Synthèse Sarah Raymouche C'est quoi être un bon élève ? Y a-t-il que des avantages ? Quel est le rôle des parents pour que leur enfant en soit un ? A travers cet éclairage, Soirmagazine explique la notion d'un bon élève et qu'est-ce que cela implique comme impact sur l'enfant, les parents et l'entourage. Comment devient-on premier en classe ? Philippe Perrenoud de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Genève a écrit en 1990 un superbe article qui est consacré à cette thématique. Sous son titre évocateur : «Vouloir être premier de la classe, est-ce bien raisonnable ?», il explique qu'il y a premier de la classe et premier de la classe.«On peut être premier par accident, sans le vouloir, parce qu'il faut bien que quelqu'un se dévoue. Certains élèves se ‘‘promènent'' dans le cursus avec une facilité qui laisse les adultes songeurs, et peut-être envieux. Là où d'autres doivent peiner, souffrir, se battre pour être et rester les meilleurs, d'autres sont premiers sans efforts. Comment leur reprocher de montrer qu'après tant de discours sur la différenciation, l'école demeure foncièrement incapable d'offrir aux enfants qui s'écartent trop de la moyenne des situations d'apprentissage à leur mesure ? Le premier malgré lui s'ennuie et ne tire guère de vanité de sa facilité, parce qu'il découvre assez vite qu'à vaincre sans péril... Il arrive même qu'un élève très ‘‘doué'' s'applique à paraître ‘‘normal'', pour éviter l'hostilité des uns ou la flatterie des autres. Les premiers de la classe, malgré eux, sont en quelque sorte des déviants, qui ont intérêt à faire oublier et pardonner leur facilité aussi longtemps qu'ils sont astreints à la condition commune. Que dire des autres, de ceux qui ne peuvent être premiers qu'à force de volonté et de travail ? Tordons d'abord le cou à certains clichés : tout premier de la classe n'est pas forcément ‘'lèche-bottes'' ou hyperconformiste ; on peut être premier sans être sérieux à en devenir sinistre, sans mener une vie monastique, sans prendre les allures du fort en thème rivé à sa table de travail et infirme sur le plan relationnel. On peut imaginer des premiers de la classe heureux, non dénués d'humour, ouverts, sportifs ou attirés par le sexe opposé. Ne nous laissons pas piéger par les stéréotypes : leur fonction n'est-elle pas de protéger le plus grand nombre contre l'excellence de quelques-uns ?» A partir de quand peut-on parler de bon élève ? Est-ce déjà à la maternelle, entre 3 et 6 ans ? Oui, répondent les professionnels car ils sont détectés tôt. Il y en a qui réussissent tout. Pour Alain Sotto, psychopédagogue, certaines étapes sont à risque pour les bons élèves : «Je reçois des enfants qui réussissent sans effort jusqu'au collège. Mais ils n'ont jamais appris à travailler, ils se sont simplement appuyés sur leur bonne mémoire et ont reproduit à l'identique ce qu'on leur demandait. S'ils ont du mal à analyser et à comparer, ils s'effondrent au lycée. Ils doivent alors se confronter à la réalité, et c'est parfois difficile.» Pour Joël Zaffran, sociologue et professeur des universités à Bordeaux 2, «ce qui caractérise notre système scolaire, c'est la pression». Le diplôme est devenu un titre de noblesse. Et pour certains enfants, l'école fabrique du malheur. Car, aujourd'hui, être un bon élève, c'est aussi prendre le risque de se faire traiter d'«intello», de «fayot», voire de «bouffon». «Ce terme s'emploie dans un contexte urbain — ZEP, quartiers sensibles — où les jeunes se construisent plus dans l'opposition, la provocation que dans la recherche de l'excellence. «Le bouffon est celui qui respecte les règles du jeu de l'institution en étant dans le peloton de tête et qui renvoie aux autres l'image de leurs échecs. Les bons élèves développent parfois des stratégies subtiles pour jouer sur les deux tableaux et être acceptés par leurs pairs. Le plus souvent, ils font le clown dans la classe», explique Joël Zaffran. L'entourage familial a-t-il un rôle ? «La motivation scolaire n'est qu'une expression de l'investissement de l'enfant dans la vie, explique le pédopsychiatre Patrice Huerre, auteur de Place au jeu ! (Nathan, 2007). Sa curiosité peut être aussi bien encouragée qu'étouffée, tout dépend de l'accueil qui est fait à son désir, à ses émotions, et de l'environnement culturel et affectif dans lequel il évolue. Il ne faut jamais oublier de prendre en compte ces données.» À ces éléments individuels s'ajoute le poids d'une culture ambiante massivement articulée autour du principe de plaisir, observe la psychanalyste Catherine Mathelin-Vanier, auteure, avec Bernadette Costa-Prades, de Comment survivre en famille (Albin Michel, 2002) : «Notre civilisation de jouissance ne supporte pas la frustration ; le plaisir, la réussite doivent être immédiats. Le problème est que les parents envoient un double message à leurs enfants : ils encouragent la satisfaction immédiate, tout en leur demandant de faire des efforts, donc de renoncer, au moins momentanément, à la jouissance, ce que les enfants ne font jamais sans y être contraints !» Une analyse que partage le sociologue de la famille François de Singly, auteur de Comment aider l'enfant à devenir lui-même ? (Armand Colin, 2009), qui apporte cependant un autre éclairage : «Les enfants d'hier étaient plus disciplinés, mais je doute fort que leur motivation personnelle et leur appétit de savoir aient été plus grands. Il fallait apprendre par cœur, alors ils apprenaient ! Ce qui a changé, c'est que le cadre disciplinaire est tombé, et l'inappétence des enfants n'est plus masquée. Pour les motiver, il faut les rendre plus actifs — moins de cours magistraux et plus de transmission sur un mode "travaux pratiques" –, car la passivité et la démotivation vont de pair. Il est urgent de sortir les enfants de la léthargie !»