Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Moins d'un an après sa nomination, Sellal voit déjà son nom cité parmi les probables candidats en 2014. Au-delà de l'étonnante progression de sa cote ; alors que sa visibilité politique n'était, au mieux, que celle d'un ministre technique sérieux il y a de cela tout juste 300 jours ; il apparaît clairement qu'il tire cet avantage du fait que la question primordiale de la succession tarde à trouver la bonne réponse et les pistes du choix qui conviennent. Car, indépendamment des effets d'annonce de certaines personnalités ayant décidé de faire valoir leur droit de se présenter, l'Algérie s'achemine irrémédiablement vers un énième suffrage bloqué. Quoi que prétendent certaines voix officielles, les mécanismes du système sont toujours à l'œuvre. Et cela vient de se vérifier à travers le détestable verrouillage auquel celui-ci s'est prêté afin d'empêcher une présidentielle anticipée d'avoir lieu. Au mieux donc, les officines, habituellement qualifiées pour canaliser cette compétition majeure, seraient peut-être moins enclines à truquer grossièrement en concédant, cette fois-ci, une bonne marge de transparence aux urnes pour peu qu'elles soient en mesure de faire le bon tri en amont. C'est ce qui semble faire problème actuellement et dont le Premier ministre actuel profite en termes de probabilité. Homme lige dans une pépinière asséchée, Sellal serait même adoubé pour reproduire du bouteflikisme sans Abdelaziz. D'ailleurs certaines allusions au binôme «Saïd B. + Sellal» ne sont pas que de la médisance. Leur compagnonnage lors des campagnes de 2004 et 2009 souligne une certaine complicité. Cas de figure singulier, il serait par conséquent le Premier ministre après une longue lignée de prédécesseurs à avoir vaincu un préjugé défavorable à l'égard de cette fonction. Une vieille disqualification qui tenait au fait que l'exercice de cette autorité subalterne au sein de l'exécutif avait toujours été de peu de référence pour les mises en orbite. Dans la courte histoire concernant l'institutionnalisation du poste, nous retrouvons, en effet, une constante de la mesure pénalisant ceux qui l'ont occupé. Même si, parmi les variantes auxquelles avaient recouru les régimes, il y eut quand même certains qui élargirent d'une manière importante les prérogatives du deuxième personnage de l'exécutif, cela ne relativisa pas d'un iota cette sorte de déconsidération. Le pouvoir exécutif s'étant fondé sur la concentration de la totalité des missions entre les seuls mains du Président, il était logique de dénier à la chefferie ou à ce qui se nomme la «primature» (selon les époques et les amendements de la loi fondamentale) une quelconque visibilité spécifique. Faute d'un semblant de dyarchie, dans les modalités de gouverner, un Premier ministre n'était utile que lorsqu'il est grillé comme un fusible, afin de permettre au chef de l'Etat de se défausser. Il est vrai que les malheureuses péripéties liées à ce poste, créé par la Constitution de 1989 et depuis reconduit dans les suivantes (1996, 2008), ne se comptent plus. Elles avaient eu raison d'une douzaine d'occupants, dont Kasdi Merbah inaugura la liste. Par le passé, la polémique qui opposa Merbah à Chadli posait déjà la question des prérogatives constitutionnelles de cette fausse «dyarchie». Or, le licenciement du Premier ministre Kasdi Merbah annonçait déjà les pouvoirs exorbitants qu'allait se donner Bouteflika à partir de 1999 puis en 2008. En effet, une décennie plus tard, Benbitour souffrira du même syndrome au cours de sa collaboration avec l'actuel chef de l'Etat. Préférant devancer la disgrâce arrogante qui le guettait, il s'empressa de donner sa démission ce que n'osèrent pas faire ses successeurs et dont on sait comment ils furent écartés de toutes les responsabilités. Mais au-delà des destins personnels, sources évidentes de conflits, n'y avait-il pas la nécessité, en son temps, de réfléchir sur cette incohérence fondamentale de la Constitution ? Laquelle, tout en instituant la fonction de Premier ministre, l'occulte irrémédiablement au seul profit du Président appelé à gouverner sans partage même si le Parlement ne lui est pas favorable ! D'où la tentation de le réduire à une sinécure précaire et révocable puis de transférer ses missions vers les conseillers du palais qui, à leur tour, s'érigent en super-gouvernement. Selon que l'on fût Zeroual ou que l'on soit Bouteflika, la tension dans les relations fut moins contraignante du temps du premier que sous le second. Le césarisme, qui a pris le pas sur les règles constitutionnelles, a certainement contribué à faire des ministres d'un gouvernement des hochets auxquels il leur a été substitué des marionnettistes qui, seules, briefaient le Président. Composée, essentiellement, par la fratrie et le clan élargi, cette camarilla était assurée de l'impunité. Sellal qui, originellement, n'en faisait pas partie mais savait néanmoins comment les réseaux se sont mis en place dès 1999 (ne fut-il pas ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Hamdani...), avait certainement conquis quelques sympathies qui allèrent en se renforçant par le biais de l'influent frère en question. Cultivant une image et une posture d'homme sans attaches partisanes, il répondait effectivement au casting idéal pour occuper le poste d'observation de la primature en vue de 2014. Une promotion qui, on peut l'imaginer, suffisait à son ego. Sauf que, quelque part, la nature avait décidé de redistribuer les cartes et de le surexposer en lieu et place du Président impotent. Délégué en puissance de l'Etat depuis le 27 avril, il rêve de pouvoir accéder à la légitimité en avril prochain. Y parviendra-t-il ? Cela ne dépendra certainement pas de ses compétences supposées de Premier ministre, comme on le sait, mais impérativement du «bon de sortie» que lui donnera le système s'il se révélait qu'il ne serait pas un obstacle aux deals habituels. Rappelons-nous, à ce propos, la fameuse restriction de «trois quarts de Président» dont s'était longtemps plaint celui qui, aujourd'hui, est sur le départ.