[email protected] Elle était bien contente de trouver une place dans ce bus bondé en ces heures de pointe. Souhila s'installe, ôte son bonnet, ajuste son sac sur ses genoux et respire un bon coup. En face d'elle, une jeune femme sanglote en silence. « Mais qu'a-t-elle à pleurer ?» demande-t-elle discrètement à sa voisine. «Elle s'est fait voler 8 000 DA». - ça s'est passé maintenant ? - Je ne crois pas, car elle pleure depuis que le bus a démarré de la place du 1er- Mai. - Et elle n'a rien dit, alors qu'il reste trois arrêts pour arriver à destination ? La discussion s'enflamme. Les avis fusent d'un peu partout, et voilà que le receveur du bus arrive. - Que se passe-t-il ? - On a volé à cette dame 8 000DA. Le receveur, sans perdre une minute, ordonne au chauffeur de bloquer toutes les issues et de se diriger vers le premier commissariat. Les passagers, contrariés, expriment leur mécontentement. - Nous n'allons pas rester ici enfermés. Il commence à faire nuit et on doit rentrer chez nous. Souhila, qui n'a pas l'habitude de prendre les transports en commun, pense dans son for intérieur : «Vraiment, je n'ai pas de chance.» L'engin stationne devant le commissariat. Hommes et femmes commencent à s'impatienter, une jeune fille éclate en sanglots : - Non ce n'est pas possible, on passera un par un, on nous écoutera, mais on rentrera demain chez nous. Mon père est très malade, ma mère m'attend. Tout à coup, comme réveillée d'un mauvais rêve, elle donne son sac à sa voisine, puis enjambe la fenêtre devant les yeux exorbités de ses compatriotes : «Les portes sont fermées, eh bien je sortirai par-là.» Les supplications des passagers ne l'ont en rien dissuadée. Une fois libre, voilà qu'un policier l'attrape en flagrant délit de fuite : - Veuillez me suivre. Pendant ce temps, à l'intérieur, les séquestrés entrent dans une rage folle : «Je crois que cette dame nous a donné une idée, nous allons tous sortir par les fenêtres. On est là, enfermés comme des idiots, alors que le voleur a pris son butin et n'est peut-être même pas monté dans le bus. Il fallait fermer les portes au départ. «Le pickpocket a eu tout le temps de dépenser son argent», renchérit un autre. Un troisième vocifère à l'endroit du receveur : «Tu crois que tu me fais peur avec ‘'ta police'', moi j'ai trois condamnations à mon actif. Personne ne m'effraye à présent.» Souhila, devant cette cacophonie commence, elle aussi, à paniquer. Soudain, le téléphone sonne. C'est son époux au bout du fil : «Où es-tu ?» -Tu ne vas pas me croire, je suis emprisonnée dans un bus. -En fin de compte, j'ai pu sortir tôt, on rentre ensemble. J'arrive. Le mari gare à proximité du commissariat. Les policiers cernent l'engin ; il s'adresse à l'un d'entre eux : «Je viens chercher ma femme.» Souhila est enfin soulagée. Son mari vient la délivrer. La portière s'ouvre. Elle descend. Notre condamné par trois fois profite et la suit. Il est vite attrapé par un policier. Il se fait tout petit, et, au bord des larmes, jure par tous les saints : «Croyez-moi, ce n'est pas moi qui ai ouvert la porte, dites-lui que ce n'est pas moi.» Souhila, comme sortie d'un cauchemar, monte dans la voiture. Elle est prise d'un fou-rire en racontant sa séquestration avec force détail.