La multinationale canadienne SNC-Lavalin est accusée depuis plusieurs années de corruption dans nombre de pays, dont l'Algérie où elle est bien installée depuis près d'un quart de siècle et a obtenu des marchés pour 10 milliards de dollars (Maqam chahid, au gré à gré, dans les années 80, c'est elle !). Sanctionnée par la Banque mondiale, privée de marchés, SNC-Lavalin fait l'objet d'enquêtes policières et judiciaires, notamment au Canada, en Suisse et en Italie, enquêtes à des vitesses diverses et parsemées d'obstacles émanant des «politiques» et des lobbys économiques, financiers et entrepreneuriaux. SNC-Lavalin a la particularité, ces douze dernières années, d'avoir nommé à des postes importants — 1re vice-présidence du groupe —, et dans leurs «filiales pays», des «Nord-Africains». C'est le cas aussi pour les «intermédiaires», désignés par le groupe, ou imposés, pour l'obtention de marchés. Comment sont-ils «choisis» ? Pour leurs compétences, leurs diplômes, leur carnet d'adresses ou leurs liens divers et familiaux avec les gouvernements maghrébins ? Portraits express. Premier portrait : Sami Bébawi, d'origine égyptienne, installé au Canada depuis longtemps, très peu connu de l'opinion publique algérienne et peu médiatisé dans les scandales de corruption impliquant SNC-Lavalin, ayant occupé jusqu'en 2006, le poste de 1er vice-président du groupe (qu'il a quitté au début de 2007), ayant été derrière les principaux contrats avec l'Algérie, «apprécié» des dirigeants algériens. Très «généreux» et grand seigneur, et pour cause (!), Sami Bébawi s'était distingué dans la wilaya de Skikda (où il avait obtenu la réalisation d'une centrale électrique) en offrant en 2006... 100 ordinateurs aux écoles de la région. Depuis 2012, Sami Bébawi, qui a fui le Canada, est dans la cible de la justice canadienne. Comme l'a révélé Radio-Canada et le Globe & Mail, cette dernière a saisi des propriétés et bloqué des comptes bancaires appartenant à des proches de Sami Bébawi. Toujours en 2012, comme l'avait révélé la Radio Télévision Suisse, suite à l'arrestation à Genève de celui qui lui avait succédé à la vice-présidence du groupe – le Tunisien Ryad Ben Aïssa, Sami Bébawi avait été interrogé, à sa demande durant 3 jours, par les procureurs suisses de la Confédération. Il bénéficiait alors d'un statut particulier de «personne appelée à donner des renseignements», un PADR dans le jargon pénal. A cet égard, il a aussi reçu un sauf-conduit lui permettant de repartir de Suisse en toute quiétude. Non inculpé en Suisse, pas de mandat d'arrêt international par la justice canadienne, on inquiété par la justice canadienne qui protège Sami Bébawi qui coule des jours heureux à... Dubaï ! Second portrait : Le Tunisien Ryad Ben Aïssa, moins chanceux que son ancien chef Sami Bébawi, est le plus médiatisé des dirigeants de SNC-Lavalin cités dans les scandales de la corruption. Il est en prison en Suisse depuis le printemps 2012, pour blanchiment et corruption, détention préventive régulièrement prolongée, l'enquête judiciaire, fructueuse étant toujours en cours. On lui reproche notamment d'avoir orchestré de mystérieux paiements totalisant 56 millions de dollars à des «agents intermédiaires» pour l'obtention de contrats. La coopération et l'entraide judiciaires entre la Suisse et le Canada autour de Ben Aïssa se poursuivent, et les autorités helvétiques ont donné le feu vert à l'extradition vers le Canada de celui qui, jusqu'en 2012, était vice-président de SNC-Lavalin. Ben Aïssa a fait une bonne partie de sa carrière à SNC-Lavalin, où il a gravi tous les échelons et a été un «maillon»- clé dans les marchés du groupe avec l'Algérie. Troisième portrait : l'Algérien Farid Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Bouteflika, est soupçonné d'être le principal intermédiaire entre SNC-Lavalin et les dirigeants algériens ces 10 dernières années, dans les principaux marchés du groupe canadien en Algérie. Il serait diplômé de HEC Montréal (Ecole des hautes études commerciales). Objet d'enquêtes de la justice canadienne et de la Gendarmerie royale canadienne (GRC), il a pu tranquillement quitter le Canada sans être inquiété outre mesure, et a eu le temps de protéger les importants biens immobiliers que lui et ses proches possèdent dans ce pays, en créant une «fiduciaire familiale». Quatrième et dernier portrait : Salim Amdadou est l'actuel directeur général de SNC-Lavalin Algérie, filiale du groupe, dont les bureaux de Ben Aknoun ont été perquisitionnés, trop tardivement, par la police judiciaire début juin 2013. Avant d'occuper ce poste, Salim Amdadou avait été le patron de Dessau Maghreb Algérie pendant plusieurs années. Lors de rencontres avec la presse entre 2007 et 2009, l'ancien directeur général de Dessau Maghreb Algérie était présenté comme titulaire d'un doctorat en génie de transport de l'Ecole polytechnique de Montréal, établissement prestigieux. Il est vrai que dans une «carte de visite», ce type de diplôme est bluffant. Il faut rappeler que Dessau, groupe canadien est mêlé à des affaires de corruption, notamment au Canada dans l'attribution et l'exécution de certains contrats municipaux à Montréal. Pourquoi et comment sont nommés et choisis ces Nord-Africains par SNC Lavalin, et presque toutes les multinationales d'ailleurs, surtout quand les perspectives de marchés sont importantes dans la région ? Dans un article intitulé «Du népotisme à la corruption», Pierre Briançon du journal Le Monde (édition du 24 août 2013), à propos du cas des multinationales en Chine, soulignait que «comme d'habitude, on entend évoquer les coutumes locales, le climat ambiant, les valeurs différentes, un puritanisme déplacé... C'est toujours le cas quand une entreprise occidentale se voit reproché d'avoir l'argent facile quand il faut recruter ces intermédiaires de l'ombre qui «facilitent» la conclusion de contrats à l'étranger.»