Par Boubakeur Hamidechi [email protected] «Se moquer de la République.» Alors que jusque-là cette formule ne suggère que le mépris pour le peu de sérieux dans l'accomplissement des tâches courantes la voici qui, cette fois, s'invite sous la plume pour qualifier avec exactitude les élucubrations politiques du pouvoir algérien. Celui qui, effectivement, s'apprête à tourner en dérision la République en lui changeant d'oripeaux constitutionnels selon la même méthode dont il fit par deux fois usage en 2004 et 2008. Alors que le fameux passage en force de 2008, s'expliquait essentiellement par la volonté de faire sauter le verrou l'empêchant de demeurer au pouvoir, cela n'avait-il pas permis de découvrir le côté sombre de Bouteflika ? Or le nouveau toilettage de la Constitution doit à son tour répondre aux nouveaux impératifs du régime, ceux notamment de perpétuer sa mainmise sur les rouages de l'Etat pour les trois prochaines années. Même si la ficelle est grossière et qu'elle n'a pas échappé à l'ensemble des opposants, ce qui fera problème après l'entrée en vigueur de cet ersatz de loi fondamentale, tient en quelques mots d'un terrible verdict. Celui qui décrétera l'extinction du pluralisme dans toutes ses formes d'expression. C'est dire que le péril dont il sera question dès les prochains mois concernera avant tout la mise au pas des réseaux de la contestation même ceux qui possèdent le statut de parti politique légal. Car si, jusque-là, le régime ne «pouvait» actionner que des procédés para-légaux à l'encontre des vigoureuses critiques, dorénavant il sera en mesure de légiférer différemment puis de passer des «procédés» douteux aux procédures pénales. C'est donc dans un théâtre d'ombres, aménagé au Palais des Nations, qu'interviendra ce dimanche l'inutile vote. C'est-à-dire un acte d'allégeance quasi-collectif de la part d'un Parlement à la respectabilité perdue depuis longtemps. Car de ce côté-ci des votants, la cérémonie à venir s'annonce dans une sorte d'amoralité tranquille. Celle que l'on affiche sans vergogne afin de jouer à la retenue, tant nécessaire aux apparences du mandataire. En effet, si l'opinion avait depuis longtemps pris l'habitude de douter de la crédibilité de cette auguste institution qu'est le Parlement, il y avait tout de même chez elle de l'intérêt à décortiquer les débats que relatait la presse. Une maigre consolation pour les citoyens vite échaudés le 12 novembre 2008 quand ils assistèrent à la honteuse capitulation politique face au diktat de l'exécutif. Car ces deux chambres, où l'on prétend légiférer «au nom du peuple», ne sont en vérité que des arrière-cours où campent des prétoriens politiques chargés de tenir les rôles de scribes. Dans ces hémicycles où bon nombre de mandataires ont clairement monnayé leur maroquin, peut-on encore s'attendre à quelques sursauts de conscience ? En effet, que reste-t-il d'un idéal quand les creusets symboliques des libertés publiques se sont transformés en chambres à «claques» ? C'est que, à vouloir voler au secours d'une victoire annoncée par avance n'a jamais permis moralement de grandir dans sa propre estime. Ces députés et sénateurs qui prétendent n'être comptables que devant les électeurs, ont-ils jamais fourni la preuve qu'ils pouvaient déroger à la discipline du parti lorsque l'enjeu d'un vote concerne le destin national ? A leur sujet, il est par contre tout à fait vérifié qu'on les a confinés dans une périlleuse vassalisation au moment où tout s'organise pour leur soutirer leurs votes. C'est tout de même rappeler que la lourde question de l'amendement d'une Constitution diffère totalement de la problématique technique d'une loi de finances. Autrement dit, l'on peut tout à fait appartenir au FLN ou au RND et soutenir les options du gouvernement relatives à l'intendance tout en étant intellectuellement en mesure de marquer sa différence, voire son opposition à des projets qui engagent le destin du pays. Et c'est dans ce cas de figure que s'étalonne la probité des acteurs du pouvoir législatif. Il en est ainsi de l'amendement à répétition de la Constitution. De par le caractère symptomatique de la dérive de l'exécutif, ne constitue-t-il pas le cas limite à partir duquel un parlementaire scrupuleux s'émancipe des directives partisanes par exigence morale ? Hélas notre parlementarisme ignore encore ce glorieux «quant à soi» en politique lui qui ne diffère guère des aréopages du «chouyoukh» orientaux. D'ailleurs, la plupart d'entre les nôtres préfèrent demeurer justement droits dans leurs babouches ne scrutant, en définitive, que les signaux annonciateurs de leur reconduction aux prochaines «élections». Il est vrai que le président de la République a de tout temps apprécié ces deux chambres pour ce qu'elles doivent être selon sa conception du pouvoir. Par un travail de subornation étalé sur quatre législatures ne les a-t-il pas réduites à des chambres supplétives fonctionnant à la botte de l'exécutif. En somme une « population » de godillots. Lui qui a donc refusé en toutes circonstances de rendre des comptes, exige par ailleurs de l'obéissance en tout lieu où s'exerce le formalisme de son pouvoir. A commencer justement par l'injonction au profit d'un vote unanime destiné à illustrer l'adoption d'une fausse copie de la loi fondamentale qui servira étonnamment de feuille de vigne à un Etat algérien alors en pleine perdition. Signe des temps crépusculaires, c'est sous le joug d'un régime notoirement incompétent que la société observe mieux les princes qui la gouvernent et du coup s'initie aux vertus de la démystification. En effet, que reste-t-il de l'homme providentiel intronisé par l'armée en 1999 ? Rien si ce n'est l'image floue d'un dirigeant quelconque accroché à son fauteuil de chef et faisant joujou de la Constitution du pays qu'il amende à son gré sans se soucier des conséquences ruineuses que de telles pratiques finissent par coûter à l'Etat.