr�visible de l�environnement r�gional notamment dans toute la zone saharo-sah�lienne�). Ce �pacte� visera � assurer en priorit� une transition �conomique effective vers les exigeantes r�alit�s d�une nouvelle sph�re nationale de la production de biens - hors hydrocarbures - de services et, surtout, de connaissances fonctionnant au diapason des rythmes du monde dans lequel nous vivons. Ce �pacte� suppose, d�une part, une large alliance entre toutes les forces sociales et politiques attach�es � l��mergence d�une �conomie nationale bas�e sur une nouvelle logique productive, orient�e vers la satisfaction des besoins des jeunes g�n�rations et marginalisant progressivement l�impact de la rente. Et, de l�autre, le fonctionnement efficient d�un Etat fort de plus en plus strat�ge et de moins en moins directement entrepreneur, � l�exception d�activit�s strat�giques strictement d�finies comme telles. Lui seul est en mesure d�assurer une sortie �par le haut� consensuelle et non-violente des trop faciles illusions renti�res qui, insidieusement, chaque jour un peu plus, aggravent la crise complexe - y compris morale, comme le prouve l�extension du ph�nom�ne de la corruption - que vit le pays et compromettent ses perspectives d�avenir. En m�me temps que sa dimension �conomique, ce �pacte� comportera �galement une dimension politique visant � assurer, par del� tout fonctionnement institutionnel formel du syst�me d�mocratique, souvent vid� de son contenu dans les pratiques quotidiennes effectives qui le caract�risent, la mise en place de l�ensemble des pouvoirs et contre-pouvoirs dont l�architecture des �quilibres respectant le principe de �accountability/redevabilit� - soit la n�cessit� pour chaque acteur social de rendre des comptes � la soci�t� - est la seule garante du fonctionnement d�une d�mocratie r�elle et d�une �conomie efficiente. De mani�re plus g�n�rale et pour conclure en abordant une dimension ontologique, incontournable dans la crise que nous vivons, je dirai, en paraphrasant une formule c�l�bre, que, tout comme on ne na�t pas rentier et qu�on le devient, il est tout aussi possible d��voluer en sens inverse et donc, un jour, de ne plus l��tre ; il suffit de le vouloir. Car il convient de ne jamais oublier une saine r�gle d��thique � individuelle et collective � que l��crivain fran�ais Andr� Gide avait ainsi formul�e : �Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.� En effet, sinon, toute pente � � commencer par celle, doucereuse, de la rente � ne peut �tre que fatale.