Dans son expédition du 5 mars 2014, un quotidien arabophone largement diffusé, donne la parole, sur une page entière, à un fougueux pourfendeur de généraux, un ancien combattant pur et dur, dont le seul propos est d'expliquer comment l'armée algérienne a été infiltrée, envahie et prise en otage par des suppôts des Français. Ce natif de Koléa affirme être l'auteur d'un livre devenu référence pour de nombreux sénateurs américains, curieux, sans doute, de la Révolution algérienne (expliquée par ceux qui ne l'ont pas faite) et du chemin compliqué de l'entrisme emprunté par Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, Larbi Belkheir ou Mohamed Touati pour conquérir des positions prépondérantes dans l'ANP. De Amar Saâdani, l'homme qui a ouvert les enchères et chauffé la peau du bendir ( fort grâce à une tutelle à peine dissimulée), à Bougouba Mustapha, l'apprenti historien de «la promotion Lacoste», la nouvelle mode consiste à venir à la rescousse — et qu'importe la vilenie du procédé — de ceux qui tiennent aujourd'hui le haut du pavé dans telle ou telle institution et qui avancent l'argument du «péché originel» des autres alors qu'eux, de pure filiation révolutionnaire, seraient les garants des bons choix politiques pour l' Algérie. Ce sont les écrits de Bougouba qui auraient ouvert les yeux à Abdelaziz Bouteflika et qui l'auraient conduit à faire le ménage dans l'ANP. Rien que ça ! N'eût été le risque de voir induits en erreur les lecteurs du journal qui a ouvert ses colonnes à l'excité de Koléa, j'aurais regardé ses élucubrations, sans m'indigner outre mesure, et je ne les aurais pas estimé dignes de la moindre réponse. Bougouba Mustapha, l'ancien combattant Bougouba Mustapha, en s'étalant avec une fougueuse assurance sur ses héroïques états de services, prélude au chapitre des jugements de valeurs et des diffamations ciblant d'authentiques maquisards, a oublié, pour son malheur, le mot des sages du village : «Ne pas mentir quand les anciens du quartier sont encore de ce monde.» J'aurais aimé voir l'Organisation nationale des moudjahidine, ou à tout le moins le ministère des Moudjahidine, saisir la justice pour les propos de Bougouba, non pour empêcher un citoyen de porter des jugements, même outranciers, contre la cible de son choix — libre à cette cible de réagir — mais pour confondre un individu qui a l'outrecuidance de se présenter encore comme moudjahid, alors qu'une prestigieuse institution officielle de l'Etat algérien, après l'avoir convaincu de fausses déclarations et découvert qu'il a pris les armes contre son pays, l'a déchu de sa qualité usurpée de membre de l'ALN. Les conclusions accablantes de la Commission nationale, réunie spécialement pour étudier l'incroyable parcours de Bougouba, aide équarisseur d'un boucher de Koléa délateur au service de l'ennemi, abattu par un fidaï, n'ont, à l'évidence, pas suffi à le convaincre qu'il aurait été préférable pour lui de se taire et de se faire oublier. Les pérégrinations de Bougouba qui l'ont conduit d'une caserne française jusqu'à la sellette fixée au carrelage de la salle où siège la Commission nationale de reconnaissance de la qualité de membre de l'ALN, feraient un bon scénario pour dessins animés. Certains parcours de personnes, qui ont appris la révolution par ouïe-dire et qui ont pu s'infiltrer dans les rangs des moudjahidine, une fois le pays libéré, sont remarquables de culot et d'aplomb. Notre homme, à la tête, pour un temps, de la kasma des moudjahidine de la ville de Koléa, a eu largement le temps de «faire son beurre», avant que les protestations de la population et les dénonciations des moudjahidine de sa région ne le conduisent devant l'instance officielle qui, après minutieuse enquête, a statué sur le titre «nobiliaire» dont il a abusé pour se servir. Quand on connaît la véritable personnalité des chefs militaires qui ont refusé de voir leur pays tomber aux mains d'un mouvement fasciste et rétrograde, on ne s'étonne pas du silence méprisant que ces derniers opposent à une attaque, qu'elle soit inspirée, commanditée ou de la seule initiative d'un pourfendeur en mal de célébrité. Ces responsables à la retraite, ou encore en activité, objets depuis longtemps, de toutes parts, de jappements d'une rare intensité, arborent, une fois de plus, un flegme méritoire. La hauteur est la seule attitude qui sied en ces temps où le mensonge quotidien, érigé en vertu, heurte de plein fouet la vérité historique et le simple bon sens. Même les morts sont inscrits, tous les jours, sur des listes d'infamie et voués au bûcher. Par respect pour leur mémoire, par considération pour mes autres compagnons, j'apporte quelques clarifications. Mohamed Lamari est dans sa tombe. Paix à son âme. Il a bien mérité de son pays. Il me suffit de dire — et cela est de notoriété parmi les membres du haut commandement de l'ANP — que personne n'a démis Lamari de ses fonctions de chef d'état-major. Il a démissionné de son propre chef après avoir dit, et répété, qu'il ne pouvait plus travailler avec Abdelaziz Bouteflika. Ses déclarations à la presse, notamment au Soir d'Algérie et à Brahim Nafaa, rédacteur en chef d'El Ahram, étaient annonciatrices de son futur départ. Bougouba s'attaque aussi à Benabdelmoumen. Il s'attaque aujourd'hui à Benabdelmoumen après avoir affirmé, hier, devant les membres de la Commission qui l'ont confondu, qu'il a été, lui Bougouba, instructeur au camp de Mellègue. Tous ceux qui ont été, à un moment ou à un autre, à «Firmette-Moussa», (la ferme Moussa, camp d'instruction commandé par Moussa Houasnia) de 1960 à 1962, et qui ont subi la rude, mais bienveillante férule du capitaine Benabdelmoumen, responsable de l'instruction, n'auraient jamais évoqué ce nom avec irrespect. Mohamed Touati est toujours en activité. Il est conseillé à la présidence, chargé de questions militaires. Il occupe ce poste après avoir refusé la direction de la Gendarmerie nationale, le ministère de l'Intérieur et également le Secrétariat général du MDN. Comment peut-on expliquer que des responsables militaires, parvenus au sommet de la pyramide du commandement, présentés comme «des agents infiltrés » de la France, partent d'eux-mêmes à la retraite ou bien refusent de grands ministères de souveraineté? Revenons maintenant à l'homme que le quotidien arabophone a interviewé, et qu'il a présenté comme un valeureux moudjahid. Un rapport circonstancié de l'organisation des moudjahidine de la wilaya de Tipaza, adressé au mois d'août 1997 au secrétaire général de l'ONM, rapport basé sur une motion de défiance et de suspicion de la kasma des moudjahidine de Koléa, explique pourquoi, et dans quelles circonstances, la confiance a été retirée à Bougouba Mustapha, précédemment responsable du bureau local. Le comportement du personnage et le doute quant à son parcours militant ont fondé la conviction des moudjahidine de la Wilaya 4, dont aucun ne l'a jamais croisé dans quelque maquis que ce soit. Ils ont récusé la qualité de moudjahid à l'intéressé durant la guerre de Libération et ont demandé l'ouverture d'une enquête. La Commission nationale de reconnaissance de la qualité de membre de l'ALN et du FLN, sur la base du rapport du mouhafed de la wilaya de Tipaza, se saisit du cas de Bougouba Mustapha. En conformité avec la loi 91/16 datée du 14 septembre 1991 relatif au moudjahid et au chahid, du décret N°91/295 du 24 août 1991, du décret exécutif N°93/121 du 15 mai 1993, relatif aux articles 20/21 de la loi précitée, du décret exécutif N°94/329 du 22 octobre 1994, la Commission nationale de recours informe Bougouba d'une investigation le concernant et le somme de comparaître avec tous les documents en sa possession, susceptibles de prouver son ancienne appartenance à l'Armée de libération. Une première convocation, le 15 octobre 2000, reste sans suite. Le 7 mai 2001, la Commission lui adresse une deuxième convocation en réitérant sa demande de le voir se présenter avec les documents susceptibles de prouver sa qualité de moudjahid, de 1959 à 1962. Elle l'autorise à produire autant de témoins qu'il le désire. Bougouba Mustapha fils de Taïeb et de Abad Fatima, né le 26 février 1939 à Koléa (Tipaza), une fois devant les membres de la Commission, est invité à parler d'une façon détaillée de sa participation à la guerre de Libération, depuis l'année 1956 à l'année 1962, en précisant le temps passé parmi les moudjahidine, les lieux où il a été, les actions qu'il a accomplies, ainsi que les organisations de l'OCFLN avec lesquelles il a pu être en en contact. Les réponses de l'intéressé ont été les suivantes : « J'ai essayé de contacter l'organisation FLN de la ville de Koléa, pendant un court laps de temps ; ensuite, grâce à l'aide des autorités françaises locales, j'ai pu me rendre en France. Une fois en Métropole, j'ai fait une formation professionnelle dans la ville de Glob (Les Vosges), est de la France. J'ai obtenu, 9 mois plus tard, un certificat d'aptitude professionnelle. Je suis retourné à Koléa en 1958. J'ai essayé de contacter de nouveau l'organisation du FLN-ALN, mais sans succès. Je suis alors allé trouver la gendarmerie afin de me faire recruter dans l'armée française. J'ai été orienté vers le centre où j'ai fait ma formation, dans cette même ville de Glob. Là, j'ai trouvé toutes les facilités qui m'ont permis de m'engager. Après la période de l'instruction, j'ai été promu soldat de première classe, ensuite caporal chargé de l'instruction. «Au mois de décembre 1958, j'ai pris contact avec la Fédération de France du FLN et j'ai déserté. J'ai dû attendre trois mois avant de rejoindre l'ALN. L'attente est motivée par le fait que trois autres soldats déserteurs devaient également rejoindre la ville de Forbach, puis la ville de Bonn. Après un transit par l'Italie, nous sommes parvenus en Tunisie.» Bougouba Mustapha exhibe un document à l'appui de ses dires. Après examen, le document s'avère non valable ni dans la forme ni dans le fond. Il ne comporte aucun détail susceptible d'identifier celui qui l'a émis. Bougouba ajoute : «Après un temps de repos, j'ai été envoyé à la frontière algéro-tunisienne. J'ai été désigné comme instructeur dans la Base de l'Est avec le grade de caporal et cela de la fin de 1961 à 1962. En 1962, j'ai été envoyé à Oujda, au Maroc, pour une formation d'artilleur. Ensuite, j'ai regagné la Tunisie avant de rentrer en Algérie. Je suis resté membre de l'ALN jusqu'en 1964.» L'intéressé ne produit aucun document du MDN prouvant sa démobilisation en 1964. Les membres de la Commission posent diverses questions : Dès l'entame des échanges, il apparut que Bougouba avait mal révisé ses notes. Les pages de son cahier d'écolier comportaient quelques bizarreries. Les membres de la commission étaient partagés entre l'hilarité et la stupéfaction. Voyons plutôt : Le «moudjahid» qui leur faisait face ne sait pas qu'en 1964, l'ALN avait cessé d'exister en tant que telle et qu'elle avait mué en ANP, depuis juillet 1962. Il ne sait pas, lui, élève artilleur, ce qu'est une CLZ. (Compagnie Lourde Zonale). Il ignore que le camp d'Ezzitoun, à la frontière, était occupé par les éléments de la Wilaya II et qu'il n'abritait pas de soutes à munitions. Il ne sait pas qui est «Slimène Klata». Il répond au hasard: «Allah yarhmou, stechhed fi Ouarsenis, en 1960.» (Slimène Klata, le commandant Slimène, de son vrai nom Kaïd Ahmed, connu comme le loup blanc sur les deux frontières pendant les dernières années de la guerre de Libération, est décédé en exil au début de la décennie 1970). Bougouba n'a jamais entendu parler de Zone Nord ou de Zone Sud. Les limites de la base de l'Est vont jusqu'à Tizi Ouzou. Le chef de la Base de l'Est était Houari Boumediène. Le commissariat politique de l'ALN éditait un journal : La Dépêche de Constantine et de l'Est Algérien. La «bleuite» était une marque de cigarette. Le gigantesque colonel Mohamedi Saïd-Nasser était petit et malingre. Celui qui a déclenché la Révolution, en 1954, était Ferhat Abbas. Piqué au vif par les rires des honorables membres de la commission qui l'ont écouté, et comme il n'est jamais trop tard pour bien faire, Bougouba s'est rattrapé, il a fini par terminer avec succès, des années plus tard son apprentissage des mystères de la Révolution. Il est devenu expert en généraux. Voilà ce que disent les témoins cités par Bougouba : Kourti Tahar, infirmier de katiba, Base de l'Est (1957/1962), n'a connu l'intéressé qu'après l'indépendance. Hifad Djelloul, membre de l'ALN, Base de l'Est, (1961-1962), n'a connu Bougouba ni à l'intérieur du pays ni à l'extérieur. Bouzenzen Boutiba, membre de l'ALN (1958-1962), n'a pas connu Bougouba comme djoundi. Ramdani Omar, membre de l'ALN, Base de l'Est (1956-1962), ne l'a rencontré qu'après l'indépendance. Benkhelti Hamid, membre de l'ALN, Base de l'Est, (1961-1962), a séjourné au camp de Mellègue, mais n'a jamais croisé Bougouba, sauf après l'indépendance. Ben Abdallah Mohamed, moussebel, ancien détenu, Wilaya IV (1957-1962), a connu Bougouba à Koléa comme aide d'un boucher, délateur, exécuté par le fida. Ce témoin ajoute que Bougouba a disparu de la ville après l'exécution de son patron, en 1958. Il ne l'a revu qu'en avril 2001, au moment où il était l'objet d'une enquête. Sur la base des déclarations des témoins et après étude des documents contenus dans le dossier de Bougouba Mustapha et après l'avoir entendu, la commission conclut : «Vu que l‘intéressé a porté volontairement les armes au sein de l'armée française, vu qu'il prétend avoir déserté en 1959 sans apporter de preuves ou de justifications, autre qu'un papier présenté comme émanant de la Fédération de France, mais ne ressemblant à rien de connu, vu que 7 témoins, officiers ou djounoud de la Base de l'Est (de 1956 à 1962), sauf 1 qui était lui en Wilaya 4, lui récusent la qualité de moudjahid, vu que quatre autres témoins, cités encore par lui, n'apportent aucun élément susceptible d'éclairer les membres de la Commission, la Commission décide l'annulation de la qualité de membre de l'ALN attribuée indûment à Bougouba Mustapha. Cette décision demeure valable jusqu'à ce que l'intéressé produise des preuves de son appartenance à l'ALN.» La décision de retrait de la qualité de membre de l'ALN devient effective le 23 octobre 2001. Elle porte le N° 43/21/M/01. (Voir fac-similé). Faut-il ajouter que l'impudent personnage, quelques années plus tard, a osé porter plainte devant le Conseil d'Etat qui l'a débouté par décision N°012908 du 1er juin 2004. Bougouba Mustapha, garçon boucher, affabulateur confirmé, faux moudjahid, traître à sa patrie, devient en 2014, un personnage considérable qui fait la «Une» d'un journal édité en Algérie. L'extrait des services du ministère français de la Défense, N°2043401160/DEF/SGA/DSN/BCAAM/DAI/BAI4/SE, Réf : 2003122813-kf, signé par le lieutenant-colonel Christian BRU (voir fac-similé) donne, avec précision, les dates exactes de la présence sous le drapeau français de Bougouba Mustapha, né le 26 février 1939, matricule N°5991026306. Ces dates couvrent la période de la soi-disant présence de Bougouba dans l'ALN. Curieusement, les membres de la Commission qui a statué sur le cas de Bougouba Mustapha n'ont pas voulu tenir compte du don d'ubiquité de l'intéressé. Il paraît qu'il a fait la promesse solennelle, au journal qui lui a ouvert ses colonnes, qu'il en donnera prochainement la preuve irréfutable. Personne ne s'en étonnera. L'Algérie de 2014 a produit bien d'autres merveilles. C. M. *Moudjahid. Ancien Secrétaire général de l'état-major. Membre fondateur de l'Association nationale des retraités de l'ANP.