Par Boubakeur Hamidechi [email protected] D'un commun accord, les présidents des deux chambres du parlement ont décidé de faire la leçon à l'opinion en fustigeant, de concert et dans un style inédit, tous les courants d'idées qui évoquent la crise du pouvoir et les conséquences désastreuses découlant de l'interminable invalidité du chef de l'Etat. Alors que le nouveau promu au perchoir de l'APN, cet octogénaire de Saïd Bouhadja, se limitait à la lecture monotone de son laïus, Bensalah, le zélé apparatchik, y mettait de la hargne verbale dans le sien. Allant jusqu'à qualifier «d'ignorants» ceux qui suggèrent certaines solutions susceptibles de régler légalement la question de la légitimité, il les accuse de surcroît de fouler aux pieds l'éthique en laissant entendre qu'ils ne seraient que des «aventuriers». Autant d'énormes écarts de langage révélateurs du lamentable statut auquel en est réduit le parlement ainsi que la toute relative autorité qui est la sienne en tant que pouvoir légiférant. D'ailleurs le parcours politique du sénateur Bensalah illustre parfaitement le caractère clanique d'un régime fondé sur la cooptation du personnel utile qu'il sélectionne à partir de critères tout à fait contestables. Alors qu'il vient de boucler ses 20 années de perchoir (un mandat à l'APN et le reste au Sénat) et qu'au nom de cette «expérience» exceptionnelle, il vient de s'autoriser un sermon adressé aux sceptiques en leur opposant la «crédibilité démocratique des institutions actuelles», n'est-il pas loisible de lui demander s'il avait le souvenir d'un gouvernement retoqué par un vote de défiance de cette auguste institution ? C'est dire que ce personnage ne sera plus aux manettes quand l'Algérie verra son gouvernement censuré par le pouvoir législatif pour la première fois. A l'orée donc de cette cinquième législature, pour laquelle seuls quelques aménagements organiques sont entrés en vigueur, les fondamentaux de son fonctionnement demeureront les mêmes que ceux ayant prévalu dans la conduite des précédentes. Devenus un «invariant» dans les stratégies des pouvoirs, ces deux chambres d'enregistrement n'ont jamais été perçues comme un réel antidote aux options de l'exécutif en lui opposant des refus. A moins de remonter loin dans l'histoire contemporaine et se souvenir que Ferhat Abbas demeure l'unique président du parlement algérien à cultiver une solide distance par rapport aux démarches de l'exécutif. Institution-clé de tout Etat de droit, elle sera évidemment dissoute en 1965 à la suite du coup d'Etat avant d'être ressuscitée en 1976 dans le «format» qui, à ce jour, est le même. Autant dire, que pour le palais, il importe peu d'examiner à la loupe les profils politiques et intellectuels des impétrants qui doivent occuper les sièges importants dans l'hémicycle. Il suffit qu'ils présentent suffisamment de garanties quant à leur aptitude à servir les injonctions de l'exécutif. Des préalables que semble remplir à la perfection les Bensalah et Bouhadja, tout à fait à l'aise dans une servitude qui ne leur pose aucun problème de conscience. D'ailleurs à quelques exceptions près — celle de Karim Younès par exemple — leurs prédécesseurs se sont souvent illustrés par ce genre de «discipline». C'est-à-dire que dans le prétendu régime des assemblées, même la plus importante d'entre elles fut de toutes les époques l'objet de verrouillages. Et si à son arrivée Bouteflika ne fit que reconduire les procédés des présidents-prétoriens dont le césarisme était affiché clairement, il se révélera par la suite comme le manipulateur le plus subtil dans la neutralisation du pouvoir législatif. Ne différant guère de Ben Bella qui en septembre 1963 remplaça par la violence Ferhat Abbas en nommant le fidèle Hadj Ben Alla et ne dérogeant surtout pas à la méthode de Boumediène qui se taillera un Parlement sur mesure après avoir gouverné durant 12 ans sans le recours à des assemblées élues, l'actuel président profitera de l'aubaine d'un faux Parlement hérité de l'ère Zeroual pour se doter de la réputation surfaite de démocrate. Dès 2002, année de la première législature sous sa présidence, la classe politique comprendra vite que Bouteflika ne sera jamais le chef de l'Etat qui émancipera les institutions. Réfractaire à la sanction réelle des urnes, il fera en sorte qu'à chaque renouvellement, il remodèle le paysage du parlement en fonction de ses propres objectifs. Depuis le trucage du scrutin de 2002, les velléités de la plupart des partis politiques se firent effectivement rares et suscitèrent même une sorte de reddition morale qu'ils essayèrent de maquiller en conformisme politique et les poussera progressivement vers la compromission honteuse. S'accommodant du statut d'appendice faisant semblant de «fabriquer» des lois, l'APN a fini par intérioriser son propre complexe en s'installant dans une logique d'approbation sur «commande» de l'action de l'exécutif. A travers cet éclairage rétrospectif, il ressort clairement que le despotisme n'a jamais été aboli et qu'il n'a fait que changer de procédés pour continuer à brider les libertés publiques. Mais au-delà de cette constance dont tous les présidents ont fait preuve, il faut tout de même relativiser le fait que nous ayons eu tout le temps des parlements de godillots. Car cette médiocrité est aussi la conséquence de la désertification du champ politique qui avait ouvert la voie à l'affairisme d'une certaine faune d'opportunistes instrumentalisés justement par les réseaux parallèles du pouvoir. C'est donc la décomposition morale de la vocation politique en général, et celle du parlementarisme en particulier, qui fait désormais problème. En effet, frappé du sceau de l'imposture auprès de l'opinion, elle est cycliquement confirmée par les taux ahurissants de l'abstention, d'un scrutin à l'autre, au point où l'on se demande pourquoi le parlement ne se penche pas sur son propre destin à travers des séminaires de réflexion alors que les légitimités des mandats, aussi bien des sénateurs que des députés, sont tout à fait contestables. Autrement dit, il eut été plus avisé de la part des ténors du perchoir de «piocher» dans ce sens-là au lieu de consacrer leurs allocutions inaugurales à des procès d'intention afin de faire diversion. Il est vrai qu'ils préfèrent soupçonner de «trahison l'électeur qui boycotte les votes tout en s'interrogeant à haute voix ou à travers des réseaux sociaux au sujet de la troublante vacance au sommet de l'Etat. En peu de mots, ils ont décidé de «dissoudre» symboliquement l'existence d'une opinion afin de sauver un régime moribond.