Ce fut un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Le groupe Debza a donné, dernièrement, un concert en ouverture de Gnawa Diffusion, au Théâtre de verdure d'Alger devant des milliers de personnes. Lors de cette mémorable soirée, Debza a interprété six chansons dont deux de leur prochain album. Debza, dont le nom veut dire «le poing», est né en 1980, bien que l'idée de créer un collectif mettant en valeur le mouvement culturel en Algérie avait déjà germé depuis quelques années déjà. «Nous faisions du théâtre katébien et de la musique», nous confia Merzouk Hamiane, membre fondateur du collectif, avec Djamel Zenati (banjo, mandole, etc.), Aït Chelouche Youcef (banjo), Meziane Ouarad, Abdenour Houati, Rabah Bellaouane, Lahmar Messaoud, Ali Ihaddaden, Omar Zegane et d'autres comédiens, musiciens et chanteurs. En tant que groupe engagé (de gauche), Debza privilégiait les chansons à texte. En mars 1980, commença le Printemps berbère, réclamant l'officialisation de la langue amazighe et la reconnaissance de l'identité et de la langue berbères en Algérie. Mais il n'y avait pas que les «berbéristes» sur scène, car plus ou moins clandestinement, activaient d'autres tendances et mouvements dont les «baâthistes» et les Frères musulmans. El-Hamla, le premier album de Debza, est sorti en 1986. Il sera suivi par L'école en 1988. Chkoune fina el mes'oul ? (c'est qui le responsable ?), le troisième album du groupe, ne sortira qu'en 2010. Entre-temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts de l'oued El-Harrach. Au début des années 1980, tout était encore possible et chacune des différentes tendances culturelles, politiques et politico-religieuses essayait d'avoir une influence décisive sur l'orientation du pays. L'université était le théâtre de ces confrontations, pas toujours d'idées. Nous sommes le 19 mai 1982, à l'occasion de la Journée de l'étudiant, Debza va jouer sa pièce théâtrale Sendouq laâdjeb (la boîte à merveilles) sur une scène installée devant la bibliothèque universitaire à la Fac centrale d'Alger. On ne sait jamais, Merzouk et ses amis arrivent sur les lieux à 5h du matin. Déjà, ils trouvent collées sur les murs tout autour de la scène des affiches «baâthistes» dont le contenu n'inspire pas confiance. Mais le pire est à venir. «Des individus armés de barres de fer et de sabres ont envahi les lieux. C'était le sauve-qui-peut !», se souvient Merzouk Hamiane. La même pièce sera jouée le 24 mai à Tizi-Ouzou. «Après notre retour à Alger, les interpellations ont commencé. Certains éléments du groupe ont passé huit mois à El-Harrach, sous l'accusation d'activités subversives. Mais durant les vacances et le mois de Ramadan 1982, nous avons continué à jouer Sendouq Laâdjeb avec d'autres comédiens, notamment dans les salles de l'UNJA et de l'Onamo à Alger», se souvient encore Merzouk.C'était ce temps-là que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Le prochain album de Debza comportera onze titres dont Ya moul el mel et Hata yetgheyer ennidam. Neuf sont en arabe dialectal. Il y a aussi une chanson sur un texte en kabyle de Mohia et une déclamation de «L'Internationale» avec une traduction en kabyle du texte d'Eugene Pottier écrit en 1871. Debza à ses débuts faisait du théâtre katébien, c'est-à-dire en s'inspirant des œuvres et des principes de Kateb Yacine. Aujourd'hui, le groupe a fait son grand retour sur scène avec Gnawa Diffusion et Amazigh Kateb, le fils du grand dramaturge et écrivain.