Par Mohand Bakir Dans une situation de quasi-vacance des pouvoirs, l�Alg�rie s�appr�te � prendre une d�cision qui engagera l�avenir des g�n�rations futures. Il est indispensable de s�interroger � la fois sur la l�gitimit� de cette d�cision et la l�gitimit� des pouvoirs actuels � l�engager sans un large d�bat public impliquant toute la soci�t�. L�Alg�rie est sans gouverne depuis les l�gislatives de mai 2012. Le d�cor est alarmant. Une classe politique d�chir�e par des luttes intestines pour le contr�le des voies qui m�nent aux mangeoires. Un gouvernement amput� de la moiti� de ses membres et dont l�autre moiti� attend, sur les paliers des minist�res, de savoir s�il faut prendre la direction du parking ou celle de l��tage sup�rieur. Une Assembl�e client�liste qui n�a pas la moindre chance de donner l�illusion d�exercer un quelconque pouvoir l�gislatif. Un chef de l�Etat affaibli, au plus bas de sa forme et de sa cr�dibilit�. La soci�t� est pi�g�e entre les cons�quences dramatiques de la d�liquescence de l�Etat et les r�surgences d�un terrorisme islamiste aux aguets. La jeunesse est, quant � elle, livr�e au contr�le id�ologique des clerg�s islamiques. Nous pourrions croire que le fond est atteint. Que non ! Fellag l�a bien dit : �En arrivant au fond, nous, Alg�riens, nous creusons encore !� Prospection ou exploitation ? L��t� a �t� ponctu� de d�clarations plus ou moins floues au sujet de l�exploitation des gaz de roche-m�re. Des annonces contradictoires, qui ne renseignent que vaguement sur les intentions ou sur les d�cisions d�j� prises : r�alisation de puits exp�rimentaux ? R�vision de la loi sur les hydrocarbures ? Exploitation commerciale de cette ressource ? Quelle est la v�ritable d�cision engag�e par l�Alg�rie ? Qui l�a arr�t�e ? Autant de questions sans v�ritables r�ponses. Les d�clarations brouillonnes d�sar�onnent l�opinion. On nous dit avoir provisionn� de quoi r�aliser quelques puits �exp�rimentaux� et financer des �tudes pour �valuer le potentiel alg�rien en gaz de schiste. Mais on claironne aussi que ces �r�serves� correspondent au moins au quadruplement de nos r�serves gazi�res ! ! Soit, mais si la question n�en est qu�au stade de la prospection et de l�exp�rimentation, pourquoi alors envisager la r�vision de la loi sur les hydrocarbures ? Et pourquoi surtout la mettre dans les tablettes d�un gouvernement sur le d�part ? Pourquoi s�avancer dans les discussions avec des groupes �trangers et envisager m�me l�id�e d�accords de gr� � gr� avec les quelques d�tenteurs de la technologie dite de la fracturation hydraulique ? La d�marche � laquelle nous assistons, rend perplexe. Elle a tout l�air de chercher � imposer le fait accompli d�une d�cision en contrebande. Plus de p�trodollars !! Dans leur logique, nous devrions m�me �tre all�ch�s par de nouvelles recettes en devises que l�exploitation des gaz non-conventionnels procurera au pays !! L�argument ne tient pas la route. Il aurait �t� recevable si la manne de p�trodollars amass�e depuis 1999 avait �t� affect�e � la cr�ation d�emplois et de richesses. L�Alg�rie �te toute ironie au fameux adage kabyle qui dit �atwssel ta�wint ilevhar� (une marre ne peut rien apporter � un oc�an). La mon�tisation de nos hydrocarbures semble plus � m�me de soulager les difficult�s financi�res des Etats-Unis, voire m�me du FMI, que de servir au d�veloppement du pays. La question qui tue Le d�part de Chakib Khelil a �t�, semble-t-il, l�occasion de constater le recul qu�il a caus� aux capacit�s propres de l�Alg�rie dans les multiples domaines de l�exploitation des hydrocarbures. Plut�t que d�y rem�dier voil� que l�Alg�rie s�appr�te � l�accentuer par une d�pendance totale � l��gard d�une technologie d�tenue exclusivement par deux ou trois op�rateurs �tatsuniens ? Cela a au moins le m�rite de la continuit� ! La situation de l�Alg�rie est-elle comparable � celle des Etats-Unis d�Am�rique ? Les ressources en hydrocarbures conventionnels des Etats-Unis ont entam� leur d�pl�tion dans le dernier quart du si�cle pass�. L�exploitation des hydrocarbures non conventionnels leur a permis de redevenir, en 2009, exportateur net de produits �nerg�tiques. Le co�t environnemental de cette exploitation est d�ores et d�j� faramineux. Le recours � cette technologie en Am�rique du Nord rel�ve d�une d�marche pragmatique face � la chute de leurs ressources en hydrocarbures et � la persistance de l�immaturit� des �nergies alternatives. Il n�en reste pas moins que le d�veloppement des �nergies nouvelles reste le choix strat�gique des grandes puissances �nergivores. L�exploitation des hydrocarbures non conventionnels ne s��talera que sur la p�riode de maturation des �nergies de substitution. L�Alg�rie, au contraire des Etats-Unis, n�a aucun int�r�t � la banalisation de l�exploitation des gaz de schiste. L�exploitation de cette ressource non conventionnelle contracte les march�s pour le gaz conventionnel et accentue la tendance baissi�re des prix sur les march�s spot. Une situation qui compromet la strat�gie des pays exportateurs de gaz conventionnel. Ceux-ci essaient d�assurer la rentabilit� de leurs investissements gaziers par l�indexation des prix du gaz sur les cours du p�trole et du favoritisme pour les contrats � long terme. L�extension de l�exploitation des gaz non conventionnels ruine la strat�gie des gros exportateurs actuels. L�autre option La Sonatrach, au lieu de s�aventurer dans un domaine o� sa d�pendance technologique est totale, et o� l�int�r�t du pays est d�favorablement engag�, devrait plut�t tendre � jouer un r�le pivot dans un partenariat Sud-Sud de valorisation et de d�veloppement des hydrocarbures conventionnels du Niger et du Mali � dans l�Azawad � et des pays de la r�gion. Le d�veloppement des ressources gazi�res conventionnelles du continent africain renforcera la r�sistance des pays europ�ens � l�exploitation des gaz de roche-m�res. Plus la ressource conventionnelle sera disponible, plus la pr�occupation �cologique sera prise en compte par les Europ�ens, qui sont d�sormais nos partenaires privil�gi�s. La d�cision alg�rienne est grave. Elle introduit un risque �cologique majeur dans une partie du continent africain o� se concentrent des aquif�res essentiels � la satisfaction des besoins en eau des g�n�rations futures. Ces syst�mes souterrains contiennent d�immenses r�serves d�eau potable. Prendre le risque que l�un ou l�autre d�entre eux soit pollu�, par les centaines de produits toxiques entrant dans la fracturation de la roche, est une d�cision criminelle. La responsabilit� serait au contraire d�obtenir un accord d�interdiction de l�exploitation des gaz de schiste dans toute la zone des aquif�res, r�serve majeure d�eau potable pour les g�n�rations futures. L�exploitation des gaz de schiste n�ont donc pour nous, dans l�imm�diat, que des inconv�nients. Pressions sur les march�s gaziers, d�pendance technologique totale, atteintes environnementales majeures et dilapidation de ce qui sera la v�ritable richesse � l�avenir : l�eau.