Un reportage de Ma�mar Farah Hma�da, je l�ai connu dans de dr�les de circonstances. C��tait en 1970, ann�e o� je d�butais dans le journalisme professionnel � l�agence locale (Annaba) du quotidien An Nasr. Il m�arrivait souvent de couvrir la correctionnelle et j�aimais l�ambiance bon enfant de ces proc�s o� Hma�da, alors magistrat, mettait tout son art de la m�taphore dans la d�dramatisation des situations les plus difficiles. Un jour, et alors que tout le monde s�attendait � ce qu�il sanctionne durement un couple pris en flagrant �d�lit� dans les profondeurs d�une for�t, il se tourna vers les gendarmes, qui �taient l� � titre de t�moins : �Et vous ? Vous n�aviez rien � faire pour aller fouiner dans les entrailles des bois ? Un accouplement ? Quelle affaire ! La prochaine fois, vous m�am�nerez un couple de sangliers !� De son vrai nom Hcha�chia Boubekeur, cet homme de 76 ans a connu le meilleur et le pire. Surtout le pire. Esprit rebelle, il se retrouvera, � dix ans, au milieu de la manifestation du 8 Mai 1945, rue N�grier, � c�t� du March� central. Sans savoir trop pourquoi. En 1952, il fut tra�n� devant les tribunaux pour �atteinte � la s�ret� de l�Etat�. Il avait dix-sept ans� Inutile d�aller plus loin� Ils discouraient sur le socialisme le matin et volaient les villas le soir J�ai connu Hma�da le jour o� il d�barqua � l�agence, juste avant la fermeture, pour demander � parler � un journaliste. J��tais seul � ce moment-l�. Il me mit au courant d�un immense trafic de villas, des r�sidences acquises le plus l�galement du monde par des citoyens de diverses origines. Or, certains responsables avaient trouv� qu�un boucher, un �picier, un chauffeur ou un p�cheur ne m�ritaient pas ces villas construites � la fin de l��poque coloniale par le Patrimoine coop�ratif b�nois. Et on �tait � l��re du socialisme ! Comme la police refusait de faire �vacuer les propri�taires l�gitimes de ces villas, certains magistrats corrompus firent appel � des prisonniers pour jeter carr�ment les meubles des pauvres familles qui regardaient, impuissantes, ces d�passements d�un autre �ge. Hma�da me parla longuement de cette affaire et me demanda de �faire un article l�-dessus. Si, �videmment, tu as du courage !� Je n�avais rien � perdre et, � l��poque, j��tais tellement na�f que je pensais que le journalisme c��tait une mobilisation quotidienne contre l�injustice et la hogra. Je pensais que, pour m�riter le titre de journaliste, il fallait enqu�ter sur de telles affaires et les porter � la connaissance du public. Je le pense toujours, mais, avec l��ge, je sais maintenant que ce n�est pas facile car il manquera toujours ces preuves qui vous permettent d��crire sans avoir la trouille d�aller en prison. Et quelle meilleure preuve que le t�moignage de ce magistrat rebelle qui semblait surgir d�un autre monde. Le lendemain, l�article �tait sur le journal et il commen�ait ainsi : �Tremblez, responsables corrompus� � D�ailleurs, Hma�da en a gard� une copie. Il me l�a montr�e l�autre jour, jaunie par le temps. En cette matin�e ensoleill�e, j��tais loin de me douter de la temp�te que j�avais d�clench�e. Il y avait foule devant l�agence et les gars, visiblement d�origine modeste, tenaient le journal � la main, en scandant : �Justice ! Justice ! � C��taient les propri�taires des fameuses villas chass�s par les puissants du moment. Hma�da entra en trombe dans le local, et me montrant le journal, criait triomphalement : �Tu l�as fait ! Voil�, ils ont eu ce qu�ils m�ritaient ! Mais, maintenant, je dois te mettre en garde. Ils sont capables de tout ! Tout ! Tu comprends� Tu dois te cacher du c�t� de S�drata (il continue jusqu�� aujourd�hui � confondre S�drata et M�daourouch)�� Puis, se ravisant : �Non, ce n�est pas toi qu�ils chercheront � abattre. Quel �ge as-tu ? - Dix-neuf ans et demi (c��tait encore l��ge o� l�on disait �et demi��) - Bon sang, mais tu es un gamin ! Non, ils ne viendront pas t�emb�ter� Ils doivent savoir que c�est moi l�instigateur. Mais prends garde � toi !� Harc�lement judiciaire Hma�da a �t� imm�diatement sanctionn�. Il a �t� nomm� juge itin�rant dans la wilaya de S�tif. Oblig� de vendre sa �204�, il empruntait le car de la SNTV pour aller de da�ra en da�ra� �On me prenait pour le contr�leur��, me disait-il, quelques ann�es plus tard, lorsque je le revis � Alger. Quant � moi, je n�en revenais pas. J�apprenais tout b�tement que ces responsables locaux qui discouraient sur la justice sociale et le droit des citoyens les plus d�sh�rit�s, pouvaient changer de comportement du matin au soir. Ils vivaient comme des rois et voulaient s�accaparer du plus grand nombre de villas, d�immeubles et de terrains. Mais Hma�da tient � pr�ciser qu�il y avait aussi des hommes int�gres et courageux. Ainsi, lorsqu�il fut mis au courant des agissements de cette �mafia des villas�, M. Za�bek demanda une enqu�te et ordonna que l�on restitue ces r�sidences � leurs v�ritables propri�taires. Malheureusement, l�affaire fut �touff�e par les autorit�s locales� Hma�da remettra �a lorsqu�il s�attaquera aux nouveaux lobbys des ann�es 80. Il sera confront� � d�autres responsables locaux et � leurs proches et amis. On lui cherche des probl�mes � gauche et � droite. Il verra son jardin �nationalis� et vendu. Evidemment, il ne se laisse pas faire et cela finit par le mener devant les tribunaux. Comme il a la �grosse gueule�, il d�range tout ce beau monde qui finit par lui coller une affaire �politique� sur le dos. Il serait un opposant proche de Ben Bella ! L�, le gars comprend qu�il est temps de prendre la poudre d�escampette. Il quittera l�Alg�rie quelques jours avant que son nom ne soit communiqu� aux postes fronti�res. Il s�enfuira en France et ne rentrera au pays qu�en 1987. Une fois d�ball�, le fameux �moule� �tait en fait le buste du d�funt Pr�sident. Le chauffeur en voulut aux membres de la fondation de lui avoir cach� la v�rit� et r�pondit avec col�re : �Ils l�ont tu� et nous, ils nous auraient �gorg�s ! Pourquoi nous avoir fait �a !� Il continue de se battre et, bien plus tard, M. Kasdi Merbah, auquel il tient � rendre hommage, instruira la wali de l��poque, M. Sidi Sa�d, pour qu�on lui c�de un terrain mitoyen en remplacement de celui qui lui a �t� enlev�. 1989 : Tout de suite, Hma�da comprend que quelque chose vient de changer et la nouvelle libert� d�expression lui donne l�occasion de revenir sur les d�passements dont il a �t� victime� Mais l�affaire se corse avec les premi�res crises, les balbutiements du FIS, les ratages de la d�mocratie. Quand Boudiaf arrive, le magistrat malmen� tout au long de sa carri�re pense que le moment est venu d�oublier le pass� pour se consacrer au pr�sent, avec pour mission imm�diate : le sauvetage de l�Alg�rie. Il raconte : �On sentait qu�un grand espoir se levait partout. Boudiaf avait conquis le c�ur des Alg�riens en peu de temps. Son francparler, le langage populaire qu�il utilisait le rapprochaient du peuple. Tout le monde connaissait son honn�tet� mais les gens �taient tout heureux d�apprendre que le nouveau Pr�sident refusait un salaire qui lui revenait de droit et qu�il renvoya � ses ateliers le tailleur qui venait prendre les mesures pour les costumes �pr�sidentiels��. �Qui a rajout� le nom de Boumarafi ?� A ce moment-l�, Hma�da, comme beaucoup d�Alg�riens, se demandait si Boudiaf allait avoir les mains libres pour mener � bien les t�ches de redressement qu�il annon�ait dans ses discours. Et l�une des premi�res t�ches qui lui tenait � c�ur �tait la lutte pour la moralisation des m�urs politiques. C��tait compter sans ce que l�on appelait d�j� dans les colonnes des journaux �la mafia politico-financi�re� Et ce qui devait arriver arriva. Pas � Oran, lors de la finale de la Coupe d�Alg�rie. Pas � A�n-Temouchent. Mais � Annaba, la ville de Hma�da, celle qu�il ch�rit et dont il r�vait quand il �tait en exil, sous les cieux gris de Bretagne. Il r�vait alors � ses plages, � sa verdoyante corniche et aux grands moments de plaisir que lui procurait un d�ner au �Copacabana� ou au �Lavandou�, aujourd�hui disparus� C�est pourquoi, il cherchait � comprendre. Avec feu Benazia, il cr�era le Comit� pour la v�rit� sur l�assassinat de Boudiaf. Car, pour lui, il y avait trop de points d�interrogation : �Primo, dit-il aujourd�hui, on n�a jamais vu un pr�sident de la R�publique se d�placer pratiquement sans ministres dans l�une des wilayas du pays. Il est toujours accompagn� au moins par le ministre de l�Int�rieur. Ce jour-l�, il �tait avec des jeunes et le wali � la tribune, quelques minutes avant d��tre abattu. Secundo, Boumarafi n��tait pas du voyage selon la liste officielle des services de s�curit� devant accompagner le Pr�sident. Par qui le nom Boumarafi a-t-il �t� rajout� � la derni�re minute ? Et comment se fait-il que cet agent, qui ne fait pas partie de la garde rapproch�e, se retrouve seul derri�re le fameux rideau ? Tercio : en envoyant les activistes du FIS aux camps du Sud, Boudiaf s�est fait beaucoup d�ennemis parmi les int�gristes qui s�ajoutaient � ses ennemis de la mafia politico-financi�re. Quarto : on dit qu�il avait en main les dossiers de plusieurs responsables corrompus et qu�il allait les divulguer le 5 juillet 1992. Enfin, il devait organiser les �lections du RPN pour se donner une large base populaire et cela n��tait pas bien vu par certains�� Le comit� demande que le Palais de la culture o� a �t� assassin� Si Tayeb El Watani devienne le �Palais Mohamed Boudiaf� et il obtient satisfaction. Mais un tel lieu devait abriter une �uvre d�art qui symbolisera � jamais le sacrifice du h�ros de la R�volution, revenu au pays pour sauver cette Alg�rie pour laquelle il avait d�j� tant donn�. Et quoi de plus expressif qu�un buste en bronze, �rig� au beau milieu de l�esplanade, pour marquer � jamais ces moments douloureux qui ont vu tomber l�Homme et le symbole� Le camionneur ne savait pas qu�il transportait le buste de Boudiaf ! 1994� Avec ses amis de la Fondation Mohamed Boudiaf, Hma�da tentera de d�nicher un sculpteur qui saura donner � l��uvre la dimension artistique mais aussi la symbolique historique. Sous la houlette de M. Habbachi, fils de l�ancien m�diateur de la R�publique, lui-m�me �galement membre de la fondation, on se mettra au travail. Un sculpteur install� � Paris, mais qui fait des voyages fr�quents � Alger, accepte la mission. Il s�agit de M. Sa�di qui va travailler dans la clandestinit�, dans un faubourg de Cheraga. Imaginez que les terroristes int�gristes aient eu vent de ce chantier� Apr�s quelques mois d�un dur labeur, r�mun�r� � un prix symbolique, le plus dur attendait les membres de la fondation. Comment transporter cette statue qui pesait plusieurs tonnes ? Tous les camionneurs approch�s refusaient de faire le voyage d�Alger. On avait beau doubler la mise, ils affichaient un �niet� cat�gorique ! Les faux-barrages �taient tr�s fr�quents et les chauffeurs ne voulaient pas se retrouver nez � nez avec un groupe de terroristes qui leur demanderaient de d�faire la b�che de la �marchandise� qu�ils transportaient� Finalement, Hma�da et ses amis agirent par ruse. Ils �tablirent un ordre de mission au nom de la fondation pour un camionneur auquel on avait racont� qu�il allait transporter un simple moule� La statue, cach�e sous des b�ches, fit le voyage Cheraga-Annaba de nuit et lorsque le chauffeur gara son camion, il fut stup�fait d�entendre Hma�da lui d�clarer tout de go �vous avez ramen� Boudiaf �. Une fois d�ball�, le fameux �moule� �tait en fait le buste du d�funt Pr�sident. Le chauffeur en voulut aux membres de la fondation de lui avoir cach� la v�rit� et r�pondit avec col�re : �Ils l�ont tu� et nous, ils nous auraient �gorg�s ! Pourquoi nous avoir fait �a !� Quelques jours plus tard, une entreprise communale, diligent�e par le wali Merad Brahim, se chargera d�installer le buste � l�endroit pr�cis. Aujourd�hui, beaucoup d�h�tes d�Annaba tiennent � rendre hommage au Pr�sident Boudiaf en visitant le site o� il a �t� l�chement tu� et en se recueillant devant son buste. Chaque 29 juin, un groupe de femmes et d�hommes fid�les viennent ici pour le salut annuel � l�homme qui a rendu l�espoir aux Alg�riens. Il y a des ann�es o� �a d�borde. Il y en a d�autres o� il n�y a qu�une dizaine de pr�sents. A moins d��tre emp�ch�s par une raison majeure, nous continuerons d�y aller chaque 29 juin. Toi qui me lis et qui te trouves � Annaba, viens nous rejoindre � 11h20, heure de son assassinat, sur l�esplanade du Palais de la culture. Nous lirons la Fatiha avant de nous disperser. Cela nous ferait �norm�ment plaisir de vous voir nombreux � l�occasion du 20e anniversaire de la mort de Mohamed Boudiaf. Nous serons face au buste pour le souvenir certes, mais nous dirons ensemble � El Watani que le combat continue� Et � Hma�da, Habbachi, � tous les autres, morts ou vivants : merci d�avoir donn� � Boudiaf une image aussi puissante et � Annaba un symbole qui dira aux g�n�rations futures que leur ville n�a rien � voir avec ce crime sordide concoct� dans les laboratoires des contrefacteurs et des faussaires qui devaient �liminer vite le r�volutionnaire honn�te qui n�avait que faire des fastes et des biens mat�riels car son amour unique �tait l�Alg�rie. Et rien d�autre� M. F. Et quoi de plus expressif qu�un buste en bronze, �rig� au beau milieu de l�esplanade, pour marquer � jamais ces moments douloureux qui ont vu tomber l�Homme et le symbole�