Entretien r�alis� par Brahim Taouchichet Le constat du docteur Messaitfa est sans appel � propos de la nouvelle APN qui p�che par la faiblesse de sa composante humaine, produit du syst�me de la rente p�troli�re, plus enclin � la distribution qu�� la cr�ation et � la production. Le salut serait, selon lui, dans un gouvernement de technocrates charg� de relancer la machine �conomique tant attendue. Mais il faudra aussi mener une lutte sans merci contre le pourrissement introduit par le tandem corruption-march� informel. La situation d�urgence est signal�e car nous avan�ons � grands pas vers l��puisement des ressources p�troli�res. Il est temps de prendre r�ellement au s�rieux le d�veloppement des PME-PMI, en finir avec l�antagonisme secteurs priv�-public, encourager les entreprises de production cr�atrices de richesses. Le Soir d�Alg�rie : Depuis les ann�es 1980, le probl�me de l�apr�s-p�trole revient de fa�on r�currente dans le discours des gouvernants qui se sont succ�d�. Cela prouve-t-il une vraie prise de conscience ? Bachir Messaitfa : Les d�buts des ann�es 1980 ont amorc� un changement radical � au regard de l�histoire �conomique de l�Alg�rie � dans la politique �conomique et financi�re du pays passant des orientations du FLN et de son comit� central au march� et � l�ouverture. Ceci a commenc� avec la restructuration des entreprises en 1982 et le multipartisme successif aux �v�nements d'octobre 1988. C'est ce changement qui a mis l'�conomie nationale face � la r�alit� et non le discours politique, r�alit� que confirme la crise de 1986 qui a d�bouch� sur le choc p�trolier qui a provoqu� la crise de l'endettement en 1993. La crise p�troli�re a mis � jour la fragilit� d'une �conomie bas�e sur les revenus des hydrocarbures. Ceci a pouss� � r�fl�chir � l'apr�s-p�trole. Mais sur le plan effectif, l'Alg�rie n'a pas profit� de cette prise de conscience et cela perdure aujourd'hui encore car la politique �conomique recourt toujours � l'argent du Tr�sor bas� lui-m�me sur la fiscalit� p�troli�re et non sur les richesses produites par le secteur productif. Il est vrai qu'il y a une prise de conscience quant � l'apr�s-p�trole mais les m�canismes et les politiques gouvernementales successives ne sont pas au niveau de cette pr�occupation. Selon vous quel est le degr� d�effectivit� des mesures concr�tes prises � cet �gard ? En 2000 l'Etat a cr�� au niveau du gouvernement un minist�re charg� des PME et PMI. Mais 10 ans apr�s les autorit�s ont int�gr� ce secteur au minist�re de l'industrie, ce qui est une grave faute. Au plan r�glementaire l'Etat a facilit� l'investissement mais n'a pas r�gl� le probl�me de la gestion administrative, le probl�me de la corruption et n'a pas distingu� l'investissement productif de richesses de l'investissement orient� sur les importations. Au niveau des d�penses du fonds public d'investissement l'Etat favorise toujours le public du priv�, pour preuve la persistance des obstacles � l'investissement � travers le foncier industriel et le foncier agricole, le financement bancaire, le financement par la Bourse, l'exportation, la fiscalit�. Au plan statistique, il suffit de noter que la part de la production industrielle ne d�passe pas 5% du PIB et que les importations de l'Alg�rie fin 2012 atteindront 50 milliards de dollars, chiffre qui avoisine les exportations alg�riennes d'hydrocarbures � leur plus haut prix. Toutes ces consid�rations montrent que la d�pendance de l'�conomie nationale est toujours aussi forte et la politique de cr�ation de richesses hors hydrocarbures est sans effet. Avec l�ouverture proclam�e de l��conomie, les PME-PMI productives de richesses et cr�atives d�emplois vivent paradoxalement dans la stagnation et le marasme. Quelle serait votre analyse ? En 2001, j'ai eu l'occasion de participer � la pr�paration du projet de loi d'orientation et �la strat�gie du secteur des PMI-PME en Alg�rie� quand j'occupais le poste de directeur des �tudes et de synth�se dans le minist�re charg� de ce secteur. J'avais bas� cette strat�gie sur une s�rie de m�canismes et de d�crets ex�cutifs que l'Etat a mis en application comme les mesures de soutien, la mise � niveau, la s�curit� de l'investissement. Mais il y a des facteurs en dehors du minist�re des PME-PMI qui conditionnent la r�ussite de ce secteur en Alg�rie dont : � le climat g�n�ral des affaires qui profite au secteur public ; � le manque de transparence dans les march�s qui encourage l'�conomie informelle et l'import ; � le niveau de corruption qui constitue un obstacle pour les entreprises priv�es qui travaillent dans la transparence et qui se conforment � la loi ; � l�anarchie du march� et l��vasion fiscale qui placent dans une situation pr�dominante les entreprises qui travaillent dans le march� parall�le par rapport aux autres ; � le syst�me fiscal et les imp�ts divers qui constituent un obstacle � l�accumulation du capital permettant l�expansion de l�entreprise priv�e. Enfin, il y a une discrimination entre entreprise publique et entreprise priv�e lors de l�attribution de march�s contredisant les recommandations de la tripartite, de plus beaucoup d�entreprises publiques ne remplissent pas les conditions de mise � niveau. Sur ce dernier point, il faut rappeler que l�Etat a consacr� 5,5 milliards de dollars dans le plan 2010-2014, mais il n�a pas mis en place les conditions techniques pour l�accueil des dossiers de 20 000 entreprises concern�es par ce programme. Ceci est un exemple clair des mesures prises sans de v�ritables �tudes. Malgr� cet �tat de fait, les importations massives de biens et services continuent et les fragilisent davantage et risquent m�me de les tuer � terme sans que personne ne tire la sonnette d�alarme ? Oui, c�est ce que je voulais dire quand j�ai abord� l�anarchie pr�valant dans le march� et l�amalgame fait entre l�investissement productif et l�investissement de type commercial. Il faut savoir que les entreprises d�importation r�alisent des b�n�fices sur le capital largement plus que les entreprises productives. D�autre part, la mafia de l�import a de grandes capacit�s de noyer le march� avec les produits de contrefa�on � bas prix qu�il est possible de produire localement. Par ailleurs, il y a des entreprises locales qui vendent des produits de contrefa�on sous le label de produit local et profitent des avantages du commerce ext�rieur de l�accord d�association et le d�mant�lement des barri�res douani�res. L�absence totale de contr�le, l�anarchie du march� et du commerce ont un effet n�gatif sur les r�gles de transparence et de comp�tition et sont autant d�obstacles pour le d�veloppement des PME-PMI. Il faut conforter la loi sur l�investissement avec des dispositions concernant le contr�le et la priorit� de la production sur l�importation et des avantages fiscaux en faveur des entreprises qui produisent dans le cadre de l�autosuffisance. Il est beaucoup question de s�affranchir de la rente p�troli�re, mais l�embellie financi�re actuelle semble assoupir cette vell�it� ? Retour � la case d�part ? Pour l�heure nous ne pouvons pas nous affranchir de revenus des hydrocarbures. Le prix �lev� du p�trole nous permet de b�tir l��conomie nationale sur la base d�entreprises productrices de richesses, la recherche industrielle et agricole. Les revenus p�troliers sont un facteur qui permet de placer l��conomie nationale dans le d�veloppement durable et multipolaire. Se passer des revenus des hydrocarbures est li� au temps puisque la dur�e de vie suppos�e de ce secteur ne d�passera pas 2060. Le tourisme pour les pays qui en ont les atouts est bien meilleur du point de vue des rentr�es financi�res que le p�trole. Pour l�ann�e 2012, l�Alg�rie peut se procurer 100 milliards de dollars en p�trole, gaz naturel et liqu�fi�. Cet apport est tr�s important s�il est inscrit dans un plan de d�veloppement industriel, agricole, dans la recherche et la formation et d�encouragement des secteurs public et priv�. Nous n�appelons pas � l�abandon des recettes p�troli�res, nous demandons � d�velopper le niveau de d�veloppement hors hydrocarbures et � un taux dans le PIB de l�industrie et de l�agriculture, la r�duction des importations et l�augmentation de la part des exportations dans nos sp�cificit�s commerciales. Les organisations patronales ne cessent d�en appeler � l�assainissement du climat des affaires en faveur de l�entreprise qui bute toujours sur des blocages recens�s par ailleurs avec pr�cisions. Malgr� la publicit� qui est faite sur le n�cessaire apport du secteur priv� dans l��conomie nationale sa part reste faible, voire d�risoire ? C�est parce que l��conomie nationale repose sur la promulgation de d�crets et un plan de d�veloppement bas� sur les d�penses publiques. Il aurait fallu qu�elle repose sur un observatoire strat�gique et un minist�re concern� de l��conomie. Les d�cisions �conomiques chez nous n�ob�issent pas � une vision unifi�e, homog�ne entre les secteurs concern�s, mais � des programmes sectoriels qui b�n�ficient d�enveloppes financi�res du programme du pr�sident de la R�publique et ne proposent pas de r�flexions suppl�mentaires pour la relance �conomique. C�est pourquoi le d�veloppement est bas� sur les d�penses publiques et non sur l�accumulation du capital des entreprises qui concerne aussi de nombreuses entreprises du secteur public � l�exemple de Sonatrach et Sonelgaz en relation avec le secteur p�trolier. Il est facile de conna�tre la contribution des entreprises priv�es dans la cr�ation des richesses et la satisfaction de la demande interne sachant que le taux des PMI-PME par rapport au nombre d�habitants ne d�passe pas 1%, c�est-�-dire 0,01, ce qui est un taux tr�s au-dessous des normes internationales. On parle beaucoup de l�ouverture du march�, de lib�ralisation de l��conomie mais on a peine � comprendre dans quel mod�le elle s�inscrit ? On a l�impression que l�on navigue � vue ? C�est vrai, l�ouverture dans les pays en d�veloppement qui ont r�ussi � passer de l��tape de l�importation � celle des exportations passe par une p�riode de transition et de mise � niveau industriel, social et psychologique. Cela n�a pas eu lieu en Alg�rie sous l�effet du choc p�trolier de 1986 et le vide institutionnel dans l��conomie globale : minist�re de l�Economie, structures de la planification, parrainage. Tous les pays en d�veloppement qui ont commenc� � �voluer ont suivi la m�thode suivante : une vision �conomique claire ; le recours au capital national ; mise � niveau du capital humain et la formation ; mise en place de structures de d�veloppement avec observatoires minist�riels de souverainet� �conomique ; appui aux entreprises cr�atrices de richesses. Officiellement d�cri�e la corruption, coupl�e � l�informel, prend de graves proportions et va jusqu�� menacer l��conomie de paralysie. Votre commentaire sachant l�aveu d�impuissance face � ce ph�nom�ne fait par le Premier ministre en personne ? Depuis longtemps nous attirons l�attention sur les probl�mes de l��conomie nationale � cause du monopole sur le commerce ext�rieur, la corruption acc�l�r�e, l�anarchie du march�, la faiblesse du contr�le dans l�application des lois. En mai 2010 nous avons eu l�opportunit� � L�Assembl�e populaire nationale de lancer l�id�e d�une �charte nationale de lutte contre la corruption�. Nous avions dit que combattre la corruption n�est pas du seul ressort du gouvernement ni uniquement de la justice. Cela veut dire que ce n�est pas l�unique fait de la loi mais la mobilisation de toute la soci�t� � travers l�engagement �thique et technique avec une charte consensuelle comme m�canisme de contr�le populaire plut�t que le contr�le gouvernemental. A ce propos, nous regrettons la 113e place d�volue � l�Alg�rie par Transparency International en 2011.Nous appelons de nouveau � la mise en �uvre de la charte nationale de lutte contre la corruption qui donne � tout citoyen le droit de contr�le et de d�noncer la corruption en b�n�ficiant de la protection judiciaire. Si l�on retient l�hypoth�se d�une nouvelle donne politique n�e apr�s les l�gislatives du 10 mai, quelle seraient alors les chances d�une relance �conomique ? Toute relance d�pend d�une bonne gouvernance, de traditions de pouvoir �clair� et des lois �labor�es sur des bases saines. Ces conditions � malheureusement � ne sont pas garanties par les �lections du 10 mai 2012 du fait de la faiblesse de la composante humaine des partis politiques et donc de la nouvelle Assembl�e nationale quant aux dispositions et aux capacit�s d�un travail de fond et d�innovation. C�est pourquoi j�ai appel� avant la tenue des �lections � la mise en place d�observatoires d�exp�riences et d�assembl�es de sages et d�experts pour appuyer l�instance l�gislative par des id�es fortes et intelligentes. J�ai appel� �galement � un gouvernement de technocrates pour un d�veloppement durable et lib�r� du poids de la d�pendance du p�trole, du commerce ext�rieur et des subventions publiques. Le volet �conomique a �t� �zapp� par les partis en course pour des si�ges � l�APN. Cela est-il d�un mauvais pr�sage pour l�avenir �conomique du pays ? La majorit� des partis politiques p�chent par leur contenu social et �conomique parce qu�ils sont n�s dans un syst�me de distribution et non de production, autrement dit sur la rente et non la richesse. C�est pourquoi il est difficile pour ces partis de r�fl�chir dans un cadre de �solution �conomique� ou d�une �solution sociale�. C�est ce qui explique la faiblesse et l�inefficacit� de l�Assembl�e depuis l�apparition du multipartisme en 1989. En cons�quence il est difficile de parier sur cette Assembl�e de provoquer le sursaut �conomique esp�r�. Le moment est venu de d�l�guer le pouvoir de d�cisions aux experts et aux sp�cialistes m�mes ceux issus des partis. La priorit� doit �tre aux comp�tences et � l�exp�rience nationale comme r�f�rences pour l�acc�s aux postes l�gislatifs ou ex�cutifs.