Par Arezki Metref [email protected] Vendredi pluvieux, 13 h. Coup de fil � un ami... - Je ne sais pas si je pourrai venir au concert ce soir. Euh... Je dois r�diger ma chronique. - Sans �tre indiscret, sur quoi comptes-tu �crire ? - Pour ne rien te cacher, � l'heure qu'il est, je n'en ai pas la moindre id�e. - Ah bon ! - Ma semaine a �t� tellement d�mente que je n'ai pas eu le temps de phosphorer. - �a t'inspire quoi, le Cheval de Lasagne ? - C'est quoi, �a ? Le titre d'un roman ? Un film ? Un op�ra-bouffe ? - �a aurait pu ! Pour le moment, �a a plut�t l'air d'�tre celui d'une tragi-com�die. - ... ? - Pour une fois que nous filons un bon tuyau � l'Occident, �a vaut peut-�tre le coup de s'en pr�valoir, non ! - Tu veux parler de la barbaque de cheval roumain fourgu� pour du pur b�uf ? - Pire que �a, mon vieux, en fait ce sont des raclures de carcasses de rossinantes m�lang�es � du collag�ne. Un truc d�gueulasse ! Noy� dans de la sauce tomate, on n'y voit que du feu. - Ah, ces pays d�velopp�s ! Le capitalisme mondialis� est tellement press� d'engranger du profit, qu'il vend des merles pour des grives. Tu te rends compte, du cheval roumain transmut� en bovin au Pays Basque dans des europ�o-lasagnes pour le compte de Findus, un g�ant du surgel� su�dois de naissance, avant d'�tre converti en helv�te, puis rachet� par des fonds d'investissement am�ricains, puis encore britanniques eux-m�mes c�d�s � la Soci�t� G�n�rale et � la banque d'affaires JP Morgan ! T'as vu un peu le galop du bidet avant de finir en galette de viande de b�uf sur ta brochette ? - Chez nous, au moins si certains bouchers ind�licats nous ont vendu du baudet d'Oued Ouchayah pour de l'ovin de Sidi A�ssa, c'�tait pur �colo. Il n'y avait pas d'ajout de collag�ne. Comme quoi quand les pays dev. se m�lent de vouloir copier les sous-dev., ils ne sont m�me pas fichus de le faire comme il faut. - Chez nous, �a n'a jamais provoqu� un tel s�isme. - Le hic, c'est que c'est � la fois une arnaque sur la tra�abilit�, et une atteinte au tabou alimentaire que repr�sente l'hippophagie chez beaucoup de consommateurs europ�ens et en particulier les Anglais. C'est chez eux d'ailleurs que le scandale a �clat�. - Comme l'�crit Boris Johnson, chroniqueur et maire de Londres, dans le Daily Telegraph, �La race humaine a donc �labor� au cours des mill�naires l'id�e du tabou comme instrument de coh�sion sociale �. Une affaire pareille n'aurait jamais fait autant de scandale en Chine, par exemple, o� la population engloutit chaque ann�e 1,7 million de canassons. Les go�ts et les couleurs ne se discutant pas, les Cor�ens, eux, bouffent des milliers de chiens et dans certains cantons suisses, on raffole de la fricass�e de chat. - Le plus marrant, enfin fa�on de parler, c'est que c'est une interdiction des charrettes � cheval en Roumanie, qui a pouss� les propri�taires de l'animal � le recycler en candidat � l'abattoir. Il faut bien faire quelque chose de ces vieux pur-sang de retour ! - �a me rappelle cette �nigme. Il y a quelques ann�es, j'avais lu dans la presse que, chez nous, on avait retrouv� dans une d�charge la t�te et les pattes d'un bourricot. Le corps avait disparu. Pour s�r qu'il avait fini en cachir dans les �cuelles de pieuses gens. - Dis donc, les merguez, le kabab, et toute la venaison qui pendouille aux crocs de boucher, t'es s�r... ? - De la viande de bardot transform�e en lham marhi ou m�me en m�choui de mouton, c'est plus un scoop, mon pauvre ! Mate un peu les gazettes : �10 d�cembre 2012, une importante cargaison de carcasses d��nes et d��nons dans la ville de Tiaret. Plusieurs dizaines de boucheries avaient �t� complices de cette arnaque.� �8 ao�t 2011 : dans la wilaya de T�bessa, � 16 kilom�tres de la fronti�re tunisienne, plusieurs t�tes d��nes �gorg�s ont �t� retrouv�es � m�me le sol ces derniers mois.� Ou zid ou zid ! ... - Fourguer de la bidoche d'aliboron, c'est pas nouveau, et c'est pas fini ! - Au fait, t'as vu sur Facebook ? On se souhaite chez nous la Sidi Valentin comme s'il s'agissait de Yennayer, du Mouloud ou de l'Achoura. - Ce sont les fleuristes qui ont d�croch� la timbale. - Il para�t que celui de A�n Fel Ward qui, ordinairement, ne vend pas un p�tale, a �puis� ses stocks annuels en une seule journ�e. A Paris, c'est le stock hebdomadaire qui se volatilise avant le coucher de soleil. Ah ! Ce Sidi Valentin, bouffeur de fleurs ! - Pourquoi, �a se mange les fleurs, � la Sidi Valentin ? �a se donne en offrande aux mausol�es des saints ? - Bof, on doit coller des billets doux sur le mur des qobas ! �a s'appelle des valentins, ces trucs qu'on paye les yeux de la t�te dans les journaux ou les panneaux lumineux. Genre : �Omri, tu es ma b�n�diction de La Mecque. Ta Omra.� - Je me souviens de cette histoire de mon grand-oncle, Moussa. �a ne s'invente pas, il portait un nom de proph�te. C'�tait au temps colonial. Une famille avait pos� un plat de couscous sur la tombe d'un proche comme le voulait la coutume. Les n�cessiteux du village ou les voyageurs savaient que la nourriture leur �tait destin�e. Un instituteur fran�ais railla urbi et orbi cette coutume en disant : �Comme si les morts allaient se lever pour manger votre couscous !� Ce � quoi mon grand-tonton r�pondit, fulgurant : �Si les morts devaient se lever pour manger quelque chose, ce serait bien plut�t notre couscous que vos fleurs !� - Mais qui c'est ce Sidi Valentin qui nous vient par Facebook ? - C'est un marabout du marketing, allons. De toutes fa�ons, qu'on mange du bourrin, des fleurs ou du chocolat, c'est le m�me fric qui va dans les m�mes poches. - Oh tu sais, maintenant avec la mondialisation, on s'�change m�me les saints. Si on f�te d�sormais Sidi Valentin, peut-�tre qu'un jour ils f�teront, eux aussi, Saint Zekri !