Il y a des films qui vous réconcilient avec le cinéma et d'autres qui vous réconcilient avec la vie tout court. Le documentaire la Langue de Zahra de Fatima Sissani, projeté mercredi dernier à la Cinémathèque d'Alger, fait partie des films qui vous réconcilient avec le septième art et avec la vie en même temps. La langue n'est pas seulement un moyen de communication : elle véhicule aussi une culture. Zahra Sissani, septuagénaire, vit en France depuis plus de trois décennies. Mais elle ne parle pratiquement que le kabyle. A la question «pourquoi vous n'avez pas voulu apprendre la langue française ?», sa réponse est d'une désarmante simplicité : elle n'a pas choisi de vivre en France (c'est son mari qui a choisi de vivre dans l'Hexagone) et quand on n'aime pas quelque chose, on n'a pas envie de l'apprendre. Zahra retourne de temps en temps en Algérie, plus précisément dans son village natal en Kabylie. Le documentaire est ainsi un incessant va-et-vient entre l'Algérie et la France. Mais si dans la froide France, Zahra est à la maison ou au balcon, dans la chaude Algérie, elle semble rajeunir en pleine nature, entourée de ses sœurs. Presque toutes les femmes sont poétesses. Zahra parle de Si Mohand ou M'hand et de sa poésie. Elle souligne qu'il n'a jamais déclamé deux fois le même poème. Elle parle de Slimane Azem et fait remarquer à sa fille Fatima que la musique de Lounis Aït Menguellet n'est pas une musique de danse. Zahra aime la Kabylie et ses montagnes. A ses filles qui vivent en France, elle fait remarquer que le fait de ne pas bien connaître la langue kabyle leur fait ignorer une bonne partie de leur culture. Les filles de Zahra décident de devenir le lien entre la langue de leur mère Zahra et les petits-enfants de Zahra, nés en France. En résistant et en continuant à ne parler que sa langue maternelle, Nna Zahra a communiqué l'amour de la langue kabyle à ses enfants. C'est grâce aussi à des femmes comme Zahra que le kabyle, cette langue encore «non officielle» en Algérie, est resté une langue vivante. «J'ai vu, fascinée, une femme arrimée à sa langue de façon indéfectible. Une femme dévoilant une oralité transmise de génération en génération. Une langue charriant éloquence et poésie pour dire l'enfance bucolique, l'exil, la pauvreté... cette langue, c'est l'ultime bagage que des milliers d'émigrants kabyles ont emporté avec eux... Une langue pour se construire un ailleurs qui ne soit pas que l'exil...», explique Fatima Sissani qui était présente ainsi que sa mère Zahra lors de la projection de son film à la Cinémathèque d'Alger. Née en Algérie, Fatima Sissani vit en France depuis l'âge de six ans. Après avoir obtenu un DEA en droit, elle opte, contre toute attente, pour le journalisme. Elle travaille d'abord à la radio Zinzine. Elle va aussi travailler avec le Monde diplomatique. Fatima Sissani a également réalisé des documentaires sonores pour Radio France et des documentaires et portraits pour France Culture. En outre, elle est depuis huit ans journaliste dans un magazine municipal. Au sujet de sa passion, elle a un jour dit : «Finalement, l'essentiel de mon travail tourne autour de l'immigration, de l'exil. L'exil en réalité m'obsède, me fascine, pour tout dire me colle à la peau et finit toujours par revenir par une petite porte. Cette fois, c'est ma mère qui l'a poussée. Je l'ai laissée s'y engouffrer car je savais que le moment était venu de l'interroger sur ces morceaux de vie que je n'ai pas trouvé le moment ou peut-être l'audace de questionner.»