Par Ahmed Cheniki Les étudiants de l'Ismas (Institut supérieur des métiers et des arts du spectacle et de l'audiovisuel) sont en grève de la faim depuis le 24 février. Leurs revendications sont simples : revoir le fonctionnement de cet institut qui va à vau-l'eau, redéfinir ses fonctions et leur donner la possibilité de participer à un débat sérieux sur la réorganisation de cet établissement et la revalorisation de leur statut (équivalence des diplômes). Ces simples doléances ont provoqué l'ire de la ministre de la Culture qui ne peut pas accepter que de jeunes étudiants dénoncent la situation tragique de la représentation théâtrale et artistique dans un pays où la corruption et la dilapidation des deniers publics, transformées en système de gestion, traversent tous les secteurs, y compris le domaine culturel marqué par l'organisation de «festivals»-bidon où on se sucre et où l'art réel est absent. Les scandales touchant ces «festibouffes» et les jeux peu clairs des structures dites culturelles caractérisées par des absurdités et d'inextricables dysfonctionnements font l'actualité, en l'absence d'un projet clair, caractérisé par la durée, non pas par des manifestations ponctuelles, sans objectifs clairs, comme d'ailleurs cette autre décision peu sérieuse d'organiser «Constantine, capitale de la culture arabe» dans une ville qui se meurt et dans un pays qui a besoin de bibliothèques, de théâtres, de salles de cinéma, d'écoles de formation qui, une fois lancés, pourraient être à l'origine de festivals, de vrais festivals porteurs. La formation réelle, c'est-à-dire celle des étudiants de l'Ismas, est le dernier souci d'un ministère dont l'échec patent est légendaire. Jamais, les disciplines artistiques et littéraires n'ont connu une crise aussi profonde engendrée par l'absence d'un projet clair et la pauvreté manifeste d'un ministère qui s'auto-congratule, excluant naturellement toute parole différente. Ces étudiants de l'Ismas qui sont des Algériens, ont choisi, le baccalauréat en main, de poursuivre des études dans un domaine trop peu apprécié par ceux-là mêmes qui sont censés le diriger administrativement, poussant le bouchon jusqu'à expulser de l'institut des jeunes dont le seul délit est de vouloir étudier dans des conditions convenables. C'est leur amour de l'art et du pays qui les incite à manifester leur désappointement. Au ministère de la Culture, on semble répondre par la violence, selon le communiqué N°10 des grévistes de la faim. Un débat sérieux réunissant étudiants, administration, ministère et spécialistes reconnus est nécessaire pour régler un problème aussi grave. La répression est contre-productive, elle est l'espace privilégié de la dictature et du totalitarisme. Il faudrait mettre un terme à la tutelle du ministère de la Culture qui n'est nullement capable de gérer ses affaires et placer cet institut sous la responsabilité administrative et scientifique du ministère de l'Enseignement supérieur. Certes, le thème de la formation théâtrale revient comme un leitmotiv dans les discours officiels. Des étudiants sont envoyés à l'étranger poursuivre des études d'art dramatique. En 1973, le gouvernement prit l'absurde et grave décision de fermer l'unique école d'art dramatique, ce qui condamna pendant une certaine période le théâtre à vivre dans la marge du professionnalisme. Aucun enseignant de l'Université d'Alger où se trouvait cette école, créée en 1964, n'assurait des cours dans cet établissement. Comme si enseigner dans ce type de structures était considéré par les professeurs d'université de l'école comme dégradant. S'occupant exclusivement de la formation de danseurs et de comédiens dont deux promotions sortirent en 1967 et 1968, la section «Art dramatique» assura la formation d'une trentaine de comédiens. Il y eut pendant une période la réouverture de cette école qui s'est mise à former des animateurs culturels en 1975 . D'ailleurs, tous les élèves ont été recrutés dans les théâtres d'Etat, mais jusqu'à présent, aucun étudiant sorti de cet institut ne dispose d'un diplôme. Des grèves ont eu lieu, des promesses sans suite du ministère de la Culture n'ont jamais été tenues poussant ces sortants de cet établissement à vivre dans l'incertitude et l'aléatoire. Après sa réouverture à la fin des années quatre-vingt, l'établissement a acquis un caractère universitaire rendu ambigu par la présence de la tutelle du ministère de la Culture et recrutait ses élèves, comme à l'université, parmi les titulaires du baccalauréat. Son objectif est de former pour les structures théâtrales des techniciens (metteurs en scène, scénographes), des comédiens et des critiques dramatiques. Les enseignants sont pour la grande majorité des techniciens (metteurs en scène, scénographes, chorégraphes ou critiques) et titulaires de diplômes acquis en Russie, dans les autres pays de l'Est ou en Belgique. L'institut revient donc à sa vocation initiale, mais rencontre de sérieuses difficultés (encadrement insuffisant, ambiguïté du statut, insuffisance des moyens financiers et matériels). Le passage au statut universitaire ne permet pas de recruter comme enseignants des artistes. Ce qui limite gravement les relations directes avec le monde artistique. La transformation en Ismas allait marginaliser davantage cet institut condamné à l'aphonie par le ministère de tutelle qui ne s'intéresse nullement à la question de la formation, au sens plein du terme. Le passage à l'Ismas, entreprise singeant l'Insas belge, trop peu connue ou reconnue dans le monde, ne dépassant pas le territoire belge, est une décision peu sérieuse. Aujourd'hui, il est temps que les responsables de tutelle reviennent à la raison et accordent une place de choix à cet établissement pouvant se muer en une «grande école» si on lui donnait les moyens pédagogiques et financiers tout en le réorganisant de fond en comble et en recrutant des valeurs sûres, de vrais spécialistes d'Europe, d'Asie et des Etats-Unis qui soutiendraient les enseignants sur place tout en entretenant des relations avec les écoles d'art du spectacle d'Europe et de l'Amérique. Le mode de gestion devrait radicalement changer et permettre à des professeurs de renom d'enseigner et à de vrais gestionnaires de prendre la place, loin des désignations-bidon, non démocratiques et dépourvues d'esprit scientifique opérées par le ministère de la Culture. Il faudrait que cet institut passe à un statut universitaire. Les programmes devraient être modifiés en réservant un espace important à la pratique tout en ne négligeant pas l'aspect «théorique », en relation avec les arts du spectacle. L'histoire de la fermeture de l'Ismas dépasse largement les étudiants en grève, posant aujourd'hui la question sensible du mode de gouvernement, de l'absence de débat et de la propension des dirigeants à user de la répression et de la violence, excluant le débat qui est la seule possibilité de régler les problèmes. C'est vrai qu'au-delà du ministère de la Culture, se pose la question de l'absence d'une véritable stratégie de développement réduite à une série d'opérations à court terme. Il est temps que la ministre de la Culture se ressaisisse et décide de dialoguer avec des étudiants et les enseignants qui ont tout à fait raison de poser les problèmes d'un institut qui va à vau-l'eau.