Par Nadji Safir, sociologue [email protected] Les �meutes urbaines dans le pays, depuis longtemps banalis�es et fonctionnant comme un mode socialement int�gr� et l�gitim� d�expression en direction du pouvoir politique de diff�rentes revendications � port�e locale, ont pourtant atteint au mois de janvier un seuil paroxystique qui, par son extension et son acuit�, a pu surprendre. Or, en m�me temps, la r�volution d�mocratique en cours en Tunisie et qui y a conduit au changement de r�gime, par la force du message dont elle est porteuse et qui, de tr�s loin, d�passe les fronti�res du pays, commence � faire sentir ses effets directs dans plusieurs pays arabes, � commencer par l��gypte, tout comme en Alg�rie m�me. Ainsi dans diff�rentes r�gions du pays, dans un geste de toute �vidence inspir� par les exemples tunisiens, plusieurs citoyens viennent de s�immoler par le feu pour protester symboliquement et publiquement contre, � la fois, leur situation qu�ils estiment inacceptable et le pouvoir politique en place qu�ils en estiment directement responsable. Proc�dant de la m�me volont� de contestation de l�ordre politique en place, des manifestations veulent, elles aussi, exprimer dans l�espace public des revendications de divers ordres, notamment de consolidation des conditions de l�expression d�mocratique. Pesant tous directement sur le fonctionnement de la soci�t�, objectivement et/ou symboliquement, ces divers �v�nements, par del� leur imm�diatet� factuelle, constituent en r�alit� autant d�indicateurs rendant compte de tendances lourdes, d�notant tout autant les dysfonctionnements que les dynamismes qui caract�risent les v�ritables �volutions en profondeur de la soci�t� alg�rienne. Et ce sont pr�cis�ment ces �volutions de la soci�t� que nous devons tenter de comprendre alors que le pays, qui s�appr�te � c�l�brer l�an prochain le cinquanti�me anniversaire de son ind�pendance, entre, plus que jamais, dans une phase symbolique longue � allant jusqu�au 60e anniversaire de Novembre 1954 � et longtemps attendue, de bilans de toutes natures. Or, en s�inscrivant dans une vision de moyen et long terme, si le pays veut �tre en mesure de relever les �normes d�fis qui, depuis longtemps d�j�, sont les siens et, surtout, ceux encore plus difficiles � et incontournables � qui l�attendent, ces bilans, pour permettre de d�gager des perspectives, doivent non seulement �tre extr�mement lucides au plan des �volutions et contraintes endog�nes, mais �galement tenir compte des profondes mutations � exog�nes � en cours dans un monde en basculement et qui, toutes directement, nous interpellent aussi. Et c�est sous cet angle, donc, que quatre domaines essentiels m�ritent de retenir notre attention. Economique, parce que le pays est directement concern� dans le contexte des grands bouleversements qui affectent le monde et qui en interpellent tous les acteurs en termes de capacit�s effectives � formuler un projet coh�rent et cr�dible � aux plans national et international� d�insertion dynamique dans les processus de mondialisation. Or, en dehors de l�exportation d�hydrocarbures, l��conomie alg�rienne, tr�s peu diversifi�e, ne participe que faiblement aux �changes mondiaux en tant qu�acteur significatif, comme l�indique �galement la faiblesse patente, hors hydrocarbures, � la fois, des investissements directs �trangers et des exportations. Elle appara�t comme durablement install�e dans une situation structurelle que r�sument bien trois indicateurs importants : les ressources financi�res li�es � la rente provenant de la valorisation des hydrocarbures sur le march� mondial repr�sentent, depuis plusieurs ann�es sensiblement, 50% du produit int�rieur brut, 70% des recettes budg�taires de l�Etat et 98% des recettes d�exportations. Tous les indicateurs sont clairs et vont dans le sens d�une �conomie tr�s largement domin�e par une logique renti�re syst�mique dont les effets n�gatifs � notamment en termes de d�valorisation croissante du travail physique et intellectuel en raison de son d�couplage avec les revenus, qu�il permet directement en lui-m�me d�assurer � se sont tr�s largement diffus�s, en quelque sorte par capillarit� sociale, dans toute la soci�t�, � commencer par l��conomie dont les activit�s de production ne cessent de r�gresser. De r�centes d�clarations du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qualifiant la situation comme �inacceptable�, lors de sa derni�re �d�claration de politique g�n�rale�, � la fin de l�ann�e 2010, devant les deux chambres du Parlement, sont extr�mement significatives de la d�gradation de la situation �conomique du pays que caract�rise la faiblesse manifeste de sa production, hors hydrocarbures, notamment celle de l�industrie : �L�industrie se voit de plus en plus marginalis�e et n'a particip� qu'� pr�s de 5% de la valeur ajout�e globale de l'ann�e derni�re, soit moins que la part des services de l'administration.� Or, la faiblesse constat�e de la production affecte aussi l�agriculture, surtout eu �gard � l��volution de la demande li�e � celle de la population, notamment pour tout ce qui concerne les c�r�ales, composante de base du mod�le de consommation alimentaire des m�nages. Ainsi, le pays est-il devenu depuis de longues ann�es l�un des premiers importateurs de c�r�ales au monde � � hauteur de 75% de ses besoins � et sa �facture alimentaire�, repr�sentant 20% de ses importations et assur�e gr�ce aux ressources renti�res, est-elle estim�e, pour l�ann�e 2008, � 8 milliards de dollars. Actuellement, le pays est enferr� dans une logique dominante d�accumulation essentiellement mat�rielle � � la p�riph�rie des vrais enjeux contemporains �voluant vers la ma�trise de l�immat�riel � centr�e sur une politique de grands travaux d�infrastructure, quasi-exclusivement financ�e par des ressources publiques d�origine renti�re et dont la principale faiblesse est de ne pas �tre inscrite dans une vision globale et � long terme, d�abord fondamentalement articul�e autour de n�cessaires nouveaux modes de production de la richesse. Ainsi pi�g�, le pays risque s�rieusement de se marginaliser eu �gard aux conditions dominantes de la comp�tition mondiale centr�e sur les �changes de biens et de services et d�avoir donc, demain, de s�rieuses difficult�s pour y trouver sa place. Il est donc grand temps pour lui de sortir de la satisfaction trop facile que procurent les �volutions positives du taux de croissance du produit int�rieur brut (PIB) qui n�ont absolument aucun sens en elles-m�mes et doivent toujours �tre r�interrog�es, au moins, quant � la nature m�me des activit�s sectorielles y ayant contribu�. D�autant qu�en l�occurrence elles renvoient directement � une destruction de richesse � la consommation irr�versible d�un stock non renouvelable d�hydrocarbures fossiles � qui, si elle n�est pas utilis�e pour mettre en place de nouvelles sources de cr�ation effective et durable de richesse par la production de connaissances, de biens et de services, correspond � un processus d�appauvrissement de la collectivit� nationale qui, au sens large, int�gre n�cessairement les g�n�rations futures. A cet �gard, la question de l��valuation objective de la croissance �conomique doit �tre compl�tement repens�e et ne plus d�pendre du seul indicateur fallacieux que repr�sente le PIB, stricto sensu, en prenant en consid�ration plusieurs indicateurs � dont le PIB � int�gr�s dans un tableau de bord multidimensionnel, visant � saisir les conditions r�elles dans lesquelles �voluent l��conomie, la soci�t� et la nature. Scientifique, car, dans un monde de plus en plus fortement domin� par le r�le croissant qu�y jouent la science et la technologie, ainsi que les technologies de l�information et de la communication (TIC), la question du degr� d�effectivit� de leur ma�trise sociale �comme processus social complexe de constitution d�une intelligence collective en r�seau, d�passant donc les seuls apprentissages techniques individuels - devient, � tous �gards, un enjeu absolument essentiel. Ainsi en ce qui concerne l�enseignement des sciences et math�matiques avant l�universit�, apr�s 4 et 8 ann�es de scolarit�, les performances du pays � tout comme celles des autres pays arabes, sur la base des r�sultats d�une grande enqu�te internationale (TIMSS 2007) � sont nettement class�es en dessous de la moyenne mondiale. Sur la base des donn�es pr�sent�es dans le dernier rapport de l�Unesco sur la science � celui de 2010, dont le premier chapitre est pr�cis�ment intitul� �le r�le croissant de la connaissance dans l��conomie mondiale� � la production d�articles scientifiques cit�s dans des revues de r�f�rence par millions d�habitants est de 37,5 en Alg�rie pour des moyennes, arabe de 41, et mondiale de 147. Par ailleurs, l�Alg�rie n�a aucune contribution notable en termes de d�p�ts de brevets et aucune de ses universit�s n�appara�t dans les classements internationaux significatifs. En ce qui concerne l��tat de l��conomie de la connaissance, � partir de deux indices calcul�s, pour l�ann�e 2009, par la Banque mondiale, l�Alg�rie, avec des performances de, respectivement, 3,22 et 3,57 � par rapport � une moyenne mondiale de 5,95 et 6,19 et une moyenne de la r�gion Mena �Middle East and North Africa� � laquelle elle appartient de 5,47 et 5,68 � est class�e au 105e rang mondial sur 146 pays consid�r�s. Pour la capacit� � diffuser et ma�triser l�utilisation des TIC � telle que saisie par un indice �network readiness index� calcul� pour 2009-2010 par le Forum �conomique mondial � sur 133 pays class�s, l�Alg�rie est 113e. Un tr�s net constat de faibles performances du pays peut �tre �tabli pour un ensemble de param�tres d�terminants qui, tous, de plus en plus, sont au c�ur m�me des leviers les plus fondamentaux de toute croissance �conomique contemporaine saine et qui ne peut s�articuler qu�autour de la connaissance comme facteur directement int�gr� dans la production de biens et de services et ce, dans les conditions de la comp�tition mondiale. Social, puisque l�examen des demandes de toutes natures formul�es par la population � particuli�rement jeune, la moiti� ayant moins de 27 ans � ainsi que des principales �volutions de la soci�t�, indique clairement que, malgr� les nombreux progr�s accomplis par le pays dans divers domaines, obtenus surtout gr�ce � la redistribution des ressources renti�res � l�esp�rance de vie est actuellement sup�rieure � 74 ans � un malaise social tr�s profond, de type anomique, aux manifestations de plus en plus nombreuses et visibles, existe. L�un de ses fondements les plus essentiels r�side, en tout premier lieu � l��vidence, dans la durable extension de divers ph�nom�nes aussi symptomatiques que le ch�mage et le sous-emploi � notamment de jeunes dipl�m�s y compris de l�enseignement sup�rieur � d�sormais devenus end�miques. A cet �gard, bien qu�il soit difficile de disposer de donn�es fiables sur les questions �voqu�es � les statistiques officielles �tant souvent sujettes � contestation �, il convient de retenir que depuis de longues ann�es d�j�, selon diverses sources d�information, dont celles de la Banque mondiale et du Fonds mon�taire international, la moyenne des taux de ch�mage et de sous-emploi en Alg�rie � notamment des jeunes, de l�ordre de 30% � est r�guli�rement bien plus �lev�e que celle de pays �conomiquement proches. Par leur poids croissant, ces deux ph�nom�nes constituent une contrainte majeure � assimilable � une v�ritable �bombe � retardement� � pesant lourdement sur tous les �quilibres �conomiques, sociaux et politiques du pays dont ils menacent directement les conditions de croissance et de stabilit�. En effet, celles-ci ne pourront longtemps d�pendre des diverses �conomies de bazar, de l�informel, de la d�brouille, voire de la survie � incluant de larges pans ob�issant � des logiques mafieuses � qui, de plus en plus �troitement li�es et durablement install�es, d�valorisent socialement le travail physique et intellectuel et, ipso facto, minent les conditions de formulation et de mise en �uvre d�une politique �conomique adapt�e aux �volutions mondiales. En ce qui concerne le malaise social �voqu�, en t�moignent la violence, souvent d�une latence pr�gnante, et la criminalit� ou l��migration clandestine � de la part des jeunes harraga � vers l�Europe ou la consommation de drogues ou la corruption � divers niveaux d�institutions publiques, nationales et locales ou le manque de consid�ration pour l�espace et l�hygi�ne publics ou le renforcement de l�attachement des individus aux groupes primaires comme rep�res dominants de leurs comportements publics conduisant au client�lisme et au r�gionalisme. Ou bien encore les formes r�currentes d��meutes urbaines, selon diff�rents degr�s d�acuit� et dont la r�cente et violente �ruption ne constitue qu�un moment � certes, fort � dans une succession d��v�nements appel�e, de toute �vidence, � se poursuivre. Tous, d�sormais amplement banalis�s � la sur-utilisation dans bien des circonstances de la vie quotidienne par les jeunes du mot �normal�, curieusement prononc� en fran�ais et sur un mode aussi ironique qu�amer est un signe tr�s r�v�lateur d�un profond ressentiment � ces ph�nom�nes sont progressivement devenus des caract�ristiques structurelles du fonctionnement de la soci�t� et fa�onnent en profondeur les rapports qu�elle entretient avec l�Etat qui, de plus en plus, sont empreints de distance, voire de d�fiance. L�importance des probl�mes identifi�s dans la soci�t� indique clairement que le discours officiel y perd r�guli�rement en efficacit� pour tout ce qui concerne l�imposition de ses normes et valeurs, telles que th�oriquement postul�es et proclam�es avec comme cons�quence directe un �divorce� de fait entre soci�t� et Etat. Tout se passant comme si leurs valeurs, logiques et pratiques dominantes respectives fonctionnaient sur des plans diff�rents, mais en maintenant, par un accord tacite, � chaque fois que n�cessaire, un seul terrain de rencontre � tout � fait d�cisif pour la pr�servation des grands �quilibres politiques et sociaux � celui relatif aux diverses formes de redistribution des ressources renti�res, inscrites au c�ur m�me du �contrat social� implicitement nou�, depuis longtemps d�j� entr� en crise et dont chacun a conscience que c�est bien de son maintien que d�pend un degr� minimum de coh�sion de la soci�t�. Politique, dans la mesure o�, alors que l�hypoth�que terroriste est toujours pr�sente, les probl�mes rencontr�s par le pays posent directement la question de la responsabilit� des �lites qui ont effectivement eu la charge des affaires publiques et qui doivent faire le bilan des actions qu�elles ont conduites. Etant entendu que, par del� le r�le des individus � certes important et qui doit �tre �valu� � est directement interpell� celui de la nature du syst�me politique en place, en tant qu�ensemble organis� d�institutions, de discours et de m�canismes de prise de d�cision, consid�r� dans ses deux types de fonctionnement : formel, mais surtout r�el qui, de plus en plus, peut �tre caract�ris� comme de type oligarchique. A cet �gard, il est tr�s significatif que, depuis quelque temps, de nombreux d�bats publics ont directement �voqu� � th�me trop longtemps refoul� � le r�le que joue l�arm�e, en tant qu�institution, dans de nombreux processus de prise de d�cision � caract�re politique, qui ne rel�vent donc pas de ses domaines de comp�tence, stricto sensu. Or, il est clair que cet �largissement du champ d�action de l�arm�e hors de ses attributions formelles trouve sa l�gitimit� dans l�h�ritage qu�elle est cens�e assumer en tant que, formellement, elle se pose comme continuatrice de l�action fondatrice de l�Arm�e de lib�ration nationale. De mani�re plus g�n�rale, le champ politique, actuellement domin� par les trois grandes formations politiques constituant l�Alliance pr�sidentielle � Front de lib�ration nationale et Rassemblement national d�mocratique, inscrits en droite ligne de l�action du FLN �historique�, et Mouvement de la soci�t� de la paix, d�inspiration islamiste � demeure fondamentalement marqu� par un discours tirant toute sa l�gitimit� de la continuit� eu �gard au message et l�action du FLN �historique �. En fait, tout se passe comme si, dans le domaine politique aussi, fonctionnait une logique de rente, d�origine historique � constitu�e par toute l�accumulation de production symbolique g�n�r�e � partir de 1954, comme rupture fondatrice � dont la plupart des acteurs politiques, ainsi que nombre de ceux s�exprimant au nom de la soci�t� civile, continuent, d�une mani�re ou d�une autre, de b�n�ficier, en usant et en abusant pour justifier leurs pratiques quotidiennes dans un contexte de plus en plus objectivement �loign� de celui des origines fondatrices. Pendant tr�s longtemps dynamique et cr�ative, cette production symbolique �tait, � la fois, socialement l�gitime et porteuse de sens aux plans historique, soci�tal et ontologique. Puis, fig�e et fossilis�e, elle s�est progressivement transform�e, de facto, en une source de rente car, le temps passant, elle correspondait de moins en moins � une activit� de production de dynamiques, r�f�rences et pratiques originales plus ou moins proches de celles initi�es par les �p�res fondateurs�. Or, de plus en plus, par une logique de d�tournement de sens et de captation, elle est devenue un simple moyen d�autol�gitimation de pouvoirs en place, en panne totale d�imagination et, surtout, soucieux de se perp�tuer le plus longtemps possible en utilisant pour se reproduire, selon les m�mes logiques fondamentales de stricte instrumentalisation � outre le �stock disponible� d�hydrocarbures � le �stock disponible� de l�gitimit� historique. D�ailleurs, d�un point de vue symbolique, la meilleure illustration de cette logique consiste dans l�utilisation encore faite de l�appellation m�me de FLN, d�sormais compl�tement vid�e de son sens, pour d�signer un parti politique. Alors que, depuis l�instauration du multipartisme, elle aurait d� �tre interdite afin de ne pas porter atteinte � un riche patrimoine historique � appartenant depuis longtemps d�j� � la m�moire collective et relevant de l�analyse historique critique � et qui ne saurait, dans une d�marche de manipulation politicienne, �tre r�trograd� au rang de banal acteur de la vie politique. En fait, une analyse du paradigme structurel fondamental selon lequel a �volu�, depuis 1962, la soci�t� alg�rienne contemporaine, sous l�angle de sa d�construction th�orique pour mieux en comprendre les fondements m�mes, permet de conclure qu�il s�est progressivement constitu�, puis s�est affirm� et a fonctionn� autour de deux logiques syst�miques crois�es de rente. Bien que d�origines diff�rentes, elles ont fini par entretenir entre elles, notamment aussi de par leur instrumentalisation politique, d��troites relations et en sont devenus les substrats fondamentaux. La premi�re, objectivement caract�risable comme telle, � caract�re �conomique et � finalit� �conomique, sociale et politique, est bas�e sur l�exploitation des hydrocarbures et leur valorisation sur le march� mondial. La seconde, symboliquement caract�risable comme telle, � caract�re historique et � finalit� sociale et politique, est bas�e sur l�exploitation de la forte l�gitimit� historique acquise lors de l�action men�e contre le colonialisme pour lib�rer le pays. Et, au final, c�est donc bien � partir de ce paradigme bi-rentier, agissant comme incontournable et ultime syst�me g�n�ral de r�f�rence, que tous les acteurs sociaux � consciemment ou inconsciemment, d�une mani�re ou d�une autre � dans leurs pratiques individuelles et collectives ont d�ploy� leurs strat�gies de d�fense de leurs int�r�ts en tentant de maximiser les avantages � mat�riels et/ou symboliques � qu�ils pouvaient retirer de leur recours � l�une ou � l�autre des deux rentes ou, de mani�re plus g�n�rale, �tant donn� leur �troite articulation, aux deux � la fois. Ce paradigme bi-rentier qui a, pendant longtemps, constitu� un cadre de r�f�rence pour, � la fois, la soci�t� et l�Etat, a r�uni autour de lui un fort consensus social, malgr� les ind�niables in�galit�s pr�valant dans les possibilit�s d�acc�s aux avantages qui y sont plus ou moins directement attach�s en raison, d�abord, des nombreux processus de forte mobilit� sociale ascendante qui en ont proc�d� et ont compl�tement boulevers� les structures de la soci�t� alg�rienne, telles qu�elles �taient � la veille du d�clenchement de la guerre de lib�ration. Or, aujourd�hui, ce paradigme bi-rentier � de par sa nature m�me, objectivement engag� d�s le d�part dans une course contre le temps � est d�j� entr� en crise et, de plus en plus, il entre inexorablement dans une spirale descendante en raison de l��puisement progressif des capacit�s d�efficacit� sociale de ses deux sources de rente, toutes deux non renouvelables. La premi�re, car, en termes d�offre, le stock d�hydrocarbures fossiles ne peut que d�cliner alors qu�en termes de demande, la population potentiellement b�n�ficiaire ne peut que cro�tre (de l�ordre de 50 millions d�habitants en 2050) limitant de beaucoup les marges de man�uvre qu�ont pu, pendant longtemps, constituer les m�canismes de redistribution de la rente. La seconde, car en termes d�offre, le stock de l�gitimit� historique diminue, puisque relevant de moins en moins d�actions tangibles et de plus en plus du registre symbolique des m�moires collective et individuelle alors qu�en termes de demande, celle-ci est de plus en plus faible, venant de la part d�une population jeune de moins en moins sensible au discours officiel tenu qui �voque des r�alit�s qu�elle n�a jamais connues et qui, pour sa part, exprime, avant tout, une demande en termes de projet d�avenir. Dans ce sens, un examen des perspectives qui se dessinent pour la soci�t� alg�rienne permet de formuler l�hypoth�se que les ann�es � venir vont n�cessairement correspondre � une difficile phase de transition syst�mique � de fait, largement entam�e et appel�e � �tre r�guli�rement rythm�e par des phases de tensions, de toutes natures et plus ou moins aigu�s � entre l�ancien paradigme birentier, aujourd�hui d�j� entr� en crise, en cons�quence de moins en moins efficace et in�luctablement destin� � dispara�tre, et un nouveau paradigme dont les contours commencent � se dessiner, le contenu en demeurant encore impr�cis. Cette transition actuellement en cours et absolument in�luctable � aucun �plan B� n��tant s�rieusement envisageable ; d�ailleurs lequel pourrait-il �tre ? � est caract�ris�e par une tendance lourde qui, de plus en plus, y occupera une place centrale et en fonde conceptuellement le caract�re syst�mique. C�est le changement progressif de la nature des substrats fondamentaux sur lesquels repose le paradigme structurel de la soci�t� et qui, n�cessairement, �volueront en passant de logiques de rente � en voie d�extinction � � des logiques de production � en voie d��mergence � notamment sur deux plans. Au plan �conomique, d�abord, sa condition de base est celle de la red�finition radicale des conditions de production durable de la richesse nationale. Le nouveau mod�le devra �tre � la hauteur des exigences, d�une part, d�une offre de travail pendant encore longtemps tr�s �lev�e et source directe d�un fort potentiel d�instabilit� sociale et politique et, d�autre part, d�une comp�tition mondiale de plus en plus rude � laquelle il devra contribuer par ses propres dynamiques de production de biens, services et connaissances. De ce point de vue, les capacit�s effectives de production et d�exportation hors-hydrocarbures de l�Alg�rie, particuli�rement faibles depuis longtemps, ne pourront certainement pas �tre transform�es du jour au lendemain et supposent de tr�s profondes r�formes visant � mettre en place un syst�me productif totalement r�nov� et r�ellement en mesure, par la mise effective au travail de l��norme potentiel humain en place, de participer � la comp�tition internationale. Or, les d�ficits actuels en la mati�re demeurent importants et constituent de fortes contraintes s�imposant n�cessairement � la nouvelle d�marche. Ainsi, en ce qui concerne un autre indicateur r�v�lateur � celui de la comp�titivit� globale telle que saisie selon un indice calcul� par le Forum �conomique mondial � l�Alg�rie est-elle, en 2010, au 86e rang sur 139 pays consid�r�s ; le premier pays arabe class�, Qatar, est 17e, l�Arabie saoudite 21e, la Tunisie, 32e, le Maroc 75e et l��gypte 81e ; par ailleurs, la Turquie est 61e, l�Iran 69e et l�Afrique du Sud 54e. Comme l�illustrent les difficult�s rencontr�es par les autres pays du Maghreb, le contexte �conomique mondial dans les secteurs d�activit� qui pourraient �ventuellement correspondre � une sp�cialisation du pays en fonction de ses avantages comparatifs � notamment de faibles co�ts de main-d��uvre � est largement domin� par le tr�s fort dynamisme des �conomies asiatiques � Chine en t�te � qui r�duisent de beaucoup les marges de man�uvre dont pourraient disposer de nouveaux outsiders. Par ailleurs, le nouveau mod�le � d�finir au plan �conomique devra int�grer, au moins, quatre contraintes d�sormais absolument incontournables : �une v�ritable int�gration �conomique maghr�bine, imp�rative pour chacun des pays de la r�gion et dont le faible degr� explique aussi pour beaucoup leurs difficult�s � s�imposer dans la comp�tition mondiale, �tant donn� aussi leur taille limit�e qui ne peut autoriser que la poursuite de �bricolages locaux� sans lendemain ; � une forte capacit� d�attraction des investissements directs �trangers hors hydrocarbures et hors foncier, �tant entendu que les seules capacit�s nationales, stricto sensu, ne sont pas en mesure, dans les conditions pr�sentes de la comp�tition mondiale, notamment en raison de leur tr�s faible ma�trise d�imp�ratives contraintes d�ordre technologique et manag�rial, de mettre en �uvre le nouveau projet ; � la d�finition et la mise en place d�un syst�me national d�innovation op�rationnel fond� sur des processus d�apprentissage social g�n�ralis� des logiques de l��conomie de la connaissance et ouvert sur les �changes mondiaux ; �les cons�quences pour le pays de la double crise globale en cours � �cologique et climatique � qui, notamment pour ce qui concerne les ressources en eau, p�sera lourdement sur les conditions, � la fois, de production de biens et de services et de vie des populations. De mani�re plus g�n�rale, pour ce qui concerne l��conomie, il faut �tre conscient que dans le monde qui s�annonce, la connaissance � objectivement concentr�e et cristallis�e dans tout bien ou service produit et dont elle constitue par excellence la substance m�me � est de plus en plus appel�e � jouer un r�le absolument d�cisif. De ce point de vue, paraphrasant Clausewitz, je dirai que, d�sormais, il convient de bien comprendre que, de plus en plus, tout processus de d�veloppement cons�quent ne pourra plus �tre que la poursuite de la connaissance par d�autres moyens. De ce point de vue, il doit �tre clair que l�un des enjeux les plus essentiels de la transition en cours doit absolument �tre mentionn� car, � plus d�un titre, de sa ma�trise d�pendra, pour beaucoup, l��volution d�ensemble de la soci�t� : c�est celui de l�enseignement et de la recherche qui doivent �tre consid�r�s comme des secteurs absolument prioritaires en termes de financement public et dont les performances ne peuvent d�sormais plus �tre envisag�es qu�eu �gard aux meilleures normes mondiales dans les domaines concern�s. Au plan politique, ensuite, avec un triple enjeu central � d�finition de nouvelles sources de l�gitimit� sociale du pouvoir politique, construction d�un espace public et mise en place d�un syst�me d�mocratique � le nouveau mod�le suppose une rupture permettant la conclusion d�un nouveau �contrat social� red�finissant les rapports entre citoyens ainsi qu�entre l�Etat et la soci�t� sur la base d�une production originale et dynamique de sens, g�n�r�e par les pratiques de tous et nourrie de toutes les logiques contemporaines. Cette nouvelle probl�matique politique qui implique n�cessairement au plan symbolique un changement radical des m�thodes actuelles de gestion des affaires publiques � frapp�es d�obsolescence tout autant que la g�n�ration qui les pratique � doit correspondre aux nouvelles r�alit�s de la soci�t� et du monde et non pas � celles, historiquement dat�es, ayant form� la base symbolique � partir de laquelle a �t� forg�e et instrumentalis�e la rente historique �voqu�e et qui sont compl�tement d�pass�es. Les mauvaises performances r�alis�es par le pays dans beaucoup de domaines essentiels et, en cons�quence, le processus objectif de d�classement actuellement en cours qui en affecte le positionnement international, particuli�rement en termes de capacit�s � formuler effectivement un projet d�insertion dynamique dans la mondialisation, mettent clairement en �vidence la tr�s faible efficacit� du syst�me politique oligarchique en place qui, de plus en plus, appara�t comme totalement inadapt� aux dynamiques contemporaines et dont la responsabilit� directe eu �gard aux nombreux d�ficits et dysfonctionnements constat�s est pleinement engag�e. A propos du r�le politique que joue, de fait, l�arm�e, en tant qu�institution, il doit �tre objectivement �valu� et red�fini, en toute transparence, dans le cadre du d�bat sur le fonctionnement d�ensemble des institutions, afin qu�elle puisse clairement contribuer � si la n�cessit� s�impose � � l�am�lioration des performances du syst�me politique renouvel�, dans le respect du contexte d�mocratique. Face aux processus de d�gradation en cours et aux risques, voire aux menaces, de toutes natures, dont ils sont porteurs pour la stabilit� du pays, la seule solution est celle de la formulation de r�ponses rapides et adapt�es permettant, au moins, de freiner la r�gression en cours avant, dans un second temps, d�envisager de retrouver une trajectoire ascendante. Dans cette perspective, faisant appel aux ressorts de leur intelligence collective, tous les membres de la soci�t� devront conclure un nouveau pacte bas� sur la confiance et la responsabilit�, excluant toute mentalit� de rente, de quelque nature qu�elle puisse �tre, et fondamentalement bas� sur le travail physique et intellectuel comme source de cr�ation de richesse et le m�rite comme seul facteur de mobilit� sociale. Dans une vision plus large � incluant les mondes arabe et musulman � ce pacte doit �tre en mesure de formuler un projet de modernit� capable d�offrir aux nouvelles g�n�rations toutes les conditions pour exprimer leurs l�gitimes attentes en lib�rant les potentiels de cr�ativit� dont elles sont porteuses. Pour relever de tels d�fis, tout d�pendra des capacit�s de r�silience collective de la soci�t�, seules en mesure de lui permettre de s�investir dans un nouveau projet qui, tout en valorisant le pass�, doit lui accorder le juste statut qui lui revient de former un ensemble de rep�res constitutifs d�une histoire et d�une identit� communes, permettant de mieux baliser et �tayer les actions � conduire et aidant par ses dynamiques m�mes � se projeter dans un futur toujours en construction. Et non pas de constituer, en lui-m�me, une sorte d�horizon permanent, d�finitivement inscrit en filigrane de toute perspective et obstruant, surtout par sa lecture essentialiste et toutes les pesanteurs qui l�accompagnent, le chemin vers l�avenir. En tout �tat de cause, �tant donn� le caract�re in�luctable des processus de transition d�j� objectivement engag�s, aucune strat�gie de contournement des n�cessaires r�formes � entreprendre � au demeurant, aussi illusoire que vaine � n�est d�sormais possible et deux facteurs, tr�s �troitement corr�l�s, vont d�sormais jouer un r�le tout � fait d�terminant : le temps et la ma�trise. Le temps, d�abord car, comme l�enseigne l�histoire, plus les r�formes devant assurer un d�roulement relativement souple et sans heurt majeur des transitions sont diff�r�es et plus elles deviennent difficiles � mettre en �uvre et ont un co�t �lev�, quel que soit le domaine sp�cifique consid�r�. La ma�trise, ensuite, parce que l�extr�me complexit� des processus concern�s, notamment en raison de la multiplicit� des acteurs concern�s, suppose que leur d�roulement ne puisse �tre livr� � la seule logique d�int�r�ts particuliers d�brid�s, sans aucune vision globale, socialement l�gitime et cr�dible, visant � assurer une coh�sion d�ensemble de la d�marche entreprise pour en garantir le succ�s final. De toute �vidence, les multiples contraintes � de toutes natures et tant endog�nes qu�exog�nes � appel�es � peser sur la transition syst�mique de la soci�t� alg�rienne vers l�in�luctable contexte post-rentier en feront un parcours tr�s difficile. Et c�est pourquoi l�un des enjeux essentiels � venir en termes de gestion d�ensemble par tous les acteurs potentiels concern�s � �tatiques et non �tatiques � des processus concern�s est de faire que cette transition aboutisse avec succ�s ; soit, sans trop d��pisodes chaotiques. D�autant que, tout au long de son d�roulement, elle sera r�guli�rement marqu�e par de nombreuses phases de tensions, plus ou moins aigu�s mais incontournables, en fonction des divers ajustements op�r�s par tous les acteurs sociaux concern�s en vue de d�fendre leurs int�r�ts par la ren�gociation de leurs positionnements respectifs. C�est dire si les �v�nements de ce d�but d�ann�e ne constituent qu�un moment dans une longue transition syst�mique d�j� engag�e, et dont les difficult�s � venir seront � la hauteur de l�importance des enjeux de soci�t� qui se jouent, d�abord, au plan interne et qui se formulent en termes de n�cessaire maintien de la coh�sion de la soci�t�, voire aussi de celle du cadre national lui-m�me. Mais qui, tous d�une mani�re ou d�une autre, auront �galement un impact direct, d�une part, sur les capacit�s effectives du pays � ren�gocier avantageusement son positionnement strat�gique dans un environnement international en mutation et, d�autre part, sur les divers espaces auxquels il appartient (Maghreb, monde arabe) ainsi que ceux dont il est proche et avec lesquels, notamment par la densit� des �changes humains, il vit en �troite symbiose (Sahel, Europe).