[email protected] Durant un demi-siècle, il a incarné à lui seul la résistance à l'esprit du système. Par son intransigeance, il fut indiscutablement la référence centrale de ce long et interminable combat pour la démocratie et la promotion des libertés publiques. En se retirant à un âge, certes très avancé, de la vie politique, Aït-Ahmed manquera sûrement au FFS qu'il a créé en 1963, mais pas seulement à son parti. Au moment où de graves menaces pèsent sur l'Algérie, son autorité morale et politique pouvait influer sur le cours des évènements futurs. Or, elle lui fera défaut en son absence. C'est donc avec regret et émotion que les militants qui l'ont accompagné durant ces dernières décennies ont essayé d'illustrer et retracer son itinéraire. Et, comme le rappelait un ancien cadre du FFS, la stature du père fondateur s'est «forgée (...) dans la double culture du mouvement national et du combat démocratique »(1). En effet, il y a 50 ans, il signa, par le refus, l'acte de naissance de ce front en dénonçant le coup de force constitutionnel de Ben Bella qui, disait-il, a recouru aux «méthodes coloniales afin de bâillonner et de truquer la volonté populaire». À travers ce réquisitoire, il décidait alors d'entrer en dissidence dès septembre 1963. Lui, dont le militantisme au sein du mouvement national était incontestable, renouera alors avec l'infamie des procès politiques et l'embastillement. Condamné à mort le 17 avril 1965 par une parodie de la justice «révolutionnaire», il ne retrouvera la liberté qu'en mai 1966. Poussé vers l'exil, il deviendra, au fil des manœuvres du régime, la cible de campagnes haineuses. Pionnier de l'opposition, il parvint à faire du FFS un excellent appareil de propagande antisystème qui a souvent mis dans l'embarras les pouvoirs d'Alger. Très tôt, c'est-à-dire dès la crise de l'été 1962, Aït Ahmed dénoncera le scénario du putschisme qui se tissait au détriment du GPRA. Cette première dérive autoritaire qui allait se déployer au sein de l'Assemblée délibérante l'amènera justement à faire cause commune avec Ferhat Abbas et Boudiaf. Alors que ces derniers battront en retraite, lui choisira la tribune pour dénoncer, puis la démission à haute voix, pour être conséquent avec ses convictions. D'ailleurs, c'est à lui que l'on doit la plus vigoureuse des philippiques adressée à cette Constituante hésitante et prête à la servilité. En ce mois de décembre 1962, Ben Bella s'efforçait alors de se tailler une Constitution à la mesure de son ambition de Zaïm. Et ce seront ses manœuvres sordides et ses menaces de barbouze qui firent dire à Aït Ahmed ceci : «Parions sur la démocratie comme valeur et méthode à la fois. Il ne faut pas entendre qu'il s'agit là d'une simple question d'orgueil national ou d'un messianisme d'exhibition. Ce serait, plutôt, l'option de la raison.» Etayant sa critique de l'unanimisme que recherchait le pouvoir, il dénoncera le complot qui allait faire du Parti communiste la première victime. «Un parti fort, dira-t-il, qui prétend jouir de la confiance du peuple a-t-il besoin de dissoudre un autre parti comme le PCA ? Il me semble au contraire qu'il serait bon que ce parti puisse se maintenir car il jouerait le rôle de stimulant. Je pense enfin que la prééminence du parti FLN n'entraîne pas nécessairement l'unicité.» Irrigué par cette somme de principes, le FFS modelé par son leader, est parvenu au cours de ce demi-siècle à traverser sans grands dommages les périodes de glaciation dictatoriale. Certains spécialistes affirment même qu'il s'est grandement bonifié grâce au sens de la communication de son fondateur. Or, la première question qui vient à l'esprit, au lendemain de ce 5e congrès ayant vu le départ à la retraite du père, est la suivante : quel sera l'avenir de ce parti sans le charisme du personnage ? Car, à force de l'avoir porté à bout de bras, 50 ans durant, ensuite de l'avoir protégé en toutes circonstances des déviations majeures, Aït Ahmed n'a-t-il pas fait l'erreur cruciale d'une succession au rabais ? Ouverte à tous les vents, ne vient-il pas de céder les clés de la maison à des disciples interchangeables ? Autrement dit, comment survivre à la nostalgie d'un zaïm sans avoir l'air de trahir la ligne qu'il a pertinemment tracée tout autant éviter l'écueil du dogmatisme ? Vaste question qui attend des réponses de la part de ses nouveaux dirigeants. Celles qui consistent à mener le même combat tout en rénovant la culture politique de la maison. B. H. (1) La formulation est de Djamel Zenati, extraite de son interview parue dans le quotidien Libertédu 23 mai.