Par Ali Akika, cin�aste La langue est la m�re nourrici�re de l��me d�un peuple. Elle est aussi la patrie de ces �crivains qui choisissent de s�exiler dans son territoire pour � la fois semer des r�ves et la prot�ger de l�outrage du temps. Ils �vitent ainsi que des mots et des expressions ne tombent dans l�oubli. Mais l�apport des �crivains consiste aussi en l�invention de mots et de styles pour permettre � la langue d��tre en phase avec son �poque. Nous verrons plus loin comment se traduit leur travail de cr�ation. A l�heure de la mondialisation qui n�a pas seulement des effets sur les �conomies des pays, les langues subissent aussi les assauts de la c�l�bre formule anglo-saxonne : le temps c�est de l�argent (time is money). Ce syst�me du capitalisme mondialis� tisse sa toile autour et dans les moindres espaces gr�ce entre autres � une technologie s�duisante et bient�t � la port�e de �tous�. L�on sait aujourd�hui que les SMS ou textos ainsi que le langage des jeunes, � travers les r�seaux sociaux d�internet, produisent certaines expressions qui sont en passe de subvertir les honorables et vieilles institutions acad�miques de tous les pays. Mais avant de cerner les chances ou les menaces que fait peser la mondialisation sur les langues, faisons quelques remarques pour �viter de tomber dans l�exaltation ou la d�prime, l�ouverture b�ate ou le repli frileux quand on aborde le devenir des langues. La premi�re remarque consiste � se convaincre qu�une langue est un organe vivant. Elle vit et s��panouit mais peut aussi mourir. H�las, les linguistes nous apprennent que des dizaines de langues disparaissent chaque ann�e de la surface de la terre. Les causes de leur disparition ou de leur faiblesse sont multiples. Il y a �videmment la domination �trang�re qui impose sa langue dans tous les domaines de la vie publique et interdise la ou les langues des autochtones (nous en savons quelque chose en Alg�rie). Mais il y aussi les dynamiques internes du sous-d�veloppement �conomique et le repli sur soi qui se transforme en hibernation surtout quand les pouvoirs en place �l�vent des murailles autour de leurs soci�t�s. Un d�veloppement �conomique non ma�tris� par incomp�tence et le �je-m�en-foutisme� provoquent fatalement des blessures au corps social. On le voit dans nos villes livr�es � un urbanisme sauvage. Les langues peuvent aussi conna�tre ce genre d�outrage et s�appauvrissent fatalement quand elles ne sont pas aliment�es par les flux des productions mat�rielles et culturelles sortant des entrailles de la soci�t� et qui investissent toutes les sph�res de la vie sociale. La deuxi�me remarque incite � ne pas oublier que pour ne pas mourir, une langue doit aussi s�ouvrir sur le monde. Toutes les langues qui tr�nent sur la sc�ne internationale se sont transform�es au fil du temps, et toutes on fait des emprunts aux autres langues. Ayant � l�esprit l��poque de la Renaissance en Europe qui doit beaucoup � la Gr�ce antique, au monde arabe et m�me � la lointaine Chine (poudre et boussole). Ces �changes mutuels et fructueux ont permis � ces pays de s�adapter aux d�couvertes scientifiques et de b�n�ficier des apports philosophiques pour entrer dans le royaume de l�universalit� � partir des particularit�s de leur l�histoire. Ces constations que l�on peut v�rifier en jetant un coup d��il sur l�histoire des langues nous apprennent une chose simple : une langue est un produit de l�histoire, fruit du travail et de l�imaginaire d�un peuple. Par travail et imaginaire, il faut penser au paysan qui s�me pour nourrir, � l�ouvrier qui construit maison et v�tement pour se prot�ger de la nature, au technicien qui cr�e la machine pour mieux produire les richesses. Toutes ces activit�s engendrent des mots et des images pour d�signer les choses de la vie. Vient ensuite le po�te ou l��crivain qui les met en musique et dont la beaut� (de la musique) est une garantie de leur p�rennit�. La mise en musique des mots accouche d�une langue vivante qui n�est donc pas une sorte de �pr�t-�-porter� depuis toujours et pour l��ternit�. En tant qu�acteur social, une langue a besoin de s�alimenter et de chercher sa pitance comme tous les acteurs sociaux d�une soci�t�. Et parmi ces nourritures, celles fournies (insistons sur ce point) par les �crivains sont pr�cieuses. Elles habillent la langue des charmes de l��l�gance et de la pr�cision. Imaginons la langue arabe sans les po�tes depuis la p�riode dite des mou�laqhate (avant l�islam) jusqu�� Adonis et Mahmoud Darwich. Imaginons le manque que l�on ressentirait en Alg�rie sans le po�te kabyle Mohand-u-Mhand qui a sauv� de l�oubli de d�licieuses expressions po�tiques. Sa vie faite d�errance que l'on lit dans ses po�mes a sans doute marqu� l��me du pays encore aujourd�hui puisque les Alg�riens sont �parpill�s aux quatre coins du monde � cause des turbulences qui ont toujours agit� leur soci�t�. Enfin, puisque cet article est �crit en fran�ais, imaginons la langue de Moli�re sans les apports d�un Mallarm�, d�un Voltaire, de Victor Hugo, d�Aragon, de Rimbaud et Verlaine� et de tant d�autres. Une autre nourriture ne doit pas �tre sous-estim�e, celle qui na�t dans la rue et qui enrichit aussi une langue. Les constip�s de l�esprit, soi-disant puristes, ont tendance � rel�guer la langue de la rue dans la sph�re de la vulgarit�. Il y a un exemple insolite qui m�rite d��tre cit�, c�est l�introduction du mot kifer, un pur produit de l�arabe alg�rien qui a conquis ses lettres de noblesse jusque dans les milieux des bourgeois du 16e arrondissement de Paris. Ce mot a introduit une nuance dans l�utilisation du verbe aimer. En fran�ais, contrairement � l�anglais, on dit j�aime les frites et j�aime une femme. L�anglais utilise to like pour les frites et to love pour une femme. Avec le verbe kifer, les Fran�ais doivent aux jeunes issus de l��migration la possibilit� d��viter de confondre les sentiments nobles (amiti�, amour, �uvres de l�esprit) et le d�sir des choses de l�estomac � j�ai pris � dessein cet exemple pour montrer qu�un simple mot qui entre par effraction dans le parler fran�ais arrive � s�imposer dans des milieux sociaux p�tris de pr�jug�s. Il y a une foule de mots arabes scientifiques et po�tiques qui fleurissent la langue fran�aise et dont les locuteurs oublient leur origine car cela remonte � la nuit des temps. Enfin, la langue nous repose de uniformisation des modes alimentaires et vestimentaires. De nos jours, dans des lieux o� se bousculent voyageurs et touristes, les foules bigarr�es sont de plus en plus engonc�es ou �d�nud�es� dans le m�me style d�accoutrements. Il ne reste que la langue (et l�accent) pour identifier �l�origine� desdits voyageurs. Alors la mondialisation chance ou menace ? D�signer l�une de ces possibilit�s par enthousiasme d�lirant ou par peur panique nous ferait tourner le dos � la rigueur scientifique. Car l�histoire des langues n�est jamais �crite par avance, elle est le r�sultat de dynamiques o� se conjuguent la lutte politique, la cr�ativit� de la culture et les innovations scientifiques. Si l�on consid�re la mondialisation comme une �tape historique de l�aventure humaine o� se cr�e des richesses mat�rielles et scientifiques comme jamais auparavant, et si la gestion de ces richesses se fait � la lumi�re d�une philosophie du partage de ces richesses, alors elle est aussi une chance pour les langues. Les facilit�s de communication en l�absence de fronti�res physiques permettront aux langues d��changer, d�emprunter, d��tre traduites, activit�s contraignantes aujourd�hui en raison de la pauvret� des financements mais aussi � cause des barri�res �rig�es par les dictatures. Mais si la mondialisation reste aux mains des pr�dateurs obnubil�s par le tiroir caisse, alors la menace ne p�se pas seulement sur les pays pauvres mais inqui�terait aussi ceux qui le sont moins. Le regroupement des pays par aire linguistique (francophone, hispanique, lusophone) en dit long sur l�appr�hension de grands pays devant le danger repr�sent� par l�oncle Sam qui impose la langue anglo-am�ricaine, h�riti�re, certes, de Shakespeare mais �touffante pour les autres langues. Car derri�re l�anglo-am�ricain qui est un tr�sor comme les autres langues, un tr�sor pour une fois immat�riel et donc sans propri�taire, se profile en r�alit� une strat�gie pour d�verser la camelote des industries servies par le dieu dollar. Et ce dieu-l� impose un mode de vie et une vision du monde, donc une pens�e. Cette pens�e dominante appauvrira fatalement des civilisations n�es avec le temps lui-m�me. Entre l�expression de �il �tait une fois� qui indique la lointaine date de naissance de ces civilisations et le �to day� (aujourd�hui) am�ricain, il est temps de construire un pont entre les langues et la technologie pour que la beaut� reste l�apanage de la langue et de la po�sie et que l�on ne soit pas prisonnier de la froideur des robots, certes utiles dans beaucoup de domaines mais qui peuvent nous frustrer des saveurs de l�imaginaire. En ce qui nous concerne, la question des langues nationales en Alg�rie doit �tre trait�e avec la rigueur n�cessaire pour �viter les erreurs et la pr�cipitation de l�arabisation au rabais des ann�es 1970. Pour cela, il faut laisser aux vestiaires les pr�jug�s et les rancunes pour affronter sereinement le gigantesque chantier des langues et de la culture. Ni les a priori id�ologiques ni l�ignorance de l�histoire des langues ne doivent nous encha�ner � des certitudes quelque peu d�cal�es par rapport � notre �poque. Ce ne sont pas �l�originalit� et la difficult� de nos langues qui emp�chent leur rayonnement et notre culture. Ce sont plut�t l�ignorance de notre histoire dans toute sa complexit� humaine et politique, les frustrations et autres complexes h�rit�s des aventures coloniales qui s�ment des obstacles sur le chemin de nouveaux horizons. Ces handicaps ont sem� des bombes a retardement qui explosent ici et l� quand on aborde l�arabisation de l�enseignement, quand on met du temps � reconna�tre tamazight comme langue nationale. Et cela continue quant au choix de l�extension de cette langue � l�ensemble du pays et de la nature de l�alphabet comme support de cette langue. Nous pouvons pourtant aborder ces probl�mes sans se pr�cipiter. Il nous faut d�abord d�blayer le terrain en �vitant de mesurer le temps � l�aune de notre propre vie. Il nous faut penser essentiellement � l�avenir des enfants qui m�ritent de se r�approprier nos langues dans toute leur splendeur pour tenir leur rang avec les autres langues sur le terrain de la po�sie et des sciences. Il faut utiliser les ressources des math�matiques et du jeu des �checs qui proposent la meilleure fa�on d�atteindre un but et non s�enfermer dans le labyrinthe des pr�suppos�s id�ologiques. Il n�y a aucune raison de ne pas parvenir � faire comme ces pays dont les langues sont autrement plus �compliqu�es� et qui arrivent � exporter leurs cultures et �arracher� des prix Nobel de litt�rature, de physique, de chimie et des palmes d�or dans les festivals les plus prestigieux. Il faut en finir avec cette mal�diction qui a fait que les monuments de notre culture comme Apul�e, Saint Augustin et plus pr�s de nous Kateb Yacine soient assimil�s � la culture (� cause de la langue de leurs �uvres) des autres et pratiquement inconnus chez nous. Cette d�sappropriation de nos gloires litt�raires pour injuste qu�elle soit a �t� possible car la langue n�est pas uniquement un outil de communication. Elle v�hicule une pens�e, une philosophie � tel point que les �uvres des plus grands �crivains nous disent plus sur les �magies et les myst�res� de la vie que beaucoup de trait�s philosophiques. Je terminerai sur une note personnelle en liaison avec le sujet de l�article. Lors de mon passage au Festival du film amazigh, je n�ai communiqu� qu�en fran�ais car mon arabe de l�inspecteur Tahar m�a pos� quelques probl�mes dans les rues de Tizi Ouzou o� l�on parlait une langue alg�rienne, un m�lange de tamazight et d�arabe populaire que je pressens devenir la langue nationale du pays pour que tous les Alg�riens se comprennent de l'est en ouest, du sud au nord. Un r�ve possible � notre port�e si l�on tient compte des probl�matiques de la vie des langues dont j�ai esquiss� les contours dans cette modeste contribution.