«Le secteur de l'énergie a inscrit toutes les sociétés étrangères impliquées dans des affaires de corruption en Algérie sur la liste noire du secteur», a fait savoir jeudi 20 juin le ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi. Cette déclaration non seulement ne veut pas dire grandchose, mais elle n'est pas conforme au Code des marchés publics : si une liste noire doit être établie, c'est le ministère des Finances qui doit le faire selon des procédures réglementaires. Plus grave encore, comment annoncer pareille décision, alors qu'aucune de ces entreprises n'a encore été reconnue coupable et condamnée par la justice ? Le secteur de l'énergie a inscrit toutes les sociétés étrangères impliquées dans des affaires de corruption en Algérie sur la liste noire du secteur, a fait savoir jeudi 20 juin le ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, selon une dépêche de l'agence gouvernementale APS (Algérie Presse Service). Lors d'une séance plénière de l'Assemblée populaire nationale (APN) consacrée aux questions orales, M. Yousfi a affirmé que son ministère «a décidé que les sociétés du secteur de l'énergie et des mines ne traiteront plus avec les sociétés impliquées dans des affaires de corruption ». Les sociétés algériennes «sont déterminées» à exiger des indemnités «si l'implication des sociétés étrangères dans ces affaires est établie». «Toute personne impliquée sera traduite devant la justice», a insisté le ministre. La «liste noire» doit être réglementaire et rendue publique Toujours selon l'APS, cette interdiction intervient une semaine après la décision de Sonelgaz de porter sur sa liste noire le groupe canadien SNC-Lavalin, soupçonné d'avoir versé des pots-de-vin pour obtenir le marché du projet de la centrale électrique de Hadjret- En-Nouss dans la wilaya de Tipasa. Elle intervient également en application des décisions prises par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le phénomène corruption, selon le ministre. La presse nationale et étrangère a cité, en se référant à des sources judiciaires et d'autres sources proches de l'enquête, plusieurs sociétés étrangères impliquées dans des affaires de corruption en Algérie et qui seront inscrites sur la liste noire, telles que les sociétés italiennes Eni et Saipem, la société américaine General Electric et la française Alstom. Concernant la lutte contre la corruption, le ministre a indiqué que son secteur a pris «des mesures préventives» pour combattre le phénomène, dont le «renforcement des outils de contrôle au sein des sociétés, notamment en matière d'octroi des marchés pour préserver les intérêts vitaux du pays». Quelles sont ces mesures préventives ? Elles n'ont d'intérêt que si elles sont effectives, connues des dirigeants et des salariés du secteur, et surtout rendues publiques : malheureusement, de tout cela il n'en est rien, ce qui enlève toute crédibilité à ces annonces d'un seul ministre, alors que plusieurs ministères sont concernés, puisque parmi les entreprises étrangères citées, plusieurs ont des marchés avec d'autres secteurs que celui de l'énergie. «Il existe un cadre juridique pour combattre la corruption et nous œuvrons pour son application sur le terrain, avec toute la rigueur et la détermination nécessaires », a insisté le ministre. Quel est ce cadre juridique ? Si le ministre fait allusion à la loi du 20 février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, celle-ci est non seulement très insuffisante, mais est déjà complètement dépassée et périmée. S'il parle du Code des marchés publics, constamment remanié ces dernières années, nombre de ses dispositions ne sont toujours pas appliquées dont la mise en place d'un Observatoire des marchés publics. Et puis le ministère des Finances, gestionnaire du «code des marchés publics» et tutelle des «commissions nationales des marchés publics», pourquoi reste-t-il silencieux ? C'était au ministre des Finances de répondre aux députés, au nom du gouvernement, garant de la bonne application du code des marchés publics (voir article ci-dessous à ce sujet). La justice aux abonnés absents Concernant les affaires dites «Sonatrach 1» et «Sonatrach 2», le ministre a souligné la nécessité de laisser la justice faire son travail car elle seule est habilitée «à traiter ces affaires avec la sérénité requise et au rythme qu'elle entend elle-même adopter». Mais la justice est aux abonnés absents, ce qui est largement confirmé par un traitement judiciaire partiel, partial et trop lent des affaires en question, le tout aggravé par une incompétence avérée. «Le ministère de l'Energie et des Mines doit attendre les résultats des enquêtes et les décisions de la justice pour prendre en toute responsabilité les décisions nécessaires», a indiqué le ministre : l'attente risque d'être longue. Mais alors, pourquoi évoquer l'interdiction d'octroi de marchés publics et cette «liste noire», puisqu'il n'y a pas encore eu de condamnations de ces entreprises par la justice ? Ce ministre, certainement délégué par le gouvernement pour tenir pareils propos, essaye beaucoup plus à travers cette démarche de répondre à l'opinion publique algérienne et internationale, qui attend des actes concrets de prévention et de lutte contre la corruption. Mais ces discours officiels, qui plus est non conformes à la réglementation en vigueur (Code des marchés publics notamment), sont inappropriés, et surtout, c'est du n'importe quoi. Ce qui est plus grave encore, c'est qu'en l'état actuel du gouvernement, ce dernier n'est pas en mesure de présenter une riposte et une démarche cohérentes pour faire face à ces nombreux scandales de corruption. Quand le ministre, toujours devant les députés, ose déclarer que «la dénonciation de la corruption ne doit pas déstabiliser le secteur de l'énergie, qui est le pilier de l'économie nationale», faut-il en rire ou en pleurer ? C'est la non-dénonciation de la corruption qui, à terme, va déstabiliser tous les secteurs d'activité du pays, et non l'inverse. Toujours selon l'APS, «le ministère de l'Energie œuvre sans relâche et avec rigueur à combattre les pratiques illégales mais il tient également à préserver l'image de l'Algérie et celle des cadres dirigeants du secteur qui accomplissent leurs missions avec probité». Cette image est ternie depuis bien longtemps : sa préservation ne doit pas être un objectif en soi. Quant à «cette œuvre sans relâche», l'aveu est tranchant : l'échec est on ne peut plus clair.