Rachid Mimouni était un intellectuel qui assumait son rôle sans concessions. Dans l'un de ses poèmes, Lounis Aït Menguelat comparait ce genre de personnage au laveur des yeux des foules. «Il n'est pas facile, dans ce pays, d'être administrateur. C'est un poste qui exige beaucoup de qualités. Il faut faire montre de grande souplesse d'échine, de beaucoup d'obséquiosité, d'une totale absence d'idées personnelles de manière à garder à ses neurones toute la disponibilité pour accueillir celles du chef. Il faut surtout se garder comme peste de toute initiative. Notre administrateur observe à la lettre ces sacro-saints principes. C'est un homme intelligent. Je prédis qu'il montera haut dans la hiérarchie.» Rachid Mimouni a écrit, il y a 33 ans, un premier paragraphe de son roman le Fleuve détourné, ce qui, peut-être, échappe aux chroniqueurs d'aujourd'hui. Il suffit de suivre l'actualité du pays pour s'en rendre compte. Pour écrire à la fin des années 1970 ce qui se passe en 2014 et encore ce qui se passera dans 20 ans, il faut être irrémédiablement enraciné dans la société, avoir une vue d'une extrême sensibilité pour percer les entrailles de cette société et des systèmes qui la muent. Rachid Mimouni avait cette capacité. De plus, en dépit de la relation passionnelle qui le lie à son pays, l'auteur a su prendre le recul nécessaire pour observer d'une manière perçante et lucide le comportement humain. Rachid Mimouni était un intellectuel qui assumait son rôle sans concessions. Dans l'un de ses poèmes, Lounis Aït Menguelat comparait ce genre de personnage au laveur des yeux des foules. Voilà comment voyait Mimouni le rôle de l'intellectuel. «Je crois à l'intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant prêt à dénoncer les danger qui menacent la société.» Après avoir fait lecture du paragraphe sus-cité, notre question a été adressée à Rachid Boudjedra qui a fait le déplacement à Boumerdès pour participer à la commémoration du 19e anniversaire du décès de celui qu'il voit comme son ami disparu. Est-ce que ces lignes visaient l'élite du pays que certains ont considérée, et persistent sur cette position, comme politiquement démissionnaire ? La question a quelque peu surpris son destinataire. «Je ne pense pas. L'accusation de Mimouni est adressée à l'administration bureaucratique. Nous étions quelques intellectuels, notamment Khedda, Issiakhem, Kateb Yacine et moi-même à avoir tenté de casser des tabous et à dire tout haut ce que nous pensions du régime politique en place et nous avons été réprimés.» Est-ce de la prudence ou de l'attachement à la fameuse position «du soutien critique» ? Pour revenir à l'enfant de Boudouaou (ex-Alma) né un certain hiver 1945, ses écrits et ses positions parlent pour lui. Et pour cause, il n'a pas daigné le confort social que pouvait lui conférer sa position de cadre supérieur de l'Etat ; dès lors, le talent en bandoulière, il est monté au maquis des mots et des expressions pour tirer, à vue, sur tous les avatars politiques, culturels et sociaux qui alourdissent les fardeaux de son peuple. L'écriture de Mimouni est forte. Elle est authentique. De niveau mondial. Elle émane de la profondeur de l'âme de la société algérienne. «Il est l'une des figures de proue de la littérature algérienne de la seconde génération après celle de la guerre de libération», estime Aziz Naâmane, maître-assistant à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, venu également à Boumerdès apporter sa contribution à cette modeste commémoration. Pour ce jeune spécialiste de la littérature algérienne, Mimouni était l'intellectuel et l'écrivain des transgressions. «Il a su transgresser la barrière de la langue. L'écriture de Mimouni a su joindre la langue de l'écrivain et de l'intellectuel et celle de tous les jours. Il a en outre commis une autre transgression ; poétique celle-là. Il a su le faire convenablement. Quand on lit en effet le titre de son roman Le printemps n'en sera que plus beau, titre qu'on peut supposer poétique, alors qu'il concerne le récit d'une malédiction qui personnifie le mal.» Pour Aziz Naâmane, Rachid Mimouni a de plus transgressé les limites posées par l'ordre établi. Effectivement, Mimouni s'est penché sur tous les problèmes que vivait l'Algérie post-indépendance et qu'elle continue à subir à l'orée de XXIe siècle. C'est incontestable, Rachid Mimouni a apporté sa pierre à la reconstruction de l'identité nationale.