Quoi de plus normal que d'espérer un changement d'autant que l'attente a été longue. 50 ans après l'indépendance, le pays ne mérite-t-il pas d'entrer dans une nouvelle ère après que notre guerre de libération a fait (mode indicatif et non le subjonctif) disperser les ténèbres de la soumission et les morsures de la misère ? Oui, nombreux sont les obstacles et les malheurs que le pays a connus et qu'il peine à surmonter en dépit des luttes menées pour réduire cette attente. L'attente a trop tardé, car les blessures nécessitaient du temps pour se cautériser. Blessures, fruits des déchirures profondes engendrées par les brouillages idéologiques (hélas, non encore dissipés) qui ont miné le mouvement national. Crise du MTLD, crise «berbère», congrès de la Soummam et de Tripoli, prise de pouvoir par la violence à l'indépendance. Tous ces événements, que nous avons encore en tête, se sont traduits par une longue liste d'assassinats de personnalités, comme Abane Ramdane, Khider, Krim Belkacem, Boudiaf sans oublier les milliers d'hommes moins connus ou simplement anonymes. Vinrent ensuite les circonstances secrètes et les manières grossières de nommer des chefs d'Etat et de les destituer : prise de pouvoir par Ben Bella avec l'appui de Boumediène pour ensuite le renverser pour être lui-même victime d'une tentative d'un coup d'Etat par Tahar Zbiri. Ces faits encore vivaces ont marqué l'imaginaire populaire. Ils témoignent du peu de considération pour des hommes qui sont censés incarner le pays : emprisonnement sans jugement (Ben Bella), démission en direct à la télé (Chadli), assassinat à nouveau en direct à la télé (Boudiaf), démission de son propre chef, car l'intendance politique ne suivait plus (Zéroual). Tous ces événements, avec leurs conséquences en termes de morts, d'exilés sont le signe malgré tout de l'existence d'acteurs ici et là désirant un changement face à des forces organisées, redoutables et allergiques au moindre progrès. La manière dont nous cernerons les causes de ces événements et les vérités qui y seront révélées et diffusées dans le tissu social conditionneront l'issue de la confrontation entre les forces citées précédemment. Pour ceux qui ont accès à l'information et aux analyses sérieuses faites par des personnes compétentes et désintéressées, l'issue de cette bataille est encore incertaine. Cependant, l'espoir contenu dans le titre de cet article n'est pas le produit de quelque fantasme. Il suffit de suivre la ligne en pointillé de l'histoire du pays depuis l'indépendance jusqu'à aujourd'hui pour se convaincre que des luttes ont porté leurs fruits, certes modestes, mais qui sont des points d'appui pour se frayer un chemin vers cet espoir tant rêvé. Durant toute cette période, le temps a fait son œuvre. Au lendemain de l'indépendance, le système ne manquait ni d'hommes ni de maîtrise politique et policière pour organiser des «élections» sans accros. Il était le seul capitaine à bord. Aujourd'hui, à l'évidence, il manque d'hommes qui peuvent à la fois faire consensus et être capables de tenir le gouvernail du bateau. La nature du système exige un homme qui ne bouscule point les équilibres au sein du pouvoir. Cet homme «providentiel» est nécessaire au système, à défaut d'avoir pu constituer une catégorie sociale cohérente et donc capable de colmater les fissures qui s'élargissent au fil du temps. Ah ! le temps, ce rebelle qui joue des tours aux arrogants et à ceux qui ignorent les paramètres qui font avancer les sociétés ! Il faut se rendre à l'évidence, l'Algérie n'est pas un long fleuve tranquille, pour reprendre le titre d'un film. Et les images de ce fleuve, qui est revenu dans son lit naturel, sont symbolisées par les printemps sanglants de 81 et d'octobre 88. Ne pas oublier, hélas, la séquence de la terreur intégriste qui a surgi pour assécher le fleuve en question. Octobre 88 a ouvert des brèches dans la carapace du parti unique qui ont donné lieu à la légalisation de partis politiques, l'émergence d'une presse indépendante et d'associations issues d'une société civile balbutiante. Les entraves mises au travers de l'activité des partis et des associations prouvent que le combat n'est pas gagné. La tragédie déclenchée en janvier 91 a aiguisé les contradictions sociales et politiques jusqu'ici contenues de la manière que l'on sait. Elle a posé entre autres la nécessaire clarification de la relation du politique avec le religieux. Là aussi, la bataille va être rude, car «nos» champs de bataille sont propices à toutes sortes de manœuvres. Les coups bas et les esprits retors ne manquent pas dans la mesure où l'Islam, ce «bien commun», peut être l'objet de manipulations par des charlatans. Cependant, la nouvelle Constitution tunisienne* fait souffler un vent sur nos pays que des esprits limités vouaient pour l'éternité aux démons de l'intégrisme. La Tunisie vient de prouver que l'on peut faire reculer les délires de ces derniers et les pousser à discerner le vrai du faux dans la matrice du réel. Sommes-nous, nous Algériens, des personnages de Beckett qui attendons vainement un rendez-vous avec l'espoir ? Ou bien des rêveurs de Cervantès qui veulent dégager l'horizon pour rencontrer l'espoir ? Tout dépend des capacités des forces du changement face à un système qui s'épuise. Ces forces seront-elles en mesure d'entreprendre un travail de fond et de longue haleine pour précipiter la venue, non seulement d'une alternance, mais d'une alternative au système. Pour cet objectif-là, ils doivent avoir une vision dynamique du monde. Ne pas tomber par exemple dans le piège des «merveilles» du libéralisme économique alors que des béances s'ouvrent chaque jour dans les pays champions de cette idéologie. Tirer des leçons d'hier sur la conduite de la guerre d'indépendance et ensuite dans la gestion post-indépendance où le dogmatisme métaphysique du «socialisme spécifique», suivi de l'idéologie portée par le slogan «pour une vie meilleure», a hélas débouché sur la déferlante intégriste. Les réflexions et le travail politique doivent reposer sur le temps historique qui impose une relation-confrontation intelligente avec le libéralisme économique. Son hégémonie actuelle dans le monde ne doit pas être considérée comme indépassable et entraver ainsi la possibilité d'imaginer un autre mode de production et de distribution de richesses. Toutes ces réflexions et analyses doivent labourer le tissu social pour soutenir une nécessaire rupture qui tournerait le dos au règne de la misère et de la hogra. L'Algérie en attente de l'espoir ! Cette attente ressemble-t-elle à celle des personnages de en attendant Godot ? Ou bien sommes-nous plutôt en présence de Don Quichotte ? Ces deux œuvres dans leur «message» renferment deux philosophies. Mes penchants vont plutôt au rêveur de Cervantès qu'aux pessimistes de Beckett. Ces deux monuments de la littérature n'ont pas vécu à la même époque. Le premier (XVI-XVIIes siècles) tournait le dos sans regret au monde brutal et intolérant du moyen-âge, et le second (XXe siècle) traînait en lui les angoisses, l'ennui et la non-communicabilité d'un univers vieillissant qui a raté ses rendez-vous avec un monde initialement plein de promesses. Mais mon choix ne repose pas uniquement sur la fascination de l'œuvre de Cervantès. Il est motivé aussi par le regard que je porte sur quelques événements importants de l'Algérie. Les événements et leurs ressentis par tout un chacun m'ont servi de repères pour louer le rêve de Don Quichotte. Je ne souhaite pas à mon pays de tomber dans l'absurdité du monde de en attendant Godot. Je préfère le combat de Don Quichotte qui a débouché historiquement sur la Renaissance. Sa naïveté dans la recherche d'un autre monde est peut-être une simple ruse de poète pour ne pas subir les foudres des monarques de droit divin de son époque. La puissance et la majesté de la poésie de Cervantès ont permis à son œuvre de résister au temps et de protéger ainsi son message philosophique. Les œuvres de Cervantès et Beckett fournissent des matériaux pour aiguiser nos regards. Car ce sont des œuvres «tissées» avec les fils solides de l'histoire. Pareilles œuvres nous éloignent des élucubrations de la vision policière de l'histoire avec sa litanie des théories du complot, comme elles nous permettent de mettre à leurs places les théories réductrices qui écrivent l'histoire en se focalisant sur un seul paramètre de cette histoire. Dans le domaine littéraire, nous avons une grande référence, celle de Nedjma, l'amour de Kateb Yacine qui nous éclaire sur la lancinante et tenace marche de l'Algérie pour renouer avec la vie et son histoire un moment malmenée par le colonialisme qui n'était au fond qu'un colosse aux pieds d'argile pour reprendre une image biblique. Nous attendons la future Nedjma bis qui racontera aux générations montantes la longue et tenace marche d'une Algérie candidate à l'espoir. Il serait bon que l'on cesse de vouloir cacher le soleil avec un tamis, belle métaphore de notre culture. Le soleil comme le temps précédemment cité sont réfractaires aux pressions. Le savoir évite de prolonger la fatigue du pays. Le peuple, lui, est las qu'on lui jette la poudre des chimères aux yeux. Il veut que le mariage-utopie-espoir d'aujourd'hui soit le réel de demain. A. A. * La Constituante en Tunisie a accouché de la Loi fondamentale qui déclare l'Etat républicain, garantit la liberté de conscience et reconnaît la femme comme citoyenne de plein droit et non pas un membre complémentaire de l'homme. C'est un être à part entière, et elle le prouve tous les jours face à ceux qui la définissent comme uniquement leur complément pour pouvoir la déposséder d'une partie de ses droits, l'héritage par exemple.