Par Hacène-L'hadj Abderrahmane L'importance du petit écran comme moyen pédagogique n'est pourtant plus à démontrer. Il a un rôle non négligeable dans la formation du goût de nos enfants et de l'éducation du téléspectateur d'une manière générale. Mais ces missions, qui requièrent un professionnalisme de haut niveau, peut-on les confier à de simples faiseurs d'images ? Les technologies de pointe en matière de communication ont imposé leur domination dans le monde, aussi bien dans les domaines de la culture que de l'information. L'Algérie, face à cette nouvelle donnée géopolitique, saura-t-elle relever les défis de l'avenir ? Nous avons un besoin urgent de former dans les différentes disciplines du 7e art comme nous avons un besoin désespéré de personnes ayant des notions de cinéma pour occuper des portes de responsabilité. A titre d'exemple, lorsqu'Ahmed Bejdaoui, diplômé de l'IDHEC (France), était sousdirecteur de la production à l'ex- RTA (1976-1984), grâce à son savoir-faire et à la confiance dont l'avait investi l'ex-directeur général de cet organisme, Abderrahmane Laghouati, la production de films télévisuels avait connu un bond qualitatif et quantitatif sans précédent. Des films remarquables ont été produits durant cette période. Il s'agit notamment de Kahla ou beïda de Abderrahmane Bouguermouh. Un film plein d'humanisme où des hommes, malgré tous les malheurs, les problèmes de santé, le souci pour le pain quotidien, l'étroitesse du logement, ne perdent pas confiance en la vie. Citons aussi Les rameaux de feu de Mohamed Ifticene, adapté du roman Le grain dans la meule de Malek Ouary Bouamama de Benamar Bakhti. Nahlade Farouk Beloufa... Le film documentaire allait aussi connaître un grand essor grâce, entre autres, à de jeunes cinéastes formés dans cette spécialité à l'Institut du cinéma de Moscou (VGIK). Azzedine Meddour, Haya Djelloul et Bouabdellah Hassan aborderont dans leurs films avec une parfaire maîtrise de documentaristes, les problèmes de la lutte de Libération nationale, dévoilent toute l'horreur et l'ignominie du colonialisme. Combien je vous aime, Aux sources de novembre et Barberousse, mes sœurs s'ils nous émeuvent beaucoup plus que ne sauraient le faire les films de fiction qui traitent de ces problèmes, c'est parce qu'ils témoignent spontanément de la résistance et des sacrifices des hommes et des femmes pour l'indépendance de leur pays. Réussir une œuvre d'art et d'histoire n'est pas le fait d'un hasard, c'est l'effort conjugué de trois exigences : le talent, l'érudition et la formation. La dynamique enclenchée par messieurs Laghouati et Bedjaoui, fixant le seuil minimum de production à 13 longs métrages par an, a permis à d'autres acteurs de la vie culturelle de s'essayer à la réalisation. Ce fut le cas pour notre écrivain Assia Djebar qui réalisa La nouba des femmes du mont Chenoua(1978). En quête de nouveaux talents, Ahmed Bedjaoui remarquera un jeune artiste fraîchement débarqué de Moscou après de longues années d'études dans le domaine de la mise en scène de théâtre. Il s'agit de Malek Bouguermouh à qui il confiera le département des émissions «Le théâtre au cinéma ». Pour inaugurer cette série, Malek adaptera une pièce du dramaturge soviétique V.S. Rosov, intitulée Un dimanche à Moscou que les téléspectateurs découvriront sous le titre de Tariq essaâda. Il faut reconnaître que pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Mais c'est plutôt au Théâtre régional de Bougie, où il fut nommé directeur, quelques années plus tard, que son talent trouvera sa pleine expression. En effet, Hzam el ghoula (1988) et R'jel yahlalef (1989 révéleront un artiste hors du commun. Mariant habilement la caricature à la poésie de la vie, il nous présente dans des mises en scène originales, où rien n'est superflu, un monde déchiré, un monde menacé, mais acculé au changement. Les décors, les costumes, les accessoires ne se réduisent nullement dans ses spectacles à une fonction illustrative. Ce sont des éléments dramaturgiques qui ponctuent avec harmonie les évènements qui se déroulent sur les planches. Triste fut ce jour de 11 novembre 1989, lorsque, dans un accident stupide, Malek Bouguermouh, qui représentait un des rares espoirs du théâtre algérien, abandonna subrepticement sa vie sur un tronçon de route qu'il qualifiait, ironie du sort, de beauté exceptionnelle de la nature. Des gestionnaires spécialistes dans le domaine des arts il y en a eu très peu. On leur a préféré des bureaucrates incultes. On a même poussé l'aberration jusqu'à confier les rênes de structures importantes de la culture à des personnes dénuées de tout bagage intellectuel. Pourtant, les décideurs n'ignorent pas que l'on ne peut gérer les structures culturelles comme l'on gérerait une conserverie. Plus grave encore, lorsque les conditions réglementaires requises pour l'accès à ces postes de responsabilité ne sont pas réunies chez certains, on leur a tout simplement substitué un passe-droit. Et comme pour défier encore plus les textes en vigueur, on les a chargé, pour des raisons obscures, de cumuler des fonctions depuis des années, au détriment de cadres compétents, capables d'assumer sans difficultés de telles responsabilités. C'est toute l'intégrité et la morale de la vie publique qui sont de la sorte mises à mal. Le népotisme et le clientélisme étant désormais érigés en mode de nomination, rien n'étonne. Des structures, dont la mission est de faire rayonner la culture, sont tout bonnement transformés en offices de bienfaisance, au grand bonheur des heureux désignés. Une question nous tarabuste tout de même l'esprit. En procédant à la nomination d'individus qui n'ont jamais eu de relations avec le domaine des arts et des lettres, ni présentent des qualités particulières pour occuper des postes de responsabilité spécifiques au secteur de la culture, ne pensait-on pas, à tort d'ailleurs, que le volontarisme pouvait suppléer aux insuffisances intellectuelles et professionnelles que requièrent nécessairement de telles responsabilités ? Dans une déclaration datant d'avril 1981, Mostefa Lacheraf semble avoir déjà répondu à notre question en précisant ce qu'est la fonction culturelle. Il dira ceci : «Le problème fondamental est celui de la formation des techniciens et animateurs de la culture, qu'on ne doit à aucun prix, improviser ou recruter sur le gage de leur volonté de boy-scouts ou de leur activisme d'organisateurs occasionnels de fêtes familiales. La fonction culturelle dans le monde entier en est, aujourd'hui, au stade des experts, travailleurs, agents et gestionnaires spécialisés qui prennent en charge, comme un secteur de haut niveau technique, l'édition, la musique, le théâtre, la plus modeste bibliothèque de quartier, le moindre centre de documentation et d'archives. » Tant que cette profession de foi édictée par Mostefa Lacheraf n'est pas encore érigée en règle générale, ce secteur ne sortira pas de sitôt de son état léthargique. A notre avis, son essor n'est pas tant lié à un problème d'argent. Il dépend surtout de la mise en œuvre d'une politique de développement cohérente et globale, intégrée aux plans nationaux de développement. La concrétisation d'un tel programme, affranchira sûrement ce secteur de la routine, d'un travail d'improvisation, de l'agitation conjoncturelle liée à des dates commémoratives ou à des festivals sans intérêts réels pour l'Algérie, et de surcroît très coûteux. L'artiste appartient à l'élite De mémoire d'homme, je ne me souviens pas avoir rencontré à la cinémathèque ou au TNA des cadres du ministère chargé de la Culture, venus assister à des représentations, à l'exception d'artistes fonctionnaires, ou lorsque le protocole l'exige. Par contre, ils sont omniprésents à chaque enterrement d'une de nos célébrités, se sentant sans doute obligés de faire acte de présence, puisqu'administrativement, ils représentent la culture. De son vivant, cet artiste, malgré toutes les sollicitations, n'a jamais bénéficié soit d'un logement (Rachid Farès, le dernier en date, a été hébergé par sa famille), ou d'une retraite décente qui lui permettrait de joindre les deux bouts ; Rouiched, notre vedette nationale, est décédé avec une retraite mensuelle légèrement au-dessus de 10 000 DA.Aujourd'hui, 66,50% des retraités touchent ne pension inférieure au SNMG. C'est dramatique et même injuste lorsque nous savons que certains députés font du forcing pour bénéficier d'une augmentation de salaire de 100 000 DA par mois. Cette augmentation à elle seule dépasse le salaire de 6 smicards ou représente celui d'un maître de conférences qui a une ancienneté de 30 ans l'Expression du 7 mai 2013). Par ailleurs, les hauts fonctionnaires de l'Etat bénéficient, eux aussi, d'une retraite généreuse, prise en charge sur le Fonds spécial des retraités, géré par le ministère des Finances. Ces derniers non seulement ouvrent droit à une retraite à 100%, mais celle-ci est systématiquement indexée sur les émoluments de leurs homologues en exercice, après chaque réévaluation. Est-il admissible d'avoir un système de retraites à deux vitesses, genre 1re et 2e collèges ? Vivons-nous dans deux Algérie, celle de ceux qui triment et celle d'une caste qui en profite ? Enfin, certains artistes atteints de maladies graves, dont la pathologie nécessite un transfert à l'étranger, malgré d'intenses démarches, n'ont pu obtenir une prise en charge. La dernière en date à avoir lancé un «cri de détresse» dans le journal El Watan du 27 juin 2013, est la diva du chant malhoun Khadidja Abadi, originaire de Béchar. Pourtant, certaines personnes privilégiées peuvent obtenir ce «sésame» même pour des soins sans gravité. Déjà en 1986, dans un article de presse signé par la journaliste Khadidja Zeghloul, celle-ci relevait dans un style pathétique et grave à la fois, la pénible condition sociale de l'artiste. Elle écrivait : «Hadj Omar (...), vieux, il a vécu ses derniers jours dans le dénuement et l'amertume, sans même un logis où abriter ses déboires. Ceux qui l'ont connu racontent que la police l'a ramassé à plusieurs reprises sous les ponts pour vagabondage. On raconte beaucoup d'autres choses sur son désarroi et sur celui d'autres artistes qui ont connu le même sort ingrat après les lumières de la renommée : la chanteuse Hnifa qui mourut dans la misère, la danseuse de ballet qui finit mendiante à Sour El Ghouzlane. Et, qui n'a en mémoire le très sinistre Sphinx, une ancienne maison de tolérance reconvertie en logement pour les artistes ? Ainsi vu souvent la condition de l'artiste ; vivant, il n'est qu'un saltimbanque, hargneux et encombrant dès qu'il quitte la scène ; mort, on lui rend ses hommages hâtifs avec un peu d'émotion et de nostalgie vite emportées par l'oubli. Ses collègues qui l'accompagnent dans son dernier chemin doivent nourrir une sombre dérision et une sourde rancœur à l'égard de ces oraisons de circonstances». (Khadidja Zeghloul, Algérie Actualité, semaine du 29 mai au 4 juin 1986). Il est temps que l'on accepte l'évidence que l'artiste appartient à l'élite. La reconnaissance du public lui est acquise, mais celle des autorités tarde encore à venir. Aussi, le seul hommage véritable qu'on peut lui rendre est de l'élever au rang «d'artiste émérite» de son vivant, avec tout ce que cela comprend comme avantage moraux, sociaux et matériels. H. L. A. * Diplômé de l'Institut du cinéma de Moscou (VGIK) 1- Il est désolant que la cinémathèque de Tizi Ouzou m'ait refusé une projection du film Zabana!, alors que la copie était sur place. Il est inquiétant qu'un musée du cinéma ferme ses portes à un chercheur. Par contre, je remercie sincèrement Mme Zahia Yahi, chef de cabinet au ministère de la Culture pour m'avoir organisé une projection à Alger. 2- Une analyse exhaustive sera consacrée ultérieurement au film Zabana! qui présente autant d'intérêt que de lacunes.