�En face d'une �uvre d'art, il importe de se taire comme en pr�sence d'un prince : attendre de savoir s'il faut parler et ce qu'il faut dire, et ne jamais prendre la parole le premier. Faute de quoi, on risquerait fort de n'entendre que sa propre voix�, est-on tent� de dire pour reprendre Arthur Schopenhauer. C�est le cas des chefs d��uvre du ma�tre artisan dans l��b�nisterie d�art, Abdelkader Bentchoubane, qui vient de nous quitter � l��ge de 89 ans. Le doyen des artisans �casbadjis � qui �lisait profession � la rue Benach�re (la souiquia pour les nostalgiques), l�espace de 74 ans, ne voulut mettre le valet sur le maillet que suite � une maladie qui a fini par avoir raison de lui. Malgr� le poids des ans, l�octog�naire tenait � sa passion, taquinant les essences de bois au milieu de la patine du temps, jusqu�� son dernier souffle. Il ne voulait pas quitter le navire, la Casbah, et son atelier �tait synonyme de foyer culturel tant les hommes de th��tre et de lettres, les artistes peintres, les enseignants, les musiciens et les hommes de culte d�filaient dans son espace qui servait aussi, lors de la guerre de Lib�ration, de point de transit pour le courrier de la Zone Autonome. Lorsqu�on p�n�trait dans son atelier, le temps semblait suspendu, nous disait un de ses amis. Mais que reste-t-il de cette douce souvenance sinon quelque r�miniscence vol�e au terme d�une discussion que nous avons eu l�occasion de partager avec cet artisan et ancien �l�ve de l��cole Echabiba o� il suivait son cursus scolaire dans les ann�es 1930 sous la f�rule de Abderrahmane El Djillali, Al Khalifa et Djellouli entre autres. La Casbah d�Alger, il la voyait comme une cit� o� les corps de m�tiers, dispos�s en enfilade dans ses ruelles, participaient � cr�er une ambiance o� il faisait bon vivre. �Contrairement � nos voisins de l�Est ou de l�Ouest dont les m�tiers d�art et d�artisanat constituent la cheville ouvri�re du tourisme, chez nous, � Alger ou dans d�autres villes du pays, l�artisanat est r�duit � la portion congrue�, disait-il souvent sur un ton amer. T�moin : le quartier des artisans, ce miroir aux alouettes situ� au Bois-des- Arcades. Un ensemble qui brasse du vent, un lieu qui se morfond dans la mesure o� il ne reste que deux ou trois artisans. La raison ? Le d�sint�ressement des jeunes plus soucieux du gain imm�diat, combin� � une politique moins stimulante dans la promotion de ce corps de m�tiers. A notre interrogation de conna�tre les raisons qui ont fait que ces m�tiers d�art d�p�rissent, notre interlocuteur nous r�pondait, il y a quelques jours, de mani�re p�remptoire et non sans un pincement au c�ur : �Dois-je vous dire que les gens ne pr�f�rent plus s�investir dans ce type d�activit� qui n�assure pas de gain imm�diat.� Et de poursuivre en martelant : �Ils n�en ont cure de l�artisanat et des m�tiers d�art qui repr�sentent le patrimoine et l�identit� d�un pays.� En effet, bien que l�artisanat demeure une manne s�re pour le tourisme et, partant, pour le pays, il n�en demeure pas moins, rappelait- il � notre adresse, que �la chose n�est plus appr�ci�e � sa juste valeur�. Abdelkader Bentchoubane fait partie de ces hommes sages, pieux et discrets dont on ne se rend compte, vraiment, de leur valeur que le jour o� ils ne sont plus parmi nous�