[email protected] Il y a quelque chose de pervers et d'hypocrite chez les soi-disant «penseurs» islamistes égyptiens qui déciment le troupeau, et puis qui pleurent avec le berger, comme le dit un vieux proverbe d'ici. En période faste ou en campagne électorale, lorsque tout va bien, ils font assaut de gestes amicaux et affectueux en direction de leurs concitoyens coptes, tout comme l'ont fait les Frères musulmans. Mais dès que la situation se dégrade un peu et qu'il faut se déterminer clairement, ils retombent dans leurs travers et ils oublient que les Coptes existent, pour ne plus se souvenir que des batailles des premiers musulmans minoritaires. C'est un peu le cas de Selim Al-Aoua, l'ex-candidat à la présidentielle, boudé par ses «Frères», lui qui a été secrétaire général de l'Union mondiale des ulémas musulmans. Ce «machin», fondé par Karadhaoui, la voix autorisée de la confrérie sur Al-Jazeera en particulier, s'est signalé par ses fatwas de haine, notamment en Syrie. Cette fois-ci, les deux compères se sont partagé les tâches : tandis qu'Al-Awa lançait son initiative de règlement politique, dans un silence sépulcral, Kardhaoui agitait son tisonnier. Dans un premier temps, l'agitateur cathodique, qui forme un duo singulier avec l'Algérienne Khadidja Ibn-Qenna sur Al- Jazeera», avait appelé à ne pas répondre à l'appel du général El- Sissi. Puis voyant que les Egyptiens étaient restés sourds à ses appels, et qu'ils étaient sortis massivement dans la rue vendredi 26 juillet, il a relancé la tension. Cette fois-ci, il a appelé tous les Egyptiens à rejoindre la place Rabaâ Al-Adawia, occupée par les partisans de Morsi, avec une adresse particulière aux «Chrétiens libres», c'est-à-dire les Coptes qui croiraient aux promesses des «Frères». Et comme il n'est pas en peine de promesses en l'air, il les a assurés que «seuls les musulmans pouvaient les protéger». Seulement, les Coptes ont compris en moins d'un an d'exercice du pouvoir par les islamistes qu'ils seraient les victimes propitiatoires de la résurrection du Kalifat sous l'étendard des «Frères». S'il leur en fallait plus pour se convaincre de la réalité de ces gens, il aurait suffi qu'ils écoutent le harangueur de service sur les lieux de la protesta pour le retour de Morsi. Après les exhortations classiques, rappelant les souffrances endurées par les premiers musulmans (ce qui est le comble pour un parti censé être majoritaire), l'imprécateur a déploré des victimes, «toutes musulmanes». Autrement dit, pas de place pour les chrétiens dans la faction des «rescapés de l'enfer», même en cas de sacrifice suprême. D'ailleurs quel Copte se hasarderait place Rabaâ Al-Adawiya, au milieu de ces foules chauffées à blanc par un discours exclusif et hostile à tout ce qui n'est pas musulman, selon l'entendement des «Frères». Le comble des impostures, c'est que les islamistes qui proclamaient que la démocratie était impiété et mécréance se réclament aujourd'hui de cette «démocratie» qui les a portés au pouvoir, par la fraude et l'achat des voix. Eux qui ont composé et passé des accords suspects, durant des décennies avec les castes au pouvoir, crient aujourd'hui au coup d'Etat militaire. À ceux qui brandissent cet argument, notamment en Occident, le Copte Kamel Ghobrial rappelle dans le magazine Elaph que la révolution est d'abord une insurrection contre un ordre établi. «La révolution, dit-il, peut être l'œuvre d'un groupe de militaires aventuriers pour s'emparer du pouvoir pour leur propre compte comme cela s'est produit le 23 juillet 1952. Elle peut être menée par le peuple, avec la participation de bandes terroristes, telles les milices des "Frères", du Hamas et du Hezbollah, comme pour le 28 janvier 2011. La révolution peut être enfin l'œuvre du peuple, avec l'appui de l'armée, comme cela s'est produit le 30 juin dernier.» Pour Kamel Ghobrial, il ne s'agit pas pour l'heure d'épiloguer sur la nature du changement qui s'est produit en Egypte, mais de considérer l'opportunité qui s'offre sans doute d'édifier un Etat laïque, seul garant d'une véritable démocratie( 1). Or, il a suffi de quelques mois d'exercice du pouvoir par les «Frères» pour s'apercevoir qu'ils n'agissaient ni pour l'Islam, encore moins pour l'Egypte, mais qu'ils travaillaient uniquement dans l'intérêt de leur groupe politico-religieux, à l'exclusion de toutes les autres composantes de la société. Il n'est pas étonnant d'ailleurs que les alliés islamistes de Morsi, notamment les fondamentalistes «souroriens»(2), aient lâché le président déchu au moment où il avait le plus besoin d'eux. Cela dit, Morsi peut se targuer du soutien des fondamentalistes, et des partis politiques islamistes algériens, qui ont les yeux rivés sur la place Rabaâ Al-Adawiya, jusqu'à en oublier l'échéance de 2014. Loin de la cacophonie des mosquées qui se livrent une guerre des décibels assourdissante, mais heureusement pacifique, nous avons droit aussi à des débats de qualité. J'en veux pour preuve les soirées organisées par notre confrère H'mida Ayachi, du quotidien Djazaïr- News, et qui contribuent à atténuer l'irascibilité et l'agressivité naturelles des Algériens. Je n'ose penser à la tournure qu'aurait prise le débat de jeudi dernier, s'il s'était déroulé quelques heures plus tôt, avant la rupture du jeûne. Mais comme le doute doit toujours profiter à l'accusé, reconnaissons au moins au chef du Hamas local, Abderrazak Mokri, son self-contrôle et son sens de la réplique. Bien que malmené par les universitaires Arous et Boumediène et par une partie notable d'un public qui était venu dans cette intention, Mokri s'en est tiré finalement à bon compte. Non sans avoir omis d'évoquer la délicate question de l'alternance au pouvoir, que les islamistes estiment inutile puisqu'il est de notoriété publique qu'ils ne sont là que pour semer abondance et bonheur sur terre. Ce n'est pas l'impression que me donne le discours fondamentaliste quasi majoritaire dans nos villes et nos campagnes, et ce n'est pas ce que me disent les nouvelles qui viennent du Caire, et aussi de la province indonésienne d'Aceh (3). A. H. (1) Un tantinet optimiste l'ami Ghobriel, la laïcité dans les pays arabes est encore un gros mot qu'il ne faut pas mettre dans toutes les bouches, et il en faudra du temps avant que les sociétés fermées s'y résignent, faute d'autre recours. (2) Du nom de Mohamed Sourour, un théologien fondamentaliste syrien qui a été l'un des principaux appuis religieux au terrorisme islamiste en Algérie, à partir de son exil londonien. Ayant été pendant longtemps l'un des dirigeants les plus en vue de l'organisation internationale des Frères musulmans, il incarne la symbiose parfaite entre le courant fondamentaliste et le mouvement des «Frères». (3) Seule province autonome d'Indonésie à appliquer la Charia, mais surtout à l'encontre des femmes, soumises à tous les interdits, du plus sévère au plus farfelu. M. Mokri pense qu'avec l'exercice du pouvoir, les islamistes les plus radicaux tendent à se modérer, alors guettons les premiers signes favorables parvenant de l'Indonésie. Mais restons vigilants, et même très vigilants, surtout lorsqu'il y a des femmes voilées en plus grand nombre à l'Assemblée.