Le premier jour de l'an 2012 disparaissait notre ami Abdou B. La veille, 31 d�cembre 2011, nous �tions au Palais des Nations, � Club-des- Pins, veillant ensemble, avec notre ami Mourad Ouali, aux questions de communication pour les besoins des Assises nationales sur le d�veloppement local organis�es par le Cnes. Pour les besoins de l��v�nement, nous entrepr�mes, � tour de r�le, aux c�t�s de Mohamed Seghir Bab�s, le pr�sident du Cnes, de faire le tour d�Alg�rie pour un recensement in�dit des attentes des populations afin d�esquisser les contours d�une politique des territoires. Souffrant de douleurs persistantes � la poitrine, il sollicite que je l�accompagne chez lui. De retour chez moi, je n�avais pas le c�ur � la f�te et m�endormis tr�s t�t ce jour-l�. Le lendemain, le premier janvier 2012, fort heureusement pour moi lorsque Na�ma, son �pouse, m�annonce la nouvelle aux premi�res heures du jour, je sortais d�un bon sommeil r�parateur : une fois n�est pas coutume, cette ann�e-l� j�avais d�cid� de rester seul et de ne pas veiller. En se mettant � sa recherche, t�t le matin, � l�h�pital Mustapha, nous mesur�mes, un ami et moi, l��tendue des d�g�ts occasionn�s au syst�me national de sant�. On pouvait acc�der au b�timent de cardiologie, sans que ne se manifeste l�ombre d�un m�decin de garde, d�un infirmier ou un agent de s�curit�. Les couloirs �taient d�serts et les pauvres malades livr�s � eux-m�mes. J�eus peur comme jamais de ma vie en imaginant le calvaire que vivaient nos compatriotes dans le besoin ! C�est � la morgue qu�on retrouvera Abdou B. quelques heures plus tard. Ceux qui ont connu de pr�s Abdou B. garderont de lui-m�me l�image d�un homme de conviction, mariant avec bonheur un sinc�re attachement � l�humanit� plurielle tout en �tant profond�ment ancr� dans son terroir. Il donnait ainsi raison au po�te turc, Nazim Hikmet, lorsqu�il disait qu�on ne peut pas aimer les autres peuples si on n�aime pas son propre peuple. Comme tout homme de gauche �rudit, cultiv� et ouvert, il �tait profond�ment attach� au patrimoine militant des peuples fran�ais, allemand, russe et des anciennes colonies qui ont marqu� le si�cle �coul�. Abdou B. n�a jamais d�vi� de cette trajectoire depuis son engagement � l�UNEA dans les ann�es 1960. N� le 12 a�ut 1944 � Barika dans la wilaya de Batna, il est l'un des dipl�m�s de la premi�re promotion de l'Institut national de journalisme. En quittant Barika, pour le lyc�e de S�tif, puis Alger, il en h�rita la force de caract�re de ceux qui l�ont plus que marqu�, fa�onn�. A commencer par son p�re, Khandra, le cordonnier maquisard par la t�te de qui il jura jusqu�� son dernier souffle. A la fin de son service national effectu� avec la premi�re promotion d�universitaires affect�s � la revue El Djeich, organe du Commissariat politique de l�ANP, il se distingua en tant que r�dacteur en chef de la revue Les 2 �crans, un p�riodique consacr� au cin�ma et � la t�l�vision. Ancien animateur de cin�club, il contribua par ce biais � vulgariser la culture cin�matographique dans les salles obscures du territoire nationale. La revue Les 2 Ecrans, qu�il a cr��e en 1977 avec ses amis collaborateurs de toutes nationalit�s f�rus du cin�ma, allait, jusqu�en 1985, constituer le phare des professionnels jusqu�au-del� des fronti�res nationales. A l�ext�rieur, Abdou a couvert ou particip� � plusieurs titres � nombre de festivals cin�matographiques, de Cannes � Moscou (Union sovi�tique), en passant par Montr�al o� il fit partie d�un jury aux c�t�s d�Alain Delon. Son domaine d�activit� est �largi � tout le secteur de la culture lorsqu�il passe � l'hebdomadaire R�volution africaine � la belle et grande �poque de Kheireddine Ameyar, Mouni Berrah, Mimi Maziz, Slim, Mohamed Hamdi et d�autres. Nous retrouvions cette �quipe dans les r�unions houleuses du Mouvement des journalistes alg�riens (*), que nous avions lanc� en 1988 � initiative d�un petit noyau de jeunes militants des syndicats, du PAGS et d�autres courants et personnalit�s de gauche. Initialement d�termin�s � am�liorer les conditions de vie et de travail des journalistes, nous entrepr�mes d��largir la revendication au domaine de l�expression, migrant d�une salle � l�autre : le Mouggar, le Cercle culturel d�Alger, la salle ABC, la salle Atlas ou, plus � l��troit, mon salon de Bab Ezzouar. A d�faut de salle, on occupait la rue la Libert� ou la place Emir- Abdelkader. A l�issue d�une marche sur la pr�sidence, une d�l�gation du Mouvement est re�ue par Mouloud Hamrouche. Elle sera associ�e plus tard � la pr�paration de la loi 90-07 par un groupe qu�animait alors Abderrahmane Hadj Nacer, futur gouverneur de la Banque d�Alg�rie, apr�s l�adoption de la loi sur la monnaie et le cr�dit qui consacra l�ind�pendance de cette institution. Je dois avouer qu�apr�s ce premier contact, la perspective de nos luttes changea du tout au tout : en lieu et place de la lutte contre la censure et l�autocensure, l��quipe des r�formateurs propose l�alternative de �l�aventure intellectuelle� qui apr�s la malheureuse �parenth�se Dembri� � homme � vous faire congeler un Sicilien � ouvrit des perspectives sans pr�c�dent gr�ce � la commission de suivi anim�e par Mohamed Ghrib, alors ministre des Affaires sociales. Lorsque se pr�cisa la perspective des r�formes au tournant des ann�es 1990, le Mouvement subit les divergences de vues s�exprimant au sein du PAGS pour se scinder en soutiens et en adversaires des r�formes pr�n�es par Mouloud Hamrouche. Abdou et moi �tions des premiers. On n�avait pas tort : pour br�ve qu�elle f�t, l�exp�rience d�mocratique v�cue est globalement positive ! Elle ouvrit une br�che que les tenants de l�ordre ancien n�arrivent toujours pas � fermer � ce jour, gr�ce � une presse priv�e dynamique, des capitaines d�industrie entreprenants, et quelques (rares) partis politiques encore ind�pendants. Abdou B. fit preuve de professionnalisme et son savoir-faire pendant son premier passage � la t�l� alg�rienne (1990-1991). Sa marque de fabrique : la production de nouvelles �missions politiques et sp�cialis�es, l�ouverture sur le monde artistique, l�arriv�e de nouveaux animateurs, jeunes et dynamiques. Bien avant l�av�nement des cha�nes satellitaires, il r�ussit � d�verrouiller la bo�te noire de l�ENTV en y installant de nouveaux codes de travail en phase avec l�expression libre et plurielle. �Liqa� ma� essahafa� (Rendez-vous avec la presse) de Mourad Chebine, ou encore �Bled Music�, anim�e par le dynamique Kamel Dynamite, resteront � jamais dans les annales de cette entreprise. Le cin�ma en tamazight lui doit �galement les deux premiers films de fiction, Machahouet La Montagne de Baya, qu�il a coproduits pour la t�l�vision contre vents et mar�es. Un jour de juin 1990, le t�l�phone sonna dans son bureau. Sid Ahmed Ghozali, un homme du pass� qui venait de remplacer Mouloud Hamrouche, lui annon�a lui-m�me la nouvelle : fin de mission de lib�ration de la T�l�vision nationale. Il gardera de cette mani�re de faire un souvenir cauchemardesque. Son retour � l�ENTV en 1994 ne fut pas aussi fructueux. Convaincu qu�on ne change pas une �quipe qui gagne, il reprend le chemin de l�excellence. Le second passage est bref et les conditions peu propices � une ouverture audiovisuelle. Pour une fois, le pouvoir lui accorde une fleur : il quitte l�ENTV �� sa demande�, pr�cise la d�cision de r�vocation publi�e au Journal Officiel, mais ses successeurs ne furent pas, encore une fois, �seigneurs� � son �gard ! Apr�s la suspension du quotidien La Nation, et la publication de quelques num�ros de Libre Alg�rie pr�par� au si�ge du FFS, nous entrepr�mes de nous mettre � l�abri de la b�tise terroriste � Paris o� il a toujours b�n�fici� de la g�n�rosit� infaillible de son vieil ami, Merzak Meneceur. Apr�s deux piges plac�es � l�Institut du monde arabe ou � la D�couverte pour �l�Ann�e du Maghreb�, la journ�e se terminait in�vitablement dans le 14e, entre le Select et la Closerie des Lilas, avec Ahmed Bessol, Hamid Abbassa, Merzak Allouache ou Omar Bendera. De retour � Alger, apr�s un passage par Demain l�Alg�rie et RSM, o� il remplace Bachir Rezzoug (le g�nie � l��tat pur, une �cole d�art graphique � lui seul !), il est conseiller aupr�s de l�ANEP, membre du Conseil d�administration de l�ENAG, collaborateur de Raouraoua au commissariat de l�Ann�e de l�Alg�rie en France, puis consultant au Cnes, tout en assurant des chroniques hebdomadaires, le jeudi au Quotidien d�Oranet le samedi � La Tribune. Au Cnes, aupr�s de M. S. Bab�s, il trouve soutien et amiti� et retrouve surtout le respect et la consid�ration qui lui reviennent de droit, apr�s tant d�ingratitudes. M�me affaibli par la maladie (des suites de multiples interventions chirrugicales), il ne m�nagea pas ses efforts pour les lui rendre. Libre d�esprit, Abdou B. est l�une des plus belles plumes que la presse alg�rienne ait connues, tremp�es � la belle encre de la vieille �cole ; il tient en horreur l�ordinateur, exp�diant par fax ses chroniques manuscrites ! Dans sa derni�re chronique hebdomadaire, parue dans les colonnes du Quotidien d�Oran, il s�en prit aux �roulements d��paules� et � la �fakhfakha� d�un nationalisme �triqu� ou l�illusion d�un progressisme tonitruant, mais sans moyens ni ancrage. Pour les besoins de cet ultime appel � la mod�ration, il cita Hugo : �Ni despotisme ni terrorisme, nous voulons les progr�s en pente douce.� �Tout ce qui monte, converge�, aime � dire notre ami Mahfoud, un ancien des Comit�s de volontariat. La formule convient � merveille � Abdou B. et � ses semblables. A. B. (*) On trouvera une histoire du MJA dans mon �tude � La presse alg�rienne en qu�te de mythe �, in La Pens�e de Midi, N� 4, 2001/1, pp. 111-123, http://www.lapenseedemidi.org/catalog/r evues/revue4/articles/20_presse.pdf A notre connaissance, les derniers �crits d�Abdou Benziane sont : -Information � Communication � M�dias, pour la Friedrich Ebert Stiftung, http://library.fes.de/pdffiles/ bueros/algerien/06421.pdf -Le cin�ma alg�rien : de l�Etat tut�laire � l�Etat moribond, in La pens�e de midi, N� 4, 2001/1, http://cairn.info/revuela- pensee-de-midi-2001-1.htm