[email protected] Brillantes personnalités politiques, dont les analyses suscitent chaque fois de l'intérêt, elles sont cependant dissemblables dans leurs approches des problèmes. Benbitour et Rahabi représentent en effet toute la complexité de la réflexion qu'impose la situation du pays. Même lorsqu'ils se rejoignent sur la nécessité actuelle de refonder l'Etat, ils ne portent pas en eux le même optimisme. Alors que l'ex-Premier ministre croit fermement en la possibilité de réinventer une sorte de pays «innocent» que seuls les réseaux sociaux peuvent organiser, l'ex-diplomate, lui, demeure dubitatif dans ses diagnostics. A l'idéalisme respectable de l'un qui privilégie la projection théorique s'oppose le réalisme froid de l'autre qui préfère tâter au scalpel le «corps» du régime. Cependant, les deux approches caractérisent, d'une certaine manière, le questionnement foncier que tout le monde se pose et autour duquel les spéculations médiatiques deviennent à leur tour déroutantes. Alors que Rahabi, par exemple, prend le pari d'affirmer qu'il n'y aura pas de présidentielle en avril prochain, des comités de soutien à un 4e mandat se mettent en ordre de marche, comme vient de l'annoncer publiquement le président du Sénat, Bensalah. Ce genre de réaction officielle est tout à fait significatif et serait du même ordre dans la manœuvre que le fameux briefing de la semaine dernière, lorsque les services de la communication de l'armée s'empressèrent «d'expliquer» à des confrères qu'il n'y a jamais eu de clash entre le DRS et Bouteflika. En procédant par la contre-attaque au cas par cas, le premier cercle du pouvoir dément les propos et les écrits et, en même temps, entretient l'opacité sur sa démarche. Autrement dit, ses dénégations relèvent à leur tour du mensonge politique. Le lamentable spectacle auquel il en est réduit enfonce un peu plus l'Algérie dans une incertitude mortifère. Et ce ne sont certainement pas les rodomontades de Sellal qui atténueront dans l'immédiat l'atmosphère crépusculaire qui enveloppe l'Etat. Car, d'une manière ou d'une autre, le chef de l'Etat est en devoir de dépasser la stratégie de la riposte ponctuelle qu'il commandite. Même si la société est d'ores et déjà sans illusion quant à la possibilité de se donner de nouveaux dirigeants, le mieux qu'il lui reste à espérer n'est-il pas qu'elle soit enfin affranchie sur les ambitions du Président. Qu'il veuille «rempiler» en 2014, comme le disent les prétoriens à sa solde aux Tagarins, est devenu, en peu de jours, une quasi-évidence dans les parages du régime. Sauf qu'il doit, désormais, dire quelle procédure il s'est choisie. Entre l'hypothèse de Rahabi préconisant une inexpliquée rallonge(1) hors des urnes et un plébiscite qui le maintiendrait dans son fauteuil (même roulant !), le mal est le même pour le pays. C'est ainsi que se dessine progressivement une terrible quadrature du cercle, cette impossibilité de résoudre la question des pouvoirs dont le vieux système est le géniteur. Le nœud gordien qui bloque le pays, bien plus que par le passé, ne s'expliquerait-il pas par de triviales considérations relatives à des complicités inavouables ? La corruption matérielle généralisée dans cette haute sphère serait la plus décisive parmi elles. Ceux qui composent cette camarilla, autrement dit la plupart des hauts dignitaires cheminant ensemble depuis deux décennies, ont en commun quelques secrets en partage. Et la moindre révélation devient, du coup, dissuasive. Tenus par le code «exemplaire» de l'omerta, ils finissent par se résigner à une solidarité dans le statu quo. Et ce n'est pas un fantasme de journalistes lorsqu'ils révèlent ici et là que Bouteflika a de bonnes raisons de ne pas s'inquiéter pour la suite de sa carrière. Même lorsqu'il est mis souvent en exergue le fait qu'il ferraille d'abord pour mettre à l'abri des scandales son clan et sa fratrie, il possède néanmoins un arsenal d'accusations contre ceux qui seraient tentés de lui savonner la planche dans les mois à venir. Ayant eu tout le temps et toute la latitude de vampiriser la totalité des institutions, le Président gouverne d'ailleurs par frère interposé sans que nul ne trouve à redire à ce genre d'atteinte aux relations d'autorités fixées par la Constitution. Cette voie de fait est tellement frappante que l'on s'apprête, une fois encore, à retailler la loi fondamentale pour lui offrir un pouvoir à perpétuité. La basse besogne est engagée dans la confidence du sérail alors qu'ici et là, de timides «manifestes» s'écrivent et se publient dans les journaux dans l'indifférence générale. Un vain combat et une pathétique résistance intellectuelle. B. H. (1) En effet, Monsieur Rahabi ne nous dit pas comment il doit procéder... A moins d'orchestrer des troubles dans le pays afin de restaurer l'Etat de siège et différer légalement la tenue des scrutins...