Deux livres en un seul volume. Le Uyûb an-Nafs du malâmâtî Abû ‘Abd ar-Rahmân as-Sulamî, suivi du poème didactique Radjaz al-‘Uyûb, qui met en vers les thèmes développés par le grand traditionniste, hagiographe et maître soufi iranien des Xe et XIe siècles. Ce sont les nouvelles parutions, ce début d'année, des éditions de la Librairie de philosophie et de soufisme d'Alger. Vient de paraître aux éditions de la Librairie de philosophie et de soufisme ‘Uyûb an-Nafs wa dawâ'uhâ (les maladies, les vices de l'âme humaine et leurs remèdes) du grand maître soufi malâmâtî Abû ‘Abd ar-Rahmân As-Sulamî (325-412 H./937-1021 ap. J.-C.). Pour rappel, ces anticonformistes avant la lettre, les malâmatiyyah, sont les «gens du blâme», qui n'accordent aucune valeur à l'image et l'opinion que pourraient avoir d'eux les hommes, préférant être blâmés que loués. Le texte de cette nouvelle édition a été établi (sur la base de manuscrits), annoté et présenté par Ammar Bennia et Mohamed Atbi, deux spécialistes algériens des questions soufies. L'un des principaux avantages qu'offre cette nouvelle édition est d'avoir, tout à fait logiquement, fait suivre le texte d'As-Sulamî par celui, postérieur de plusieurs siècles, du grand théologien, juriste et soufi marocain, le célèbre Cheikh Abû 'l-‘Abbâs Ahmad Zarrûq al-Burnusî al-Fâsî (846-899 H./1442-1493 ap. J.-C.), qui a mis en vers le traité d'As-Sulamî, ce qui a donné un très brillant poème didactique de 646 vers, intitulé Radjaz al-‘Uyûb. La première page de couverture est d'ailleurs ornée de la reproduction d'une page d'un des manuscrits connus de cet ouvrage conservé dans le fonds de la Bibliothèque nationale d'Algérie, et qui a précieusement servi à l'établissement du texte. Il faut reconnaître aux éditeurs le mérite certain de n'avoir pas omis de soigneusement «voyelliser» les citations coraniques et les hadiths (en langue arabe) ainsi que tous les passages où l'absence de vocalisation des mots pourrait compromettre une juste compréhension du texte. Chose, d'ailleurs, dont ne semblent pas s'être tellement souciés ceux qui s'étaient chargés d'établir le texte des précédentes éditions. Le ‘Uyûb an-Nafs est un vrai petit traité pratique de psychologie soufie. L'âme humaine y est «impitoyablement» mise à nu et disséquée sans ménagements, ses défauts et vices dévoilés sans complaisance. Ainsi, en l'Homme, il y a ce qui ressortit de la nature angélique, ce qui se rapporte aux instincts basiques animaux ou ce qui tient carrément du démon. Ces tiraillements font de l'âme humaine un sujet très versatile, soumis à toutes sortes d'influences néfastes, aux pulsions et aux faiblesses de la chair, à l'envie et à la jalousie, à la gourmandise et à la paresse, au mensonge et à la duplicité, à l'avarice, au désir de prendre le bien d'autrui ; en somme, à mille et une autres tares. Un climat psychologique, en fait, qui est le terrain de chasse privilégié de l'Ennemi, Satan, ash-Shaytân. Ces maladies, ces vices de l'âme sont nombreux, parfois insoupçonnés comme tels. Par exemple, s'imaginer être un saint parvenu à la félicité et la sainteté peut sembler très séduisant, voire légitime ; pourtant, il n'est rien d'aussi trompeur que ce genre d'illusion. Les vrais saints amis de Dieu (awliyâ' Allâh) sont ceux qui tremblent toujours de frayeur à l'idée de rencontrer Dieu et de comparaître devant Lui, qui se croient les derniers et les moins méritants des hommes, même s'ils passent le plus clair de leur temps à œuvrer dans les multiples voies du Bien et de la Piété. Considéré comme l'un des plus grands littérateurs religieux de l'islam et l'un des plus prolifiques, As-Sulamî a laissé une œuvre nombreuse et variée, dont on peut citer, outre le ‘Uyûb an-Nafs, plusieurs autres ouvrages dont un bon nombre a été édité et traduit en langues européennes ou autres (turc, ourdou, etc.). Parmi ces ouvrages figure son Dhikr an-niswa 'l-muta‘abbidât as-sûfiyyât (Early Sufi Women : Dhikr An-niswa Al-mutaʻabbidāt Aṣ-Ṣūfiyyāt, translated by Rkia Elaroui Cornell, Fons Vitae, Louisville, 1999.), un ouvrage qu'il a consacré aux femmes dévotes et engagées dans la voie soufie. Il y a encore le Kitâb al-Futuwwah (traduction française et présentation de Faouzi Skali : Futuwah, Traité de chevalerie soufie. Collection Spiritualités vivantes, Albin Michel, Paris, 1989). Il y a aussi bien sûr sa fameuse Risâlat al-malâmatiyyah traduite et présentée par Roger Deladrière sous le titre de «La lucidité implacable, Epître des Hommes du Blâme» (Arléa, 1991). Les éditions de la Librairie de philosophie et de soufisme ont ainsi fait œuvre très utile en mettant ce texte majeur à la portée du public algérien. Le livre sera présenté et signé à l'occasion d'une conférence autour de «La connaissance de l'âme humaine dans le soufisme», qui sera donnée par Mohamed Atbi à la Librairie L'arbre à dire de Sidi-Yahia (Alger) le samedi 10 février à 16h.