Par Ahmed Halli [email protected] Lorsque quelques centaines de musulmans se font tuer par d'autres musulmans, y compris à l'intérieur d'un même rite, on crie de partout, jusque sur les rives de la Seine, au massacre, voire au génocide. L'opinion, et surtout les gouvernements, en Occident sont formels là-dessus : «Entretuez-vous, décimez-vous, mais faites que les râles des agonisants, et les odeurs de décomposition ne parviennent pas jusqu'à nous.» Les Etats-Unis, et l'Europe connaissent très bien la nature et les objectifs des gens qu'ils soutiennent en Egypte et en Syrie, par exemple. Au Caire, il s'agissait de porter au pouvoir, et de raffermir, le mouvement des «Frères musulmans», d'accord avec l'essentiel : laisser Israël tranquille, et ne pas contrarier le commerce international, dont celui stratégique du pétrole. Que demander de plus ? En Egypte, la partition des «Frères» a tourné au couac, la majorité des Egyptiens n'ayant apprécié ni l'air ni les paroles. Ce n'est pourtant pas faute de bonne volonté, les Egyptiens ayant à en revendre dès qu'il s'agit de se représenter un avenir, l'au-delà, mirifique en comparaison avec leur présent misérable. Seulement, ils se sont aperçus que ce présent-là, tout lamentable qu'il soit, était préférable, en somme, aux nuées sombres qu'ils entrevoyaient sous la guidance des «Frères». Tout ce qu'ils demandaient, c'était qu'on leur assure la pitance quotidienne et quelques maigres espaces, oh à peine, de liberté. Or les «frères» n'ont pas réussi à donner assez de pain à tout le peuple, et n'ont guère rien promis quant aux libertés. Et comme dit le proverbe «Quelqu'un qui ne possède pas une chose, ne peut la donner», et en matière de libertés la gibecière des «frères» qui criaient famine. À l'appel du peuple, comme on disait déjà en 1952, l'armée égyptienne est intervenue, et a chassé le «numéro sept», du mouvement, qui était à la tête de l'Etat égyptien. Un comble ! Le numéro «un» de l'Etat n'arrive qu'au septième rang dans la hiérarchie de son mouvement, ou devrait-on dire de son organisation paramilitaire. Récapitulons : les Etats-Unis concluent avec les «Frères musulmans» une idylle un peu honteuse, puis franchement et scandaleusement publique, en offrant le trône d'Egypte à leur partenaire. Dame, au pays de Cléopâtre et de... César, on ne fait aucun cas du qu'en-dira-t-on. Les militaires égyptiens qui sont toujours pleins de bonnes intentions font donner leurs chars pour chasser Morsi, sacrifier Marc-Antoine, mais sans toucher à Cléopâtre. C'est ce qui est dit dans le scénario américain validé par Obama. On proteste un peu pour la forme, mais on est soulagé, en fin de compte d'avoir arrêté une course où le favori renâclait, pour ne pas dire qu'il faisait l'âne. Bien sûr, les «frères» se rebiffent, ils brûlent même quelques églises coptes, d'un effet mobilisateur intense sur les foules, et surtout pour faire croire qu'ils sont les pires ennemis de l'Occident chrétien. Dans les chaumières parisiennes où les cris des Palestiniens, expropriés, spoliés, arrivent assourdis, on s'émeut du sort de ces pauvres «islamistes modérés». La modération, c'est la seule denrée que l'Occident consent, contre toute logique proverbiale, à ne prêter qu'à ceux qui n'en ont pas ! Et puis, tout le monde sait qu'un riche émirat comme le Qatar n'a pas besoin qu'on lui prête autre chose que de bonnes intentions. Il est prêt, en revanche, à rembourser au centuple la modération prêtée inconsidérément à ses protégés du moment, comme en Syrie. La Syrie, le pays qui attire soudainement tous les regards, au détriment de l'Egypte, et parce que les pays européens, et les Etats-Unis, en ont décidé ainsi. Encore une fois, l'oreille sélective de la coalition anti-Bachar n'entend que les cris de certains suppliciés, ceux qui meurent dans le bon camp. Le bon camp étant, en l'occurrence, celui des islamistes, appuyés par le Qatar avec le soutien politique, diplomatique, technologique d'Européens résolus, et d'Américains hésitants. Ces derniers ne sont pas encore sûrs que les armes chimiques soient utilisées par le seul camp des méchants, celui de Bachar bien sûr, mais à tout hasard ils ont renforcé leur flotte en Méditerranée. Mais il y a ceux dont on ne parle pas, dont les voix ne sont pas assez fortes, ni assez nombreuses, pour réveiller les consciences endormies. Je veux parler de ces Chrétiens de Syrie qui, par peur de la peste qatarie, pour ne pas dire intégriste, ont paru choisir le choléra «assadien», autrement dit le régime de Damas. Allez donc faire autrement, lorsque vous êtes une minorité ethnique ou confessionnelle, en pays arabe et musulman ! Depuis le début de la guerre civile en Syrie, plus du tiers des habitants chrétiens du pays a quitté le pays, sous la menace des groupes armés et notamment ceux qui sont rattachés à «Al Qaïda». Ces chrétiens constatent surtout avec amertume que ce sont les pays européens, l'Occident chrétien, qui arment et soutiennent les groupes extrémistes qui les persécutent. «Ce sont les armes et l'argent que vous donnez à ce que vous appelez l'opposition syrienne qui contribuent à l'exode des chrétiens, provoqué par ces extrémistes au nom de la religion», a affirmé récemment l'Evêque Attalah Hanna, patriarche des Grecs orthodoxes d'Al-Quds, s'adressant aux pays européens. «Nous refusons, a-t-il ajouté, d'être décrits comme des minorités qui ont besoin d'être protégées dans nos propres pays. Nous sommes une partie intégrante de cette région, et nous n'avons d'autre choix que de vivre aux côtés de nos frères, les musulmans, et dans un Etat démocratique. Un Etat laïque, où il n'existe pas de minorité ou de majorité, mais des citoyens jouissant de leurs droits, hors de toutes considérations religieuse ou politique.» Abandonnés par leurs coreligionnaires d'Europe et d'Amérique, englués dans «la défense de leurs intérêts colonialistes», comme le note Attalah Hanna, les chrétiens de Syrie se surprennent à rêver d'un nouvel Abdelkader. C'est en 1860, en effet que l'Emir exilé depuis cinq ans à Damas est intervenu pour sauver des milliers de chrétiens d'un pogrom annoncé. Assisté d'une petite troupe de compagnons algériens qui l'avaient suivi dans son exil, il a parcouru la ville et les campagnes, ici pour arrêter le carnage, et là pour accueillir chez lui des fuyards et les protéger contre leurs poursuivants. En témoigne cette élégie d'un poète français, dont nous vous proposons ces extraits édifiants : «Aidé par quelques-uns des tiens, tu parcours Damas en ruine, pour y protéger les chrétiens. Ton asile fut leur refuge ; ton bras fut leur sécurité ; tu fus, dans ce nouveau déluge, le phare de l'humanité.» Je céderais volontiers à la tentation de crier : «réveille-toi, l'Emir, ils remettent ça !» Mais je crains qu'en ressuscitant sous les murs de Damas, il ne périsse par le gaz, ou plus sûrement par l'épée.