Par Ahmed Halli [email protected] Quand ils vous disent : «nous ne sommes pas des terroristes», c'est juste pour justifier le meurtre d'autrui, au nom de principes divins ou de nobles idéaux comme la liberté et la justice. Ils utilisent alors des raccourcis, comme la référence à la Palestine occupée, la matrice de la cause arabe, par laquelle tout s'explique et tout se justifie. Au gré de leurs alliances et de leurs peurs, les timoniers de l'Islam politique peuvent mettre la cause palestinienne de côté, pour s'attaquer à un danger plus immédiat : le chiisme. On remettra à plus tard la libération de Jérusalem, parce qu'il faut s'attaquer, toutes affaires cessantes, à la vraie bombe iranienne : un chiisme guerrier et menaçant. Une menace plus proche et plus dangereuse pour le sunnisme, sous bannière wahhabite, qui domine le monde arabe d'est en ouest. Or, le chiisme séduit de plus en plus de jeunes, dont la conversion est beaucoup plus un «vote sanction» que le résultat d'un cheminement spirituel naturel. Il en est d'ailleurs ainsi des conversions dites massives à des églises chrétiennes, répliques exactes du camp d'en face en matière de bruit et de tapage. Quant au chiisme, il agit tout comme le wahhabisme qui a travaillé méthodiquement les sociétés arabes et maghrébines, pour les façonner à son image. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est alors difficile de ne pas paniquer, comme en témoignent les imprécations du «salafisme» sunnite, qui pousse l'absurdité jusqu'à pointer le doigt vers Ghardaïa. On se gargarise alors, à l'envi, de «Khawaredj», sans oser prononcer les mots étincelles, éventuellement pour pouvoir dire plus tard : «ce n'était pas nous», comme ils le font toujours quand la situation ne tourne pas en leur faveur. On peut imaginer ce qu'ils auraient dit si la révolution du 1er Novembre n'avait pas triomphé du colonialisme en 1962 ! On a pu voir comment les islamistes Frères musulmans se sont emparés du mouvement populaire du 25 janvier en Egypte et ont pris le pouvoir. Et ce, après avoir longtemps soutenu, publiquement puis en sous-main, le président déchu Moubarak. Accuser aujourd'hui les Frères musulmans et leurs influents satellites d'être des sectes opportunistes, alliant le trafic d'influence à la corruption directe ou indirecte, va bien au-delà du procès d'intention. Ceci, en plus du travail de sape qui s'effectue dans les profondeurs de la société, et qui semble laisser indifférents jusqu'aux courants laïques les plus engagés. Effets pervers de l'âge, sans doute, nous contemplons nos nombrils à travers la blancheur immaculée de nos gandouras. Puis nous attendons tranquillement de mourir et d'être mis prestement en terre, pour ne pas imposer à nos enfants, le pénible devoir d'une veillée funèbre à contre-courant. Un retour aux sources, dites-vous, mais sous l'aiguillon wahhabite ! Alors que des écrivains et des penseurs égyptiens se sont engagés résolument dans la lutte contre le wahhabisme. Alors que nos théologiens sont, en majorité, aspirés par le fondamentalisme saoudien, entraînant dans leur sillage nos élites, des cadres religieux égyptiens, des écrivains s'activent. Le discours wahhabite «est loin de l'esprit de la prédication et du souci de convaincre et de répondre à un besoin spirituel, voire de susciter la réflexion. Ce discours participe grandement à pousser certains jeunes à l'apostasie et à l'abandon de la religion. C'est un discours qui appelle à l'inertie et qui est incapable d'accompagner ce siècle et les questions qu'il pose aux jeunes», affirme notamment Saïd Mohamed, un théologien réputé. De son côté, Ahmed Karima, professeur de jurisprudence à l'Université Al-Azhar dénonce la présence de nombreux cadres Frères musulmans et salafistes, infiltrés au ministère des Affaires religieuses. Il se demande comment des cheikhs intégristes comme Mohamed Hassan ou Ahmed Almahlaoui trouvent des espaces et de grandes mosquées pour propager leurs idées. Dans le même temps, dit-il, les cheikhs qui prêchent la modération, telle que l'enseigne Al-Azhar, ne trouvent que les zaouïas ou des pièces d'appartements pour s'exprimer. Plus virulent encore, l'écrivain Khemaïs Al Hablaoui affirme que si le gouvernement actuel ne prend pas le problème à bras-le-corps et n'utilise pas tous ses moyens pour éradiquer ce fléau (le wahhabisme), il est à craindre que nous arrivions à la «saoudisation» des cerveaux égyptiens. L'Etat se réveillera-t-il pour frapper, enfin, d'une main de fer ? interroge-t-il avant d'ajouter : «Je ne suis pas du tout partisan de la théorie du complot, mais dans le cas de l'Arabie saoudite wahhabite, je ne peux répondre que par l'exception.» On peut ajouter aussi que grâce aux pétrodollars, des dizaines de chaînes satellitaires religieuses se sont créées pour maintenir les sociétés musulmanes dans le giron wahhabite. La rude concurrence entre ces chaînes a produit une surenchère en matière de fatwas, jusqu'à l'invraisemblable, au grand dam des ulémas saoudiens eux-mêmes qui n'en demandaient pas temps. À tel point qu'à l'approche de la fin de l'année, propice aux bilans et aux retours sur les évènements écoulés, des revues occidentales consacrent des colonnes aux fatwas les plus loufoques. Selon le site arabe «Point de vue», même la très sérieuse revue américaine Foreign Policy s'adonne à ce jeu, dans le but évident de discréditer les Arabes et les musulmans. Le magazine cite les deux fatwas les plus singulières de l'année 2013 à savoir : l'interdiction de regarder les matchs de Lionel Messi, parce qu'il marque trop de buts et qu'il se signe à chaque fois (c'est lassant à la fin !). En deuxième position vient l'autorisation donnée aux humains de manger de la chair de djinn, au cas où elle serait disponible et accessible. Mais, pour vous Mesdames, et pour vous consoler de toutes les inattentions et malintentions dont vous êtes les objets, voici en guise de cadeau de fin d'année une fatwa que vous allez adorer : «Aucune des quatre écoles du sunnisme n'oblige l'épouse à effectuer des travaux domestiques, que ce soit pour son mari ou pour ses invités.» C'est l'un des docteurs les plus en vue d'Al-Azhar, Attia Sakr, qui le rappelle opportunément, après une année où vous n'avez pas toujours été gâtées. Personnellement, je la considère comme la meilleure fatwa de l'année 2013, et j'espère qu'elle reviendra souvent en 2014, lors des discussions sur le partage des tâches. Avec mes vœux de bonne année, à tous, que vous soyez en cuisine devant vos fourneaux, ou au salon brandissant la télécommande comme un bâton de maréchal.