[email protected] Lorsqu'ils ne se sentent pas assez nombreux, donc assez forts, ils commencent par la persuasion : ils seraient infiniment désolés de vous voir persister dans l'erreur et l'errance (ils ne parlent jamais d'impiété ou de mécréance, c'est pour plus tard). Ils aiment tellement le frère en vous qu'ils aimeraient vous avoir (avec eux) parmi les élus du paradis. Pendant qu'ils vous «courtisent» ainsi, vos enfants apprennent à être comme eux sur leurs bancs d'écolier, s'initient à la façon la plus adéquate de porter des œillères(1). Une fois qu'ils pensent vous avoir acquis à leurs vues, ou vous avoir réduits au mutisme du complexé, ils se montrent enfin sous leur vrai visage : arrogants, agressifs, tyranniques. Ceux-ci sont parmi nous, en terre d'Islam, du nouvel Islam importé d'Arabie saoudite, un Islam qui résiste même aux turpitudes morales et politiques de la famille wahhabite. Un «Islam» que décrit si bien l'Egyptien Ala Aswani : «Le régime saoudien a dépensé des milliards de dollars afin de propager la conception wahhabite (fondamentaliste) de l'Islam, une conception qui mène immanquablement à pratiquer une religion de pure façade (ceux qui le contestent devraient regarder l'énorme hiatus entre le discours et la réalité en Arabie saoudite). Sur les chaînes satellitaires saoudiennes, des dizaines d'hommes de religion parlent vingt-quatre heures sur vingt-quatre de questions religieuses, mais jamais du droit des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois d'exception, ni de la torture et des arrestations arbitraires. Leur pensée ne s'attarde jamais aux questions de justice et de liberté. En revanche, ils se vantent d'avoir réussi à mettre le voile à une femme. Comme si Dieu avait révélé l'Islam dans le seul but de couvrir les cheveux des femmes et non d'établir la justice, la liberté et l'égalité.» Ils sont pires encore, nos islamistes d'exportation, ceux qui vivent en paix, dans la maison de la guerre, «Dar-Al-Harb», dans cette Europe chrétienne qui les accueille plutôt bien, leur construit même des mosquées parfois(2). Ceux-là ne se contentent pas de vouloir vivre chez les autres, comme s'ils étaient chez eux, ils veulent aussi imposer leur volonté à leurs pays d'origine. Sachant que dans cette Europe démocratique, respectueuse des droits humains, ils ne risquent pas d'être tués par balles ou sous la torture, ils se «lâchent», comme dirait le ministre français de l'Intérieur. Ragaillardis par le prompt renfort d'une impunité garantie, ils se livrent à toutes les vilenies, joignant parfois l'agression physique à l'injure. Mercredi dernier, ils se sont encore mobilisés pour un nouveau forfait, en faisant de l'Institut du monde arabe à Paris, une annexe de la mosquée Rabéa Al-Adawya du Caire. Quelques dizaines de ces excités se sont mobilisés contre un seul homme : et cet homme n'est pas accusé de coloniser la Palestine ou convaincu de crimes contre l'humanité. Cet homme, c'est tout simplement l'écrivain égyptien, Ala Aswani, invité la semaine dernière par l'Institut du monde arabe à présenter son dernier roman Nadi Essyarat (L'Automobile Club). Quelques minutes à peine après le début de son intervention, des slogans hostiles à l'armée égyptienne et à son chef, Abdelfattah Sissi, ont commencé à fuser des premiers rangs. Des insultes personnelles ont visé le plus grand romancier égyptien et arabe du moment, lui reprochant notamment son soutien à l'intervention de l'armée pour destituer Morsi. Puis, comme répondant à un mot de passe, quelques dizaines de spectateurs ont retiré leurs manteaux ou vêtements apparents pour exhiber des tee-shirts frappés de la main à quatre doigts (symbole de campagne des Frères musulmans), raconte l'écrivain. Non contents de piétiner les beaux fauteuils de l'amphithéâtre et de molester les autres spectateurs, ces nervis se sont rués sur la tribune. Ils ont saccagé tables et micros avant de s'en prendre à la personne de l'écrivain, qui aurait été ignoblement lynché si des fonctionnaires de l'institut n'étaient pas intervenus pour lui faire quitter les lieux. Dans la soirée, les auteurs de cette tentative d'homicide se sont vantés de leur pitoyable équipée en diffusant des vidéos de leur «victoire». Sur les sites islamistes, on a donc célébré l'exploit de trente individus bêtes et méchants s'attaquant à un seul homme, qui plus est, un écrivain de renommée internationale qui fait honneur à son pays et à sa langue. En fait, si Ala Aswani a exprimé son soutien à l'action de l'armée, c'est qu'il a estimé en son âme et conscience que Morsi et les Frères musulmans étaient la pire alternative. Beaucoup ont oublié qu'il a été l'un des acteurs essentiels de la révolution du 25 janvier après avoir été un adversaire résolu de Moubarak. Par la suite, il n'a pas ménagé ses critiques contre l'armée qu'il a accusée notamment de réprimer les libertés et de collusion avec les dirigeants de la confrérie islamiste. C'est surtout cette hostilité aux Frères musulmans, qu'il justifie arguments à l'appui, qui lui vaut un tel acharnement. L'écrivain égyptien Oussama Al-Ghazali Harb explique cette haine par la place qu'occupe Ala Aswani dans la culture égyptienne : «Le problème d'Aswani avec les Frères, réside dans le fait qu'il symbolise tout ce qui leur est opposé et qui révèle leur vraie nature, ainsi que leur stérilité et leur faillite. Aswani est un intellectuel de haute lignée, engagé au service de son pays et proche de ses préoccupations, comme en témoigne sa participation active à la révolution du 25 janvier. Mais les Frères ont toujours été contre la culture et contre les intellectuels. Et si quelqu'un connaît, parmi les Frères musulmans, un seul intellectuel de grande stature, qu'il nous le montre.» Apparemment très marqué par cet incident, Ala Aswani a dû finir par se demander s'il n'était pas plus en sécurité en Egypte qu'en France, et s'il n'était pas préférable de vivre au Caire qu'à Paris. Quant à ses assaillants et aux images d'intolérance et de haine, qu'ils ont montrées, ils auront apporté, une fois de plus, une contribution de taille à la montée de l'islamophobie et du racisme antiarabe. A. H. (1) J'ai été agréablement surpris par la dernière position des «Ulémas» algériens qui ont qualifié de catastrophique la situation de l'école algérienne. Il faut un début à tout. (2) Samedi dernier, on a inauguré en grande pompe la basilique Saint-Augustin à Annaba, en hommage au grand théologien et philosophe qui fait honneur à son pays, l'Algérie. On devrait penser plus souvent à lui rendre la pareille autrement qu'en donnant son nom à des fromages ou à des vins, comme s'il s'agissait d'un paysan auvergnat.