Par Ali Akika, cinéaste Il y a des écrivains qui, avec le lance-flammes de leur langue, terrassent ceux qui regardent le peuple de haut. Et puis il y a ceux avec leurs mots mielleux qui vont à leur secours pour apaiser leurs remords. Enfin un «futur et possible» président de la République à la fois cultivé et en principe non coopté par l'armée. Ça nous changerait de ces «auto-dictâtes » formés à la rude école de la guerre et préparés à la cuisine politique avec une sauce bien de chez nous. Bof, se disent ceux qui, par lassitude, ont fait du scepticisme leur philosophie. Ils sont cependant prêts à donner sa chance à un écrivain qui a fait rêver ses lecteurs. Mais ils sont quand même un peu sur leurs gardes car faire rêver tout un peuple est tout de même une tâche titanesque impliquant une intelligence de la situation, des forces politiques et du temps. Les réticences des quidams que nous sommes n'ont rien contre l'homme et le citoyen. Nos hésitations sont nées de notre rapport à la littérature et à la politique. Un écrivain, on le sait, a tous les droits. Il peut écrire des histoires simples ou saugrenues. Et comme le client est roi, le quidam a aussi le droit d'acheter ou de se détourner vers d'autres nourritures. Mais quand l'écrivain sort de sa tanière, qu'il s'expose en public et sollicite la voix du citoyen, les règles du jeu ne sont plus les mêmes. En tant que citoyen, je prends le droit de passer au crible ses propos et ses opinions tenus en public car nous sommes sur le terrain politique. Et là le scanner ne laisse rien passer. Il m'informe sur ses idées politiques, philosophiques, son programme économique et social, son rapport à la famille, à la femme, au travail, à ses employés, à la religion, etc., le tout mesuré à l'aune de la taille et la qualité de l'ego. Autant l'ego peut nourrir la subjectivité de l'artiste et donner de bons résultats, autant l'enflure de l'ego en politique mène droit à l'autisme. Et là, bonjour les dégâts ! Car le narcissisme est une bête vorace. Il lui arrive même de faire battre en retraite et l'intelligence et la culture. C'est là le mystère de ce nombril que Freud himself (lui-même) n'a pas réussi à cerner dans toute sa complexité. De toute manière, s'il est élu, il va lui falloir, pour mesurer leur efficacité, confronter ses idées et ses mots à la rudesse de la réalité. De l'issue de ce combat, les mots et les idées peuvent être des fruits juteux à consommer sans retenue. Mais ils, elles peuvent aussi laisser derrière eux, elles misères, blessures et frustrations. Dans le cas qui a tenu en haleine le Landerneau du Salon du livre, que l'on soit sceptique par fatigue ou aventurier par curiosité, il n'est pas inutile, il est même amusant, de s'interroger sur la candidature d'un intellectuel ou plutôt d'un romancier. Ce genre d'ambition n'est pas illégitime. On remarque cependant que les intellectuels qui ont réussi leur passage à la politique ne se sont pas mis en scène sur les planches d'un théâtre. Ils ont mis en jeu leur propre vie. Dans la première catégorie, on trouve, honneur à notre pays, l'émir Abdelkader, poète et philosophe, en France un Robespierre, et ailleurs encore un Lénine ou un Mao Tsé-toung. Dans la seconde catégorie, citons l'exemple de Vargas le Péruvien et en France, on ne peut éviter l'historien connu sous les initiales de BHL. D'autres pointures intellectuelles de par le monde (et la liste est longue) ont marqué leur époque sans avoir ni touché ni flirté avec l'exercice du pouvoir. S'interroger sur l'art qui navigue dans des eaux aussi bien troubles que limpides, c'est comprendre et tracer la frontière qui le sépare de la politique, activités des plus nobles, faut-il le souligner. Un artiste comme capitaine d'un navire tient la barre solidement et avec compétence quand il manie son outil de travail, somme toute pacifique, sur un matériau vierge. Mais quand l'artiste en question abandonne son univers et se lance dans une entreprise politique sans les armes et munitions appropriées, son navire tangue et il n'est pas assuré d'accoster à son port d'attache. Car le terrain miné de la politique implique le soutien d'une armée de démineurs. A moins que notre capitaine ne soit désigné comme timonier du navire que pour distraire la galerie le temps de passer, sans encombre, les petites bourrasques de la période électorale. Encore faut-il que pareille pièce de théâtre ait le consentement de «notre» armée de démineurs ? Car la prudence et les ruses de Sioux de cette armée sont légendaires. Bonne élève de l'art de la guerre, elle assure ses arrières et peaufine sa logistique avant de se lancer dans la bataille. Mettons de côté une éventuelle réticence de cette armée de démineurs et explorons d'autres hypothèses. - «Notre» candidat romancier veut-il faire sa publicité sans rien débourser et de surcroît en amusant ses fans. On a vu ça sous d'autres cieux avec un certain Coluche. - Est-il en service commandé pour remplir le rôle de lièvre pour que le favori de ce champ de bataille particulier ait son combat qui ressemblerait un chouia aux joutes bien ficelées que l'on voit dans d'autres pays. - Une fois son rôle dans ce théâtre d'ombre terminé, retournera t-il à ses vrais amours ? Sans doute car l'exercice de l'art est tout de même moins épuisant, moins dangereux, à peine «pollué» par quelques critiques. Le métier de romancier laisse du temps pour briller en société et plus si affinités. Dira-t-il adieu sans amertume à la politique ? Oui, car celle-ci est un fardeau lourd à porter, un terrain où tous les coups sont permis. - Une autre hypothèse, un peu méchante j'en conviens. Un artiste en panne d'inspiration a envie de faire l'expérience d'une autre vie pour déchiffrer des mystères et cerner des mythes. Les matériaux d'un monde nouveau qu'on découvre peuvent être des ingrédients de qualité qui donnent du piment aux histoires que l'on va raconter. - Reste une dernière hypothèse à explorer. Le prétendant au poste de chef d'Etat a déjà vécu deux vies, gendarme d'abord et homme de plume ensuite. Il lui reste le statut de l'élu. Etre dans le lieu du pouvoir suprême permet de faire trembler de peur tous ceux qui ne lui reconnaissent pas le titre d'écrivain. Soyons un peu humble, la politique est une chose trop sérieuse et même dangereuse pour se contenter de la reposer sur un seul individu. Nulle part dans le monde un individu ne se lance dans une telle aventure s'il n'est pas adossé à un ou des partis politiques, soutenu par un mouvement social ou par un lobby puissant des forces économiques. Ce n'est pas respecter le peuple que faire croire qu'un homme à lui seul va bousculer un système bien installé et qui n'est pas prêt à se laisser faire. Le pays a plutôt besoin qu'on l'arme pour avoir des forces pour soutenir le nécessaire, le long et tenace travail de mobilisation et d'organisation pour le sortir du tunnel. Un vrai intellectuel doublé d'un grand politique n'a-t-il pas promis des larmes et du sang pour vaincre un implacable ennemi ? Cet homme est entré dans l'histoire sous le nom de Winston Churchill. En conclusion, et si cet acte de candidature s'évaporant aussi vite qu'il a surgi est pris tout simplement sous l'emprise d'une addiction aux médias ? Car l'attente de la sortie du prochain roman peut paraître aussi angoissante que l'éternité. Alors il faut occuper le terrain coûte que coûte. Et le Salon du livre n'est-il pas un espace idéal ? Hélas pour les victimes des addictions, il est plus facile d'occuper ou d'acheter un espace que d'être le maître du temps, car celui-ci est quelque peu anarchiste ; il ne reconnaît «ni Dieu ni maître».