[email protected] Le Nouvel An amazigh vient après la Saint-Sylvestre, vers le 12 janvier je crois, mais l'important, c'est de faire la fête, y compris en lui créant des occasions comme celles-là. J'avoue, tardivement, qu'à l'instar de très nombreux Algériens, je n'ai jamais prêté une très grande attention à l'enchaînement des années du calendrier berbère, sans doute trop soumis aux diktats du grégorien. Mais je sens que ça va être différent cette fois-ci, parce que l'un de ces théologiens improvisés, qui poussent chez nous comme des champignons (au fait halal ou haram le champignon ?) nous a sommés de renoncer à Yenayer. Ahmed Hadj-Aïssa Al-Djazaïri (Al-Djazaïri pour faire croire qu'il en détient le brevet exclusif) a donc décrété par fatwa que la célébration de Yenayer était un acte impie. Présenté comme un des maîtres du salafisme, avec fidèles et site internet pour les préserver des tentations, Hadj-Aïssa a affirmé que cette fête était un «retour au paganisme et à l'ignorance (Djahilia)». Hadj-Aïssa, l'extincteur de «rêves berbères», aurait dit notre ami Fellag (1) ! Qu'il me soit donc permis d'utiliser mon billet retour, le 12 janvier, avec une escale probable au 31 décembre, s'il y a une desserte ! Il est certain que l'on a plus de satisfaction et de plaisir à fêter une date librement choisie, qu'à célébrer un évènement décrété obligatoire et immanent. Et puis, c'est quand même un sacré voyage, et sans le poids des ans sur les épaules, que de passer de 1435 à 2964, avec une pré-étape festive en 2014 ! Les misanthropes barbants ne se contentent pas de troubler nos fêtes et d'assombrir nos joies, ils prennent aussi du plaisir à alourdir le poids de nos peines et de nos deuils. Des cheikhs, visiblement en mal d'inspiration, n'ont rien trouvé de mieux, au début de ce mois, que de s'attaquer à l'icône Mandéla. Certains «cheikhs cathodiques» y sont allés de leurs prêches en stigmatisant tous ceux qui ont participé à l'hommage qui a été rendu au leader sud-africain (2). Ils ont ainsi voué aux gémonies les dirigeants musulmans qui se sont associés aux funérailles de Mandéla, «Un chrétien hérétique». Réagissant à ces attaques inconsidérées, un confrère irakien, Atef Al-Azzi, déplore l'amnésie de ces cheikhs qui se réclament pourtant de la Sunna. «Ces pseudo-théologiens ont oublié, note-t-il sur Elaph, que le Prophète avait ordonné une prière pour le repos de l'âme du roi Ashama d'Ethiopie, le pays qui avait accueilli les premiers musulmans fuyant la répression des Koreïchites». Le journaliste revient aussi sur le geste de ce Canadien qui a gagné 40 millions de dollars à la loterie et qui en a fait don pour la lutte contre le cancer. «Qui mérite d'aller au paradis, dit-il, le chrétien qui a donné de l'argent pour soigner les cancéreux, de toutes confessions, ou ces musulmans qui dépensent des fortunes pour semer la mort et la désolation, sans distinctions, en Irak et en Syrie, notamment ?» Atef Al-Azzi rappelle encore que beaucoup d'enfants pakistanais risquent d'être atteints de poliomyélite parce que les talibans ont interdit qu'on les vaccine, sous prétexte que les vaccins sont fabriqués aux Etats-Unis et dans les pays non musulmans. «Ces talibans font semblant d'ignorer, s'insurge-t-il, que tous les médicaments et autres soins, de l'aspirine aux doses de chimiothérapie, sont fabriqués par les «Kouffars» hérétiques. Même les armes qu'ils utilisent pour tuer les gens, les véhicules qui les transportent sont tous fabriqués par les hérétiques. Pourquoi alors ne s'en privent-ils pas ? Pourquoi tous nos théologiens vont-ils dans ces pays d'hérétiques pour se faire soigner ? Est-ce que ce ne sont pas des doctoresses et des infirmières qui les soignent là-bas, ou bien ne veulent-ils rien voir ?» Et notre confrère d'ajouter : «Nos cheikhs se sont évertués à nous inculquer la peur de l'enfer. Comme si ce n'était pas assez, ils y ont ajouté le supplice de la tombe, et nos parents les ont suivis et ils en ont rajouté en nous faisant peur avec la perspective de devenir aveugle, paralytique, ou de perdre des êtres chers, etc. Ce qui a eu pour effet de provoquer chez certains d'entre nous des maladies psychologiques incurables.» Autre exemple d'intolérance, les insultes qui ont suivi et accompagné la procession funéraire du poète Ahmed Fouad Negm, décédé le 3 décembre dernier. De son vivant, le barde, dont la plupart des poèmes faisaient référence au divin, n'avait cure des accusations de mécréance et d'apostasie qui le suivaient pas à pas. Toutefois, les mêmes termes répétés à l'envi sur la toile et après sa mort ont paru indécents et ont suscité indignation et révolte. Seul un théologien a rompu le silence frileux de la nomenclature religieuse, en déplorant ces attaques post-mortem, il s'agit du téléprêcheur yéménite Ali Al-Djaffri. Sur sa page Twitter, ce dernier a exhorté les «gratteurs» de tombes à cesser de «déverser leurs saletés» sur le grand poète et a demandé à Dieu d'égayer le séjour du poète dans l'Au-delà, tout comme le poète a su égayer celle de ses contemporains ici-bas. Citant des vers du poète sur sa propre condition, il a affirmé qu'il avait pleuré en les entendant (3). Quant à Nouara Negm, la fille du poète, elle a affirmé qu'elle pardonnait aux détracteurs de son père, tout en soulignant que les paroles d'Al-Djaffri suffisaient amplement à l'apaiser. Un seul dessine un trait de lumière et l'obscurité se dissipe ! A. H. (1) Fellag – «L'Allumeur de rêves berbères» – roman (Editions J.C Lattes -2007). (2) Pour un peu, ils auraient poussé la hardiesse jusqu'à se féliciter de la décision des dirigeants israéliens de boycotter les cérémonies, organisées en l'honneur du défunt. Ce qui n'est pas improbable, à considérer les perspectives d'alliances ou de mésalliances qui se dessinent dans la région. (3) Le cheikh sunnite, décrié par l'orthodoxie, pour ses inclinations envers le Soufisme, a souvent la larme à l'œil, beaucoup plus par atavisme que par souci de plaire ou d'émouvoir le public, comme le font sans effort certains de ses pairs. http://ahmedhalli.blogspot.com/