Kamal Rebai, ancien enseignant d'histoire Dans votre édition du 19 février dernier, Monsieur Si Ouali Aït Ahmed, dont j'ai souvent apprécié les interventions, a réagi au dernier livre de Maître Ali Yahia Abdennour consacré à deux géants du mouvement national, Benai Ouali et Amar Ould Hamouda, en précisant, ou en contestant, un certain nombre d'évènements dans des termes et analyses qui, de mon humble point de vue, appellent quelques remarques. Je voudrais dire, pour dissiper tout malentendu, que ma présente contribution ne porte pas sur le fond de l'approche de maître Ali Yahia et de Si Ouali Aït Ahmed, qui, d'ailleurs, se rejoignent sur la nécessité de rappeler un puissant courant d'opinion du mouvement national en faveur de l'Algérie algérienne, aux avant-postes de la radicalité politique pour le déclenchement de la lutte armée. Les deux hommes travaillent, avec un certain mérite, à réhabiliter ces idées et ceux qui les ont portées avec la même vigueur et constance. Monsieur Si Ouali Aït Ahmed , ancien officier de l'ALN en Wilaya III, a souvent assumé son rôle de témoin et d'acteur dont les interventions ont éclairé les jeunes en quête de repères voulant échapper aux raccourcis et censures d'une histoire malmenée et hélas instrumentalisée. Ayant moi-même exercé les fonctions d'enseignant, je sais ce que nous devons à ces femmes et ces hommes qui ont refusé de suivre l'air du temps et de s'élever, par respect à leur combat et leurs frères d'armes, contre les falsifications qui ont dénaturé les luttes algériennes et bloqué la construction de la nation. La crise anti-berbère de1949 fait partie de ces périodes qu'il faut revisiter avec minutie et courage car elle pèse encore dramatiquement sur notre destin. Il faut donc rendre grâce à Maître Ali Yahia qui, malgré son âge avancé, a fait l'effort de braquer les projecteurs sur une période cruciale de notre histoire qui a été niée ou, pire, diabolisée en ressuscitant deux immenses personnages, Ouali Benai et Amar Ould Hamouda, que seule la mémoire collective avait, jusque-là, pu préserver de l'oubli ou de l'anathème messaliste. Originaire d'Azzefoun, j'ai entendu les plus vieux militants du PPA-MTLD nous faire des confidences sur Amar Ould Hamouda qui rendait visite aux responsables de notre région. Tous en parlaient avec émotion, respect et une culpabilité que nous ne comprenions pas. Nous étions jeunes et nous étions déstabilisés par ces hommes estimables qui évoquaient leurs responsables, le faisaient dans une ambiguïté qui murmurait une vénération qu'ils s'interdisaient d'assumer publiquement. Le livre de maître Ali yahia, écrit avec ses mots et sa mémoire, ne doit pas être une fin mais un début, une piste qui doit en ouvrir d'autres. La mise au point de Si Ouali vient apporter une explication à la gêne des vieux militants du PPA-PMTLD que j'ai vue à Azeffoun mais qui doit être partagée ailleurs par d'autres. M. Aït Ahmed qui, lui aussi, célèbre le courage de Benai Ouali et d'Amar Ould Hamouda, estime que les deux hommes n'ont pas été exécutés pour leur adhésion à la cause amazighe. Depuis que j'ai quitté mon métier d'enseignant, les circonstances de la vie m'ont permis de prendre connaissance de témoignages et de documents qui attestent sans le moindre doute que ces hommes, comme Mbarek Aït Menguellat, un autre monument du mouvement national, et tant d'autres, sont morts pour avoir revendiqué tôt la construction d'une Algérie algérienne. La lecture du mémorandum d'Idir El Watani, écrit en réaction à celui que devait transmettre Messali à l'ONU et qui niait la dimension amazighe, ne laisse pas de place quant à la profondeur du schisme qui déchirait la direction du parti. Les questions de jalousie ou de promotion ont été des alibis mais pas des causes essentielles dans les éliminations de ces annonceurs de vérité. Ces militants qui ont été aux premières loges de la responsabilité dans le PPA, Amar Ould Hamouda était membre du bureau politique du PPA, avaient eu tort d'avoir raison trop tôt. En 1954, le déclenchement de la lutte armée se fait dans la précipitation, la confusion et l'impatience de cadres excédés par l'immobilisme de Messali, exigeait du point de vue des ces hommes que la nation algérienne soit préfigurée dans ses référents les plus authentiques. La chose ne s'étant pas faite, ils ont,comme le souligne M. Ouali Aït-Ahmed, continué à lutter pour l'indépendance en aparté en attendant que les circonstances permettent un débat qui ne viendra qu'en août 1956 à la Soummam. M. Aït Ahmed a raison de dire que ces hommes n'ont jamais arrêté de se battre pour le soulèvement armé mais il est en décalage par rapport à la réalité historique en disant que la question berbère est étrangère à leur exécution. Sur la condamnation des messalistes et des berbéristes à la Soummam, l'analyse de Si Ouali appelle quelques nuances. Oui, un homme comme Abane ne pouvait pas, au fond de lui-même, confondre des égarés comme les messalistes qui ont retourné les armes contre leurs frères et les berbéristes qui ont été les premiers à s'engager pour la lutte armée. La condamnation symétrique, concédée par Abane, était pure tactique pour neutraliser l'islamo-populisme d'un Ben Bella, encadré par Fathi Dib, maître du renseignement égyptien, qui avait actionné un Mahsas pour perturber les rangs de la Wilaya I et la braquer contre le CCE après la disparition de Ben Boulaïd. Le fait est que même si Abane n'avait pas le souhait de voir ces décisions être suivies d'effet, elles le furent malheureusement. L'histoire est donc plus complexe que ce que l'on pourrait être tenté de dire à la lecture de la scène politique d'aujourd'hui. Et puis il fallait faire passer à la Soummam les principes de la primauté du civil sur le militaire et la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Ces accommodements, si tragiques qu'ils aient été, n'enlèvent en rien à la grandeur d'Abane, architecte d'une révolution, dont Si Ouali Aït Ahmed rappelle à juste titre que les visions ont inspiré des hommes comme Mandela ou Martin Luther King. Par ailleurs, et même si c'est secondaire, M. Si Ouali Aït Ahmed dit que maître Ali Yahia a été ministre de Ben Bella. Je ne me lancerai pas ici dans le jugement. Maître Ali Yahia a été deux fois ministre, mais les deux fois c'était sous Boumediène. Autre élément factuel dénoncé par M. Si Ouali Aït Ahmed : il argue que Abdennour Ali Yahia se serait contredit en parlant de la rencontre tendue qu'il a eue avec Abane. J'ai relu le livre d'Abdennour Ali Yahia attentivement. L'auteur raconte qu'il a été signalé à la direction du parti après son entrevue avec Ouali Benai déjà condamné à mort et que Abane l'a fait convoquer par Ben Khedda. Il n'y a donc pas matière à polémiquer sur ce point. Monsieur Si Ouali porte la douleur des erreurs d'une guerre qui a souvent engendré des drames dans ses propres rangs. Il a le mérite de refuser de démissionner en rapportant, à chaque fois qu'il le peut, les informations sur un combat au cours duquel il a sacrifié sa jeunesse et vu ses meilleurs amis perdre la vie. Comme beaucoup de ses pairs il voit, impuissant, les abus et les injustices qui se commettent au nom d'une lutte qui devait à jamais les éliminer. Ce combat est grand malgré ses erreurs. Il ne faut pas que des hommes comme Benai Ouali, Amar Ould Hamouda, Mbarek Aït Menguellat soient privés des valeurs qui ont animé leur engagement et conduit à leur mort. Monsieur Si Ouali Aït Ahmed qui a vécu la guerre de l'intérieur sait qu'un conflit comme la guerre d'Algérie où des femmes et des hommes sans autre arme que leur volonté ont affronté l'une des plus fortes armées du monde. Restituer dans toute sa difficulté et sa complexité une période qui marque le quotidien des Algériens est une grande responsabilité. Il ne s'agit pas de juger des évènements de la crise de 1949 avec le regard d'aujourd'hui mais d'apprécier l'Histoire avec ses acquis et ses faiblesses. Ce qui n'enlève en rien à la grandeur d'Abane, d'Amar Ould Hamouda ou de Mbarek Aït Menguellat. Que maître Ali Yahia voit sa contribution prolongée par des mémoires d'étudiants ou des historiens qui nous recomposent au mieux et au plus près notre histoire amputée et que, vous, M. Aït Ahmed continuiez à nous alerter sur ce que fut votre combat. A nous d'en faire ce qu'il aurait dû être. K. R. Tizi-Ouzou Me Ali Yahia Abdennour rencontre ses lecteurs, ce samedi Me Ali Yahia Abdennour sera le samedi 1er mars, à la Librairie Chikh de Tizi-Ouzou. Poursuivant sa tournée pour la promotion de son livre intitulé La crise berbériste de 1949, Me Ali Yahia aura à rencontrer les journalistes dans la matinée. Dans l'après-midi, rendez-vous est donné au grand public pour la vente-dédicace de son ouvrage.