[email protected] Pour mieux illustrer le fossé qui sépare les pro-Morsi et les anti-Morsi, l'écrivain palestinien Hassan Khadher, a fait appel à deux figures antinomiques de l'Egypte : Taha Hussein et Sayed Qotb. Dans une contribution publiée par le magazine arabe Meta transparent, il a ressuscité le premier à la Place Tahrir, fief des opposants à Morsi, et le second s'est réincarné Place Rabéa Aladwya, où manifestent les Frères musulmans. Taha Hussein a écrit un essai célèbre «L'avenir de la culture en Egypte», où il préconisait le désencrage de l'Egypte de son environnement levantin. Contrairement à ce qu'ont fait admettre ses adversaires, Taha Hussein ne préconisait pas d'imiter l'Occident, mais de se réapproprier la civilisation hellénique que les Arabes avaient fait découvrir aux Européens. L'un de ces adversaires était justement Sayed Qotb, une des références idéologiques de l'islamisme international, qui avait signé un pamphlet, sous le titre de «Critique de l'avenir de la culture en Egypte, de Taha Hussein». Ceci, bien avant que Sayed Qotb, qui avait été l'ami de Naguib Mahfouz, avant de se retourner contre lui, ne sombre dans l'intolérance et la violence. Hassan Khader note toutefois que la Place Tahrir est bien un symbole de liberté, que Taha Hussein domine de toute sa stature. Surtout, dit-il, si l'on sait que c'est sur cette place que Houda Charaoui (1) avait jeté son khimar en 1919, pour protester contre le sort fait aux Egyptiennes. De l'autre côté, Place Rabéa Al-Adawya 2), Sayed Qotb ne serait qu'un citoyen ordinaire, compte tenu du fait que la place doit son nom à l'une des figures de proue du soufisme. Or, rien n'est autant opposable que l'idéologie des Frères musulmans, et le message pacifique et adoration de Dieu porté par le soufisme. Comme pour mieux illustrer cette contradiction, les partisans de Morsi affichent leurs objectifs en s'entraînant au combat sur la place qu'ils occupent et en faisant défiler des enfants revêtus de linceuls. D'ores et déjà, le leader salafiste, Yasser Borhami, a exprimé son opinion en affirmant que ceux qui mourraient en suivant les Frères musulmans ne mourraient pas pour l'Egypte, mais pour le mouvement. Son parti, Al-Nour, vient de mettre en ligne (3) un texte de Borhami dans lequel il explique et justifie son désaccord avec les «Frères». Ceci, à l'attention de ceux qui minimisent le poids et le rôle actuels du salafisme dans les pays arabes, et notamment en Algérie. Car, pendant que les imams fondamentalistes donnent de la voix et s'imposent dans les quartiers populaires, notre gouvernement et plus précisément son ministre des Affaires religieuses scrute l'horizon. Il paraît que des télévisions maléfiques lancent à partir des pays du Moyen-Orient, des fatwas diaboliques susceptibles de perturber gravement notre Islam maghrébin. Je suis tout à fait d'accord avec vous, Monsieur le Ministre, mais je ne vous suis pas sur un tout petit détail : «Ils» sont déjà dans nos murs ! Si les échos des prêches ne vous parviennent pas jusqu'au Club-des-Pins, je vous invite à passer une soirée de Ramadhan dans mon quartier. Et si, au matin après les invocations, les surérogatoires, amplifiées par hauts-parleurs, vous ne sentez pas le brûlé, c'est à désespérer alors de ce pays, après l'avoir été de son gouvernement. Réveillezvous, Monsieur le Ministre, et venez vous installer avec moi aux premières loges pour mieux voir et entendre le danger salafiste qui ne vient pas des écrans, mais de «vos» minbars ! D'ailleurs, pour savoir si une mosquée est salafiste ou non, en cette période de fureur, à ne pas confondre avec ferveur religieuse, il suffit de prêter l'oreille au contenu des invocations. Il est pratiquement le même, à l'exception de quelques innovations notables, et licites : les chiites sont taillés en pièces (4), les soldats de Bachar sont réduits en charpie et dispersés aux quatre vents. Quant aux juifs et aux chrétiens, il ne devrait plus en subsister beaucoup, avec les coups terribles qu'ils reçoivent à partir de nos minarets. Bref, toute la panoplie de la haine et de l'intolérance infantiles y passe, avec disais-je une place prépondérante pour la Syrie, ou «Bilad Al-Chem», pour rester dans l'orthodoxie fondamentaliste. Et comme le Hezbollah, prétendument libanais, n'est plus en odeur de sainteté, et pour cause, il n'est plus question de leur emprunter quoi que ce soit. Donc, plus de navires qui coulent, ni d'épouse en instance de veuvage, et d'orphelins en perdition, mais des anathèmes contre la meute (Al- Moutakalibine) qui menace «Al-Chem» (5). En raccourci, l'image classique d'une poignée de «moudjahidine» affrontant des armées innombrables et diaboliques, alors que les «combattants de la foi» ne peuvent compter que sur la providence divine, assistée à titre supplétif, par le Qatar, Obama, et Erdogan. Comme il y a encore trop d'imprécision dans le choix des cibles, il faut ajouter une variante : on demande à Dieu d'agir pour que leurs tirs soient mieux ajustés. Il est vrai que ce n'est pas facile de tenir dans sa ligne de mire des cibles aussi diverses que des villageois kurdes ou des brigades féminines tunisiennes. Dieu, ajuste tes foudres contre les imposteurs, et les «Hadj- Décibel» qui perturbent notre sommeil en ton nom, et surtout, libère nos cerveaux de l'emprise des télécommandes wahhabites ! A. H. (1) Houda Charaoui (1879- 1949) est une grande figure du nationalisme égyptien, et elle est considérée comme l'aïeule du mouvement d'émancipation féministe en Egypte. Elle a défendu et obtenu le recul du mariage des filles à 16 ans, et elle s'est lancée corps et âme dans le combat contre le partage de la Palestine. Elle est morte d'ailleurs, quelques jours après la proclamation du partage par les Nations-Unies. (2) Rabéa Al-Adawya (717- 796), surnommée «L'adoratrice de Dieu», est native de Bassorah, en Irak, au sein d'une famille où le père s'adonnait déjà aux prières et à la contemplation. Elle est considérée à juste titre comme l'un des pionniers, sinon le pionnier du soufisme. (3) À lire, pour mieux comprendre ce qui se passe actuellement en Egypte : http://www.salafvoice.com/arti cle.php?a=6944&back= (4) Le discours antichiite ne remonte pas à la guerre en Syrie, mais au déclenchement de la campagne lancée par les monarchies du Golfe, et visant essentiellement l'Iran. La campagne connaît des pauses en Arabie saoudite, mais pas chez nous, où l'on aime toujours outrepasser les dates de prescription. (5) Il n'est pas question de l'Egypte, bien sûr, puisque les salafistes ont retiré leur «soutien critique» à Morsi. Ce qui est paradoxal, alors que l'écrasante majorité des fidèles a les yeux rivés sur «Rabéa- Aldawya». Toujours ces sacrées télécommandes !