Par Ahmed Halli [email protected] Y aurait-il encore de l'espoir pour ce pauvre, et doublement pauvre, monde arabe et musulman ? Il a fallu quelques mois seulement pour que les électeurs égyptiens se ravisent et infligent un carton rouge au président qu'ils avaient élu un an auparavant et en toute liberté, semble-t-il. C'est la première fois dans l'histoire moderne qu'un peuple se déjuge avec une telle rapidité et brûle l'élu qu'il avait adoré dans un moment d'égarement, dirait-on. Les Egyptiens ont voté démocratiquement et en toute liberté, mais en chassant la proie pour l'ombre. Ils ont voté pour des imposteurs qui ne cesseront jamais de recourir aux artifices et aux ruses théologiques pour berner des peuples, certes croyants, mais à la religiosité exacerbée. Il faut, en effet, avoir une sacrée foi pour croire qu'il suffit d'invoquer et de proclamer la Charia, pour que règne la loi de Dieu sur terre, avec la justice, l'équité, et même la prospérité. Or, tout ce que savent ces gens-là de la Charia, ou ce qui les intéresse, c'est le statut de la femme ; comment l'habiller, comment l'épouser, jusqu'à combien. Comment s'y prend le fils prodigue, à son retour, pour capter les deux pièces où vivaient les parents et ne laisser que la cuisine (et encore !) à la sœur, qui s'est dévouée pour eux, pendant qu'il parcourait le monde. Et, sur ce plan, les tenants de l'Islam politique n'ont jamais pensé à faire des accommodements (1) avec la Charia, comme ils le font allégrement sur d'autres plans, disons plus horizontaux. L'Egyptien Mohamed Morsi aurait pu se contenter de ces détails qui font croire à ses compatriotes naïfs qu'ils sont plus riches que riches en matière religieuse. L'électeur musulman égyptien est tellement sensible à ce type de flatterie qu'il en arrive à oublier ses concitoyens coptes, lorsqu'il ne pense pas à les bannir du paysage du Nil. Mais Morsi est avant tout un Frère musulman, un membre d'une secte qui rêve de s'approprier ce jardin fabuleux que faisait miroiter Hassan Al-Bana à son frère cadet Djamal (2) pour l'attirer dans sa mouvance. Morsi n'a été ni une moitié ni un quart de président, mais un militant orthodoxe et discipliné, devant soumission et obéissance à son guide suprême, comme le veut la charte du mouvement. En tant que tel, il a entrepris l'œuvre de mettre tous les rouages de l'Etat (Akhouanat-Al-Dawla) sous la coupe des Frères musulmans, à commencer par les médias publics, et à finir par les gouvernorats (3). Jamais en panne d'une poussée d'arrogance, Morsi a surenchéri le 15 juin dernier en lançant un appel au djihad en Syrie et en invectivant la communauté chiite. Le président déchu s'alignait de ce fait sur les résolutions et les fatwas issues de la conférence de la haine qui venait de se clôturer deux jours plus tôt au Caire. Une démonstration que ses alliés américains n'ont pas beaucoup appréciée, semble-t-il, comme en témoignent les réactions timides à l'intervention de l'armée égyptienne en faveur des adversaires de Morsi. Du coup, la tentation était trop forte pour ne pas éluder la référence à un «scénario algérien», une façon détournée pour certains médias et commentateurs de nous rappeler qu'ils nous aiment toujours autant. Sans citer une seule fois l'Algérie, l'éditorialiste et patron du quotidien londonien Al-Quds affirme que les Frères musulmans vont recourir à la lutte armée. Ce qu'ils avaient déjà fait deux jours auparavant et même du temps de Morsi, en attaquant des policiers égyptiens dans le Sinaï. Notre confrère se dit certain aussi que les islamistes vont revenir au pouvoir, et il pense sans doute encore à un scénario à l'algérienne. Ce qui n'est pas insensé s'agissant de notre propre expérience : n'avons-nous pas chassé Abassi Madani pour ramener Karadhaoui et choisi la peste au lieu du choléra ? Mais sur le moment, c'est-à-dire l'interruption du processus électoral, nous n'avons pas eu les mêmes égards que ceux dont bénéficient aujourd'hui les Egyptiens, dans les pays du Moyen-Orient. Un détail que l'éditorialiste du magazine Algérie patriotique n'a pas manqué de relever et de comparer avec l'hostilité ouverte dont ces pays faisaient montre à l'égard de l'Algérie. Pour ma part, je crois bien que pour ces gens-là, la nation arabe s'arrête aux frontières de l'Egypte avec la Libye. Nous avons beau leur crier que nous sommes comme eux, que nous avons multiplié leurs défauts par dix, que nous les aimons, ces Moyen-Orientaux qui manquent cruellement d'affection, par ailleurs, ne veulent pas de la nôtre. Ce n'est pas très politique, ni très islamique, mais c'est certainement parce que l'on s'entête à mélanger Islam et politique, ce qui ne grandit pas l'Islam et ne contribue guère à améliorer le jeu politique. Avant de nous priver sans avertir de ses savoureuses chroniques, l'écrivain Ala Aswani les concluait toujours par cette profession de foi : «La démocratie, c'est la solution.» Il aurait pu ajouter «... après la laïcité». Mais pour une fois que des musulmans remportent la victoire sur des islamistes, pour reprendre la formule d'un commentateur arabe, ne boudons pas notre plaisir, même s'il risque d'être éphémère !