Les �v�nements du 5 octobre 1988 ont �t� une �tape d�cisive dans la vie nationale. Si beaucoup les consid�rent comme le �printemps alg�rien� qui a pr�c�d� de plus de vingt ans les r�voltes arabes actuelles dans son aspiration � la d�mocratie en donnant lieu au multipartisme et � l�ouverture �conomique, d�autres nient un soul�vement populaire spontan� et le mettent volontiers sur le compte d�un s�isme ayant touch� les soubassements de la R�publique sous l�impulsion de luttes de clans au sein du pouvoir. Toujours est-il que ces �v�nements ont permis l��mergence d�une presse priv�e plus ou moins libre, de partis politiques, de syndicats et d�associations, repr�sentant la soci�t� civile qui donnent une bonne longueur d�avance sur les autres pays du monde arabe. Cependant, l�Alg�rie va conna�tre une p�riode sombre et sanglante. Ceux qui sont n�s durant cette p�riode sont ceux qui appartiennent � la cat�gorie des jeunes aujourd�hui. Ils ont baign� dans cette atmosph�re de violence et de d�sespoir, et cela a fait na�tre en eux la peur et la m�fiance. Et il est notoire que ces deux ingr�dients soient les parents de la col�re. Il �tait utile d�ouvrir une parenth�se sur ces �v�nements car ils sont � l�origine de l�environnement g�n�ral dans lequel a �volu� la nouvelle g�n�ration. Les jeunes Alg�riens ne sont pas des personnes immatures comme les politiciens ont tendance � le dire, ils ont conscience de leur situation et de celle de leur pays, mais ils sont impuissants devant la r�alit�, car ils sont tout simplement exclus et victimes de hogra. Dans cette enqu�te que nous avons �tay� par un entretien avec un sociologue, il n�est �tabli qu�un constat loin d��tre exhaustif car il est quasiment impossible de saisir tous les param�tres qui entrent dans la composante des individus tant ils sont multiples. Il est important de signaler �galement que l�Alg�rie ne dispose pas de r�elles �tudes en psychologie ou m�me en psychanalyse qui pourraient aider � comprendre ce grand malaise que vivent les jeunes, m�me si des tentatives sont faites ici et l� mais qui restent insuffisantes. Nous vivons une ambiance d�ins�curit� grandissante dans laquelle les jeunes sont partie prenante. Aucune institution n�est �pargn�e par la violence. Il y a une rupture de dialogue et une col�re au sein de la jeunesse qu�il est imp�ratif d�apaiser ou d�exorciser, sans cela, elle sera d�vastatrice. Code linguistique et code d�honneur Les jeunes ont une fa�on de communiquer qui est diff�rente de celle de leurs a�n�s. Ce n�est pas un ph�nom�ne nouveau. Pratiquement, toutes les g�n�rations l�ont connu. C�est une mani�re de se distinguer et d�avoir tout simplement un comportement de jeune et d�appartenir � un groupe social. Cela est d�fini par l�instinct gr�gaire. On se reconna�t entre jeunes et on parle le m�me langage. Les jeunes des grandes villes, comme Alger, ont cette tendance � accentuer leur comportement viril, voire machiste qui est tr�s prononc� dans les quartiers populaires. Ils parlent fort en mimant une gestuelle particuli�re. La voix est rauque souvent �cass�e� par l�usage du tabac � un �ge pr�coce. Mohamed, un jeune de la place des Martyrs, nous explique que �les jeunes sont au fond gentils mais ils doivent adopter un certain comportement pour ne pas �tre tax�s de faibles et de ne pas �tre �mahgourine� surtout dans leurs quartiers sinon ils sont cuits�. Comprendre que ceux qui manifestent une attitude pacifiste et conciliante ou qui rechignent � montrer du poing sont �tiquet�s d��homos� avec ce que cela suppose comme penchant sexuel. Certains jeunes, notamment dans la tranche des 15 et 17 ans, font expr�s d�acheter des baskets, la chaussure pris�e des jeunes, de taille plus petite que leur pointure pour que leurs pieds soient �cras�s afin d�avoir une d�marche sp�ciale qui leur donne une certaine allure de gangster comme dans les films ! Quant � leur parler, c�est clair que si on n�est pas initi�, on risque de faire l�objet de sarcasmes et de moqueries et d��tre surnomm� �ka�ba� qui veut dire plouc, on l�est aussi si on porte des v�tements bon march�. La griffe est de mise. �Tacha� �griffa�, �marqua� pour d�signer des v�tements de luxe acquis souvent gr�ce � des moyens ill�gaux. Les jeunes ont aussi une relation particuli�re avec l�argent et du fait qu�ils vivent dans un syst�me rentier, port� sur l�acquisition de biens mat�riels, cela accentue cette relation qui peut �tre parfois malsaine. Ainsi, chaque billet et chaque pi�ce porte un nom. L�argent, dans le langage des jeunes c�est �el a�t�, inutile de chercher d�o� vient le mot, on ne sait pas comment est n� ce lexique. Tout ce qu�on sait, c�est qu�il finit par charmer et se propager en milieu juv�nile. Ainsi, le billet de 1 000 DA est �une meska�, 200 DA, c�est �une houbla �, une pi�ce de 100 DA est �une detch�, 50 DA �une cinquah�, 10 DA, �une defra�, 5 DA �quiss�, quant � une liasse de 10 000 DA, c�est une �hadjr�. Le sexe oppos� fait partie des fantasmes des jeunes. Une belle femme est appel�e �zella�, �hanouna�. Celle qui a une belle taille est surnomm�e �el makhdouma�. Pareil pour les filles, elles qualifient un bel homme de �hanoune �, celui qui a un beau corps de �makhdoum� ou s�il ressemble � un adonis, il est carr�ment �mahboul� ou �mathouf�. Les voitures sont aussi au centre d�int�r�t des jeunes. Un v�hicule haut de gamme est qualifi� de �haba khchina�. Ils ont un faible pour la BMW qu�ils consid�rent comme le nec plus ultra des chefs d��uvre m�caniques, ils l�appellent �chitana �. Le mot �fercha� d�signe celui qui n�a pas de tripes, qui ment ou qui ne tient pas parole. Quant � �anouche�, c�est le fils � papa et quand une chose leur pla�t, ils disent �fort�, �cin�ma� ou �hata el tema�. Le plus cocasse dans leur langage est qu�ils ont repris � leur compte la fameuse phrase du pr�sident Bouteflika donn�e � l�occasion de son discours d�avant les �lections l�gislatives qui exhortait les Alg�riens � voter massivement. C�est ainsi que le personnel politique et les membres du gouvernement sont ironiquement d�sign�s dans leur conversation de �tab djenanhoum �. Parmi les jeunes, il y a un code d�honneur digne des gangs des villes am�ricaines. Ils marquent leurs territoires par quartier ou �houma�. R�da de Soustara nous dira que �les jeunes du m�me quartier mettent des lignes rouges et gare � celui qui ose les franchir. Les gars du quartier qui ont grandi ensemble se prot�gent mutuellement. Ce sont pratiquement des familles qui s�invitent les uns chez les autres. Quand quelqu�un est agress�, c�est tout le monde qui intervient pour le d�fendre�. C�est ainsi que ces derniers on assist� � de v�ritables guerres de clans, de bandes rivales et de quartiers, � coups d��p�e et de machette, qui finissent souvent mal, voire de fa�on tragique. Foot, drogue et Internet Le foot est le sport le plus populaire de la plan�te et l�Alg�rie n�est pas en reste. On peut m�me dire que les Alg�riens sont fous de foot. Le match Alg�rie-�gypte a montr� on ne peut mieux � quel point les jeunes sont avides de victoires. Un match qui les a r�concili�s avec leur pays et leur histoire.Tout le monde a pu remarquer avec quelle ardeur ces jeunes ont voulu laver l�honneur bafou� des martyrs de la r�volution ainsi que le drapeau alg�rien malmen� par les fanatiques �gyptiens et les m�dias du Nil qui les ont chauff�s � blanc et incit�s � la haine. Les jeunes qui ont pris d�assaut les agences d�Air Alg�rie pour aller supporter l��quipe nationale au stade d'Omdurman � Khartoum au Soudan �taient pr�ts � aller au casse-pipe mais le pouvoir n�a pas su exploiter leur passion en lan�ant des chantiers en faveur des jeunes. Une occasion en or a �t� g�ch�e pour que les jeunes reprennent confiance dans leur pays. Aussit�t, les d�ceptions r�apparues que les harraga ont repris du service sans oublier les suicides et les �meutes. Aujourd�hui, force est de constater que les stades sont devenus des ar�nes o� on l�che bride � ses col�res et ses frustrations. Les h�pitaux re�oivent des milliers de cas d�agression pour vol de la part de jeunes qui sont sous l�effet de psychotropes, de chite ou de zetla. L�oisivet� et le vide font partie de la vie quotidienne des jeunes qui peuplent les cybercaf�s. On communique (chat) avec des inconnus, on drague et on passe son temps scotch� devant l�ordinateur, en attendant des jours meilleurs. Yacine, que nous avons rencontr� dans un cybercaf�, nous r�v�le que �beaucoup de jeunes passent des nuits blanches en se connectant sur des sites de rencontres. Si certains cherchent � lier une relation avec une �trang�re pour foutre le camp, d�autres visitent des sites pornographiques �. La libido des jeunes �tant naturellement active, le risque qu�ils encourent, c�est d�avoir une conception de la sexualit� totalement d�voy�e et cela peut engendrer des d�g�ts sur leurs relations futures. D�ailleurs, ce n�est pas fortuit si des jeunes filles comme Sa�da, 28 ans, assistante de direction, a du mal � se lier avec un homme, car pour elle, �les hommes sont des obs�d�s sexuels, d�nu�s de sentiments et de romantisme�. Notre interlocutrice affirme que �les hommes de nos jours ont des pratiques sexuelles perverses et avilissantes pour les femmes�. Allusion faite � la sodomie �pour que les jeunes filles ne perdent pas leur virginit� ou ne tombent pas enceintes�, ajoute-t-elle. Le manque d�emploi, la crise de logements qui sont les causes majeures du mariage tardif et du c�libat prolong� ont donn� lieu � des frustrations et refoulements sexuels �normes � mettre �galement dans la panoplie de raisons qui incitent les jeunes � l��migration clandestine. L�homosexualit� est aussi un ph�nom�ne qui prend de l�ampleur sans oublier les viols qui sont, selon les statistiques, en nette augmentation. La jeunesse face � ces inhibitions multiples constitue une v�ritable bombe � retardement. Les jeunes et la politique On parle de plus en plus de �culture de l��meute�, l�immolation par le feu. Une violence dirig�e vers l�Etat et une autre vers soi. Les sociologues expliquent ces ph�nom�nes par l�absence de canaux d�expression pour les jeunes et la d�fiance de ces derniers envers les institutions et leurs repr�sentants. Le seul recours, estiment-ils, est l��meute pour se faire entendre et le suicide pour en finir avec sa souffrance mais qui se fait de mani�re spectaculaire et devant des t�moins. En somme, ce dont ont besoin les jeunes est en premier lieu une �coute qu�ils n�ont pas et une concr�tisation de leurs dol�ances. Les partis politiques sont �galement vou�s aux g�monies. Les jeunes, qui manifestent leur opposition par l�abstention �lectorale, n�y voient que �des bonimenteurs et des opportunistes�. Pour Fawzi, 24 ans, �tudiant en sciences de la communication �les politiciens veulent nos voix en p�riodes �lectorales et se taillent quand on a besoin d�eux. Les maires, une fois �lus, se planquent dans leurs bureaux et ne re�oivent pas les gens quand ils viennent les solliciter. Il n�y a qu�� voir dans quel �tat sont la plupart de nos communes pour comprendre notre drame. Ils d�tournent de l�argent et manipulent les listes de logements et les march�s � coups de chipa. Les d�put�s sont des pantins qui n�ont rien � cirer du peuple. Tout ce qui les int�resse, c�est le gros salaire et le prestige qui va avec�. Hamid, 32 ans, ing�nieur en informatique �le grand probl�me en Alg�rie, nous dit-il, est que le terme jeune est flou non pas par rapport � l��ge mais par rapport � la vie qu�on a v�cue. A quarante ans, vous trouvez des gens encore c�libataires qui peinent � trouver un emploi ou � se marier faute de moyens, or, � cet �ge, on est cens� avoir v�cu une bonne partie de sa vie mais c�est le vide total. Ce n�est pas fortuit si parmi les dispositifs d�emploi de jeunes figure celui de la Cnac qui porte l��ge limite � 50 ans, c�est exactement la dur�e du r�gne de ceux qui sont au pouvoir. C�est une mani�re de nous dire indirectement qu�ils reconnaissent nous avoir confisqu� notre jeunesse en essayant de r�parer leurs torts sans pour autant nous donner les cl�s de la maison�. Et d�ajouter : �Il faut distinguer entre les jeunes, il y a ceux qui ont fait des �tudes, qui veulent acc�der � des postes de responsabilit�, mais qui n�y arrivent pas, car on les emp�che de reprendre le flambeau, et ceux qui n�ont pas fait d��tudes mais qui aspirent � trouver un emploi pour subvenir � leurs besoins. Les deux cat�gories dans leur majorit� esp�rent poss�der un logement, avoir un poste stable � la hauteur de leurs ambitions et leurs comp�tences, se marier et fonder un foyer, s�amuser et vivre en paix. Ils veulent l��galit� des chances, la justice, l��quit� pour acc�der au bien-�tre. Or, ceux qui gouvernent le pays sont au pouvoir depuis un demi-si�cle, et pour justifier leur long r�gne, ils nous sortent l�argument de la l�gitimit� r�volutionnaire qu�ils accompagnent d�une taxe en plus de la dette qu�on leur doit pour avoir arrach� l�ind�pendance du pays. Ils jouissent de privil�ges, ils ont assur� un bel avenir pour leurs enfants et leurs petits-enfants qu�ils pistonnent gr�ce � leur influence. Alors qu�ils doivent prendre leur retraite et c�der la place, ils ne veulent pas l�cher prise. Le plus dramatique, c�est que tous ces jeunes voient leurs parents, qui font partie pour la plupart de la g�n�ration post-ind�pendance, incapables de les aider car ils ont eux-m�mes �t� exclus. Cela ne leur permet pas d�avoir beaucoup d�espoir. Il y a comme un sentiment de d�faitisme et de r�signation que leurs propres parents leur ont transmis inconsciemment�. F. H. MEHDI LARBI, SOCIOLOGUE : � El harga et le suicide devant les structures de l�Etat sont des actes politiques� Entretien r�alis� par Fatma Haouari Dr Mehdi Larbi, enseignant � la facult� des sciences sociales � l�Universit� d'Oran, nous fait part dans cet entretien de son analyse de la situation des jeunes en Alg�rie. Il estime qu��aujourd�hui on ne sait plus qui exclut l�autre ? Est-ce que la soci�t� et en particulier sa jeunesse qui tente d�exclure l�Etat parce qu�elle ne se reconna�t plus en lui et pr�f�re s�auto-immoler pour le disqualifier par le suicide collectif ? Ou bien, c�est lui-m�me qui tente d�exclure la soci�t� en la torpillant par des d�cisions qui n�arr�tent pas de la fragiliser et de l��loigner de lui ?� Il indique �galement que �les ingr�dients qui alimentent l�islamisme et d�veloppent l�int�grisme demeurent actifs en Alg�rie� Le Soir d�Alg�rie : Pourquoi � votre avis les jeunes en Alg�rie sont-ils victimes d�exclusion ? Mehdi Larbi : L�exclusion ne peut �tre comprise qu�avec son contraire qui est �l�int�gration �. On ne peut calculer, expliquer et qualifier le nombre d�exclus que par rapport au nombre d�int�gr�s. Cependant, l�exclusion est un sentiment que toute personne peut d�velopper quand elle se sent isol�e ou marginalis�e d�un groupe social auquel elle souhaite appartenir. Le rapport qu�une personne souhaite �tablir avec l�Etat diff�re de celui qu�on peut rencontrer dans notre propre vie priv�e. Ce rapport inscrit la personne dans le registre de l�officiel. En dehors de la vie priv�e des personnes, c'est-�-dire le choix individuel et la libert� de fr�quenter les personnes avec lesquelles on d�sire construire une relation amicale ou amoureuse, il existe une autre relation qui doit se construire institutionnellement, entre un individu et son Etat. L�exclusion sociale est donc une production sociale. Elle est un processus qui se construit progressivement chez toute personne qui se sent �loign�e de la vie et de son cadre officiel, reconnu et prescrit par les institutions de l�Etat. Se sentir exclu veut dire n�avoir aucun r�le � jouer pour s�affirmer et se reconna�tre dans la soci�t�. Ce sentiment affaiblit l�engagement et fragilise en m�me temps le projet de la citoyennet�. Il produit le repli sur soi, car l�exclusion est une situation sociale dans laquelle on est d�muni et d�pouill� de tout ce qui peut nous d�finir comme acteur social. Avoir un travail et un logement par exemple repr�sentent des facteurs essentiels qui permettent � la personne d�exister comme membre de la soci�t�. L�homme se construit socialement par le travail et le logement. En plus de la pr�servation de la dignit� humaine, ces �l�ments d�veloppent la citoyennet� et favorisent l�engagement pour construire la vie collective, selon les normes et les valeurs inscrites comme notoires par les institutions publiques. Ces derni�res qui incarnent l�image de l�Etat doivent veiller � ce que ces normes fa�onnent les cat�gories sociales de la soci�t�, afin qu�elles puissent se reconna�tre en elles. Dans le cas alg�rien, l�exp�rience de l�exclusion sociale est diff�rente de celle que l�Europe a produite. Dans les pays capitalistes, l�exclusion est le produit d�un march� �conomique qui r�gule l�emploi selon la loi de l�offre et de la demande. En Alg�rie, l�Etat s�est pr�sent�, depuis l�ind�pendance, comme le seul acteur capable de r�soudre les probl�mes que peuvent rencontrer les Alg�riens. Il se pr�sente donc comme celui qui garantit le travail et le logement. L�Etat s�est consid�r� comme le tout faisant. Pour ceux qui ont incarn� l�Etat par une id�ologie st�rile et autoritaire, la soci�t� ne peut vivre qu�� partir des choix politiques et �conomiques qu�ils ont �tablis. C�est l�Etat qui choisit le mode de vie et la mani�re avec laquelle les Alg�riens doivent vivre ensemble. Dans cette logique, l�Etat ne veut pas que la soci�t� s�autonomise. L�objectif de cette politique est de maintenir toutes les cat�gories sociales d�pendantes des choix politiques, �conomiques et culturels de l�Etat. Toutefois, la probl�matique de l�exclusion en Alg�rie est difficile et complexe � d�cortiquer aujourd�hui. On ne sait plus qui exclut l�autre ? Est-ce que la soci�t� et en particulier sa jeunesse qui tente d�exclure l�Etat parce qu�elle ne se reconna�t plus en lui, et pr�f�re s�auto-immoler pour le disqualifier par le suicide collectif ? Ou bien, c�est lui-m�me qui tente d�exclure la soci�t� en la torpillant par des d�cisions qui n�arr�tent pas de la fragiliser et de l��loigner de lui ? Les jeunes Alg�riens sont-ils diff�rents les uns des autres ? Les trajectoires et les exp�riences des jeunes de diff�rentes cat�gories sociales sont diff�rentes et il est possible que certaines cat�gories qu�on peut rencontrer sur le terrain ne d�veloppent aucun sentiment d�exclusion. Le sentiment que peuvent d�velopper les cat�gories qui appartiennent aux familles riches n�est pas forc�ment le m�me que les autres qui appartiennent aux familles pauvres. Celui d�une cat�gorie issue de parents universitaires n�est pas identique � celui issue de parents sans instruction scolaire. Les situations socio�conomiques et culturelles diff�rentes produisent et fa�onnent formellement une prog�niture diff�rente. La personnalit� se construit et se socialise � partir de ces �l�ments. Les jeunes ne viennent pas du hasard, ils sont le produit de leur propre famille, de leur propre �cole et de leur propre soci�t�. En aucun cas, on ne peut les assimiler dans une conception unitaire. Cette diff�rence sociale et culturelle produit des attitudes et des repr�sentations diff�rentes envers tout ce qui se pr�sente � eux. Ce qui est probable en Alg�rie, c�est qu�une grande partie de jeunes d��ge et de sexe diff�rents se sent victime d�exclusion sociale parce qu�elle n�a aucune situation mat�rielle. Bien que le mat�riel puisse cacher d�autres besoins qui ne peuvent pas appara�tre clairement dans le discours du jeune, il n�en demeure pas moins que le travail reste la revendication principale. Il faut signaler qu�� l��poque du parti unique, l�Etat a scind� la jeunesse en deux cat�gories. Celle qui participe au d�veloppement des trois r�volutions (industrielle, agraire et culturelle) par le savoir-faire et la formation qu�elle a acquis dans les �tablissements �tatiques. Cette cat�gorie est repr�sent�e par le discours politique officiel, comme �tant une jeunesse int�gr�e. Par opposition, il y a celle appel�e dangereuse, que le pouvoir a d�class�e, car elle n�a pas su profiter de la scolarisation ou de la formation pour qu�elle puisse int�grer le march� du travail. Ce type de jeunesse est trait� de d�s�uvr� et de �hitiste�. Pourquoi, � votre avis, les jeunes ne s�int�ressent pas � la politique ? Si on d�limite le champ de la politique au simple acte d�int�grer un parti politique pour avoir une carte d�adh�sion, je vous r�ponds par un grand oui. Effectivement, un nombre important de jeunes, toutes cat�gories confondues, d��ge et de sexe diff�rents, ne veut s�inscrire dans aucun des partis politiques officiels existants. Mais il ne faut pas n�gliger l�autre jeunesse qui a accept� de jouer � un jeu qui n�est pas, en r�alit�, le sien. Aujourd�hui, cette derni�re est qualifi�e comme �tant une frange opportuniste qui n�active que pour r�gler ses propres projets et affaires. Elle n�est pas majoritaire. En revanche, si on essaie de prendre la politique comme attitude, comportement et revendication, l�, je vous dis que la jeunesse alg�rienne faisait et fait en permanence de la politique. Une grande partie suit les �v�nements mondiaux et nationaux. La jeunesse qui ne s�inscrit pas dans les partis politiques ne peut pas �tre class�e en dehors de la politique. Les jeunes d�veloppent une attitude de �refus politique�. Ce comportement ne peut avoir une signification en dehors de l�acte politique. Ils ne veulent pas s�inscrire dans les partis politiques car, les objectifs des deux s�opposent. Les jeunes ont compris que la politique en place n�est pas faite pour eux parce qu�elle n�est pas taill�e selon leurs mesures. Ils ne peuvent en aucun cas s�harmoniser et se compl�ter avec elle. Cette jeunesse n�est pas dupe, elle a construit une id�e sur le fonctionnement de ces organes. Depuis l�instauration du multipartisme, elle a construit son propre jugement. Aujourd�hui, elle pr�f�re occuper les lieux publics et se mettre en danger devant les forces de l�ordre pour faire entendre ses revendications que de se mettre dans les locaux ferm�s face � un discours creux et d�magogique. Plusieurs actes publics nous montrent clairement comment ces jeunes font de la politique. Ils la pratiquent dans la douleur et la souffrance. Le ph�nom�ne de la hargaet le suicide devant les structures de l�Etat sont des actes politiques. Le fonctionnement et les pratiques des partis politiques prouvent quotidiennement que ces organes ne sont que des strapontins pour le pouvoir en place, afin de maintenir son contr�le sur la population. Les partis n�ont pas �t� con�us pour �tre domestiqu�s par la jeunesse pour construire son propre discours. Le Parlement est d�fini comme une bo�te postale qui permet au pouvoir de faire passer les lois qu�il veut. Les crises au sein des partis prouvent que les enjeux sont loin des besoins et des demandes formul�es par la jeunesse alg�rienne. Quelles sont, � votre avis, les vraies raisons qui incitent � la harga ? Dans une enqu�te effectu�e en 2006 dans un quartier populaire de la ville d�Oran, l�un des jeunes cibl�s �g� de 26 ans m�a d�clar� qu�il a d�j� v�cu l�exp�rience de la harga. Le jeune est entr� dans l�ill�galit� quand il a r�alis� qu�il pourrait accomplir le voyage sans passeport, sans autorisation du pays d�accueil, sans titre de transport officiel. Les informations que j�ai pu recueillir montrent que le ph�nom�ne de harga est un projet qui se construit sur la base de plusieurs �l�ments. Il se r�alise apr�s une r�flexion et un calcul mais l�exp�rience est plurielle. Chacun peut avoir ses propres raisons. Le cas mentionn� s�est retrouv� dans une situation d�impasse g�n�rale. Il n�avait aucun moyen pour l�expliquer. Elle ne concerne pas uniquement le c�t� mat�riel. Bien que ce jeune n�avait ni travail ni qualification professionnelle, il n�est pas �tonnant de dire que cet �l�ment n�est qu�un pr�texte qui apparaisse dans le discours de plusieurs jeunes afin de cacher l�essentiel. Le projet de la hargaest pr�par� avec plusieurs personnes proches et fabriqu� par plusieurs pi�ces. Elle est en rapport avec les repr�sentations sociales qui s�opposent � l�int�rieur m�me de la famille et qui se d�veloppent ensuite dans la soci�t�. Pour rem�dier � cela, il faut ouvrir un vrai grand d�bat politique et culturel sur toute la soci�t� et lib�rer les m�dias lourds pour permettre � la population de toutes les cat�gories de parler et de s�exprimer librement sur sa propre vie. Notre soci�t� demeure refoul�e, et nous ne savons pas qu�est-ce qu�elle peut nous faire sortir si la situation de pourrissement se p�rennise. L�id�e de r�aliser l�exp�rience de la harga commence � m�rir chez le jeune apr�s avoir fait plusieurs constats. Il n�y a pas que le c�t� mat�riel qui entre en jeu. Au d�part, c�est la situation g�n�rale et confuse qui ne donne au jeune aucune explication claire. Les jeunes aiment bien s�exhiber en v�tements de marque, pourquoi selon vous ? Les jeunes veulent passer un message � travers leurs v�tements et leur mani�re d��tre. Ils veulent avoir leur place dans la soci�t� et afficher leurs diff�rences par rapport � leurs a�n�s. Ils veulent dire qu�ils existent. Que signifient les �v�nements du 5 Octobre 1988 pour les jeunes ? Les nouvelles g�n�rations d�apr�s-octobre 1988 n�ont pas r�ussi � comprendre r�ellement ces �v�nements. Ni la soci�t�, ni les m�dias, ni les universit�s n�en parlent. Il y a en quelque sorte une omerta sur cette r�volte. Le ph�nom�ne du terrorisme l�a emport�e avec elle et a gomm� les vraies raisons de cette r�volte. Il a �clabouss� sa logique sur celle d�Octobre 1988. Le terrorisme a bloqu� la soci�t� afin qu�elle ne puisse plus prendre la parole. La r�volte pour une justice sociale a �t� coll�e au terrorisme en Alg�rie. Les jeunes n�ont pas peur de la r�volte mais du terrorisme qui brise le cheminement de la libert� et fragilise les actions qui aident � l�installation de la d�mocratie. Y a-t-il un risque islamiste qui guette les jeunes ? Il faut faire la diff�rence entre l�Islam comme religion et l�islamisme comme id�ologie politique. C�est une question complexe. Elle renvoie plus � la probl�matique du politique et du religieux dans pratiquement tous les pays dits �arabo-musulmans�. Bien que la population et particuli�rement les jeunes puissent dire, aujourd�hui, que les islamistes ont failli � leur mission apr�s avoir particip� au pouvoir, cela ne veut pas dire que la mobilisation de l�action islamiste est enterr�e. Au contraire, le pouvoir n�a pris aucune pr�caution et n�a pas pens� aux vraies questions qui peuvent �radiquer l�islamisme. Les ingr�dients qui alimentent l�islamisme et d�veloppent l�int�grisme demeurent actifs en Alg�rie. Il suffit de voir la formation dans les �coles et les universit�s pour constater la gravit� de la situation. Il faut voir aussi le comportement collectif dans la soci�t� et combien cette derni�re hait les diff�rences culturelles et religieuses. Sans une volont� politique pour s�attaquer aux racines qui peuvent d�velopper l�int�grisme et l�id�ologie islamiste, la soci�t� et les jeunes en particulier, sans dispositif culturel et sans conscience politique, seront en permanence la cible facile de l�islamisme politique.