1- Le contexte En politique, le silence ou le recul stratégique qui recommande de ne pas faire état de son opinion à un moment donné obéissent en fait à un besoin de ressourcement, de recueillement et d'analyse prospective. Cette attitude n'est aucunement synonyme de reniement, mais procède plutôt d'une nécessité absolue d'approfondir la réflexion, d'explorer de nouvelles voies de solution, de redéfinir ses plans de lutte et de reconstruire les rapports de force. Il s'agit, à l'échelle individuelle, de marquer une halte pour voir plus clair, d'accentuer son discernement de manière à pouvoir distinguer le bon grain de l'ivraie, de prendre de nouvelles résolutions en conséquence et mûrir son sens des responsabilités et d'engagement. A l'échelle de la société, il s'agit de lever les équivoques, de pousser à une décantation claire et définitive dans un contexte plombé par les incertitudes et les manipulations, et enfin donner de la substance à la culture politique populaire pour arriver à transformer la praxis en révolution démocratique et pacifique. Au moment où le système politique, à travers son régime prétorien, et la caste du caractériel et versatile Bouteflika persistent dans une logique d'affront nihiliste et humiliante, en pensant soumettre à jamais le glorieux peuple algérien par l'argent du Trésor public, des segments entiers de la société civile algérienne, accompagnés par endroit par des composantes de la classe politique, font bloc en vue d'amorcer un véritable changement. A l'heure où les islamo-conservateurs redoublent de férocité pour asseoir leur totale domination à la faveur de la mise en place de la chimérique république d'Ouma-El-Arabia islamia «bouteflikienne», les forces vives de la nation commencent à réagir à travers des déclarations en faveur d'une transition démocratique et sociale en rupture avec le système clanique, clientéliste, mafieux et corrompu. La situation couve tous les dangers. Le péril est grand et les risques de déflagration énormes tant le fossé qui sépare les tenants du statu quo et les forces du changement se trouve démesurément élargi. La réussite du consensus auquel appellent de leurs vœux beaucoup de militants politiques est tributaire de l'implication de toutes les forces du changement. La construction de ce consensus exige en fait la mise en place d'un pacte national prenant en compte toutes les sensibilités et diversités au sein de la société algérienne et synthétisant toutes les alternatives citoyennes en présence. Ce faisant, il est utile d'abord de s'entendre sur la problématique, la démarche, la méthode et la finalité afin d'éviter de retomber encore dans les travers du passé. 2- De la nature du régime depuis le coup d'Etat de Tripoli La discorde ou la crise de l'été 1962 a marqué d'emblée la nature conflictuelle du régime consacrant ainsi la lutte des clans entre les organes civils incarnés par le GPRA et le clan des militaires d'Oujda avec l'armée des frontières. Un régime politique qui a confisqué l'histoire et la mémoire collective, les libertés individuelles et collectives et relégué le citoyen au rang de sujet, ramenant du coup le peuple algérien au statut d'indigénat qui était le sien à l'époque coloniale. Plus de 50 ans après une indépendance jalonnée par de nombreux soulèvements populaires en quête de démocratie et de justice sociale, l'Algérie demeure encore sous l'emprise de cette même logique putschiste et d'alternance clanique au pouvoir qui a enfanté une dictature sous un accoutrement démocratique, accoutrement en somme nécessaire pour la pérennité du système en place. Un système qui, de par sa naissance et sa nature, ne peut qu'être imperméable à toute idée de mutation démocratique. 3- Des ingérences au plan international Au plan international, les risques sont palpables. Le système a souvent brandi la menace de l'intervention ou de l'ingérence étrangère. Alors que le régime bouteflikien a livré l'Algérie aux puissances étrangères, le pays est devenu une proie entre les mains des Qataris (pays de la traversée du désert de Bouteflika) sans parler des puissances américaines et européennes qui ne voient notre pays que sous le prisme de leurs intérêts stratégiques immédiats, surtout en matière de ressources énergétiques. Si l'on n'agit pas dans l'urgence face à ce discours démagogique et populiste, élaboré dans une langue de bois, brandissant la menace d'ingérence étrangère, déphasé, truffé de contradictions, occultant les fondements profonds de la crise et proposant des solutions illusoires à une problématique de fond porteuse de dérives régressives et dangereuses, le pays basculera irréversiblement sous la tutelle de ces puissances. 4- Bouteflika atteint par le syndrome d'Hubris : la maladie du pouvoir Le régime boutflikien est affecté par le syndrome d'Hubris. La maladie du pouvoir qui se manifeste par plusieurs symptômes. Bouteflika est en déphasage vis-à-vis des réalités du pays (marasme qui ronge toute la société, la jeunesse livrée à elle-même), hégémonie sur la presse (blocage et introduction de taupes dans les médias indépendants tout en favorisant les médias acquis au clan présidentiel), refus de la différence (minage de toutes les organisations qui n'entrent pas dans son giron), abus de pouvoir (viol permanent de la Constitution, scandales impliquant ses proches), arrogance et mépris à l'égard du peuple (participation à la conférence sur le Sida en Afrique du Sud au moment où le sang de nos martyrs coulait sous les balles assassines des gendarmes aux ordres du pyromane Zerhouni), culte de la personnalité (l'homme providentiel), manipulation (supposé conflit entre l'institution militaire et les éléments de la Présidence), mensonge et non-respect des engagements (mépris manifeste à l'égard du rapport d'enquête du professeur Issad, blocage ou non-application des acquis du dialogue gouvernement-arouch, notamment deux décrets portant sur la création d'un haut-conseil et d'une académie pour la langue amazighe), intrigue autour du statut marital de Bouteflika, son état de santé et ses relations avec les émirs qataris. Ce syndrome a tendance à s'aggraver dans un contexte conflictuel ou en situation de guerre de clans et d'intérêts : la Kabylie en 2001, T'kout en 2005, Imuchagh en 2012 et maintenant dans la région de Ghardaïa. Pendant 15 ans de gabegie, le régime bouteflikien n'a pas cessé de manœuvrer. Le pays est à genoux, ruiné, pillé, livré aux groupes d'intérêts et aux lobbys nationaux et internationaux. Le bilan est catastrophique à tous les niveaux. Les dégâts sont énormes. Par cette démarche, le système maffieux, au bord de la faillite, cherche à gagner du temps. En effet, depuis 1999, il n'a pas cessé de berner l'opinion publique par les chantiers des réformes de la justice, de l'éducation et de l'Etat. D'ailleurs, aujourd'hui, à force de déplacer le débat sur l'état de santé de Bouteflika, les tenants du système escamotent la maladie qui gangrène l'Algérie. Bouteflika, en vieux roublard qu'il est, a usé de son machiavélisme au sein même de son clan lorsque. Par sa fameuse déclaration «tab djenena», il a jeté l'hameçon afin de débusquer les éventuels prétendants à l'intérieur de son cercle, en les poussant à se dévoiler, croyant à tort que l'heure est arrivée pour une nouvelle succession clanique. 5- La non-élection du 17 avril 2014 La non-élection du 17 avril 2014 ne déroge pas à la règle ; le régime corrompu, corrupteur et fraudeur continue encore de réciter le chant rituel – auquel il nous a toujours habitués en pareilles circonstances — de la transparence des élections (propres et honnêtes). La spécificité de cette déchéance par rapport aux précédentes, c'est que le régime, malgré tous les moyens humains et matériels mobilisés et l'extraordinaire manne financière dont il dispose, n'arrive pas à entraîner la grande masse de ses troupes. Il est à ce titre évident que la campagne menée par personnes interposées est un échec total et l'indifférence par rapport à cette pseudo-élection est ressentie en particulier dans les régions des Aurès et de la Kabylie. Les scénarios justifiant le très faible taux de participation à la mascarade électorale du 17 avril 2014 et la fraude qui la domine avant, pendant et après sont perceptibles comme à l'accoutumée. Un énième indu mandat de la honte garnira davantage le palmarès des méfaits du régime bouteflikien avant que le successeur ne prenne la relève conformément au deal politique passé entre les différentes franges des décideurs du système moribond. Non ! Bouteflika, en disant qu'il allait rentrer chez lui pour continuer sa traversée du désert, n'a jamais eu l'intention de quitter le pouvoir. Chantage ou diversion ? Il a décliné sa stratégie en passant du statut de 1⁄4 de président en 1999 à l'instauration du régime bouteflékien, et en mettant un terme à l'alternance au pouvoir instaurée par son prédécesseur pour se décider à rester président à vie et mourir sur le trône, à la bourguibienne (reste à savoir qui va jouer le rôle de Ben Ali !), avec comme clé de voûte la pérennisation de son régime par sa smala garante de la cohésion entre sa fratrie et le reste de la troupe de percussionnistes de tous bords. Tandis que cette non-élection rassemble, en rangs serrés, toute la faune de partisans et soutiens au régime bouteflikien d'un côté, de l'autre, les opposants et contestataires du système moribond se sont éparpillés entre boycott, participation et rejet. Au-delà du 18 avril, la décantation totale sera faite. L'espoir est permis pour renverser la tendance en faveur du rassemblement de toutes les forces nécessaires à l'établissement d'un rapport de force capable d'imposer l'alternative à la hauteur des attentes des masses populaires. Une opportunité à saisir. Le cap à franchir est d'établir le consensus avec l'ensemble des acteurs et organisations de la société et de la sphère politique autour d'un socle édificateur et de principes énonciateurs des bases de la nouvelle République civile, moderne, démocratique et sociale. Le rejet du système clientéliste, clanique, mafieux, assassin, corrompu et corrupteur fait l'unanimité chez les citoyennes et citoyens algériens, et la prise de conscience d'un véritable changement pour l'instauration d'une République démocratique et sociale fait consensus. 6- L'alternative citoyenne : perspectives et cadre organisationnel de lutte Les Algériens aujourd'hui aspirent à un changement radical, au recouvrement de leur souveraineté confisquée par les tenants du système totalitaire, à vivre dignement et librement dans un Etat de droit qui consacre les libertés individuelles et collectives à travers l'instauration d'une nouvelle République civile, moderne, démocratique et sociale, qui consacrera les valeurs de la citoyenneté, en forgeant un cadre de lutte pour aller dans le sens de leur libération et pour jouir de la citoyenneté pleine et entière. La réussite de ce cadre organisationnel dépend de l'engagement de chacun, des capacités à dépasser les contradictions et les facteurs ayant entraîné les divisions. L'appel est lancé aux citoyennes et citoyens pour construire cette alternative du renouveau porteuse en instaurant une nouvelle République démocratique et sociale. Cette ultime alternative aura à consacrer et ancrer les valeurs de la citoyenneté vectrice d'une dynamique sociale et démocratique garante de l'équité à la faveur de la justice sociale. L'implication des citoyennes et citoyens dans le processus de prise de décisions permettra de l'extirper des féodalités introduites dans les mœurs politiques, économiques, sociales, culturelles et sociétales. Ce qui implique la mise en place d'un plan de redressement réfléchi et appliqué collectivement dans la perspective de la réactivation des valeurs intrinsèques universelles de la citoyenneté. Une concertation qui aboutira à un contrat social autour d'une charte populaire pour l'équité et la citoyenneté. 7- Les fondamentaux de la rupture pour la citoyenneté Le traitement de la crise multidimensionnelle politique, sociale, économique, culturelle et linguistique ne peut s'accommoder de l'escamotage des causes à son origine, notamment l'impunité, la corruption, le népotisme, le gaspillage, les passe-droits, l'exclusion sociale, la paupérisation, la clochardisation, le déni identitaire, la hogra, l'absence de démocratie et de libertés, l'absence d'alternance au pouvoir. Aussi la rupture avec les pratiques du passé exige de nous d'être clairvoyants et de tirer les leçons des expériences vécues récemment en Tunisie, en Lybie et en Egypte. C'est dans ce sens qu'il est indispensable de déterminer les fondamentaux qui constituent des postulats à l'alternative avant la mise en place de la période de transition. Il s'agit notamment du respect de toutes les libertés démocratiques énoncées par la Déclaration universelle des droits de l'homme, en évacuant tout amalgame entre le religieux et le politique (la religion qui relève du domaine privé et la politique qui appartient au domaine public) ; la primauté du civil sur le militaire (limiter le rôle de l'armée aux missions sécuritaires) ; au plan politique, garantir l'alternance démocratique au pouvoir en édifiant un Etat de droit assurant tous les droits politiques, socio-économiques et culturels ; la séparation effective des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ; l'obligation de rendre des comptes ; la démocratie participative et la réorganisation territoriale en instituant les instances régionales adéquates ; la co-officialité de la langue amazighe et de la langue arabe ; et l'égalité homme-femme. 8- Un cadre de lutte pacifique L'alternative du changement est évoquée par deux catégories. En amont, par ceux qui prônent la position du changement à l'intérieur du système qui est portée par ceux qui ont exercé avant leur mise en retraite et/ou écartés des responsabilités politiques civiles et militaires. Cette catégorie veut impliquer l'institution militaire dans la phase de transition. En aval, celle portée par plusieurs organisations et prônée par des acteurs d'horizons divers à la recherche d'un changement radical autour de l'instauration d'une nouvelle République. Celle-ci suscite singulièrement l'adhésion de larges franges de la jeunesse désabusée : les chômeurs, les étudiants et d'autres qui s'impliquent dans la société civile. Les jeunes générations avant-gardistes, éprises de liberté, par leur dynamisme, leur compétence, leur esprit de justice égalitaire, moderne captant et adoptant les luttes menées par des mouvements sociaux dans le monde constituent le gage quant à la matérialisation et la pérennisation de cette alternative. La combinaison ou la mise en synergie et en réseau de ces deux niveaux permettra des gains en matière de rassemblement des forces pour la constitution du rapport de force nécessaire à la mobilisation à court terme, en mettant en place un cadre de lutte nouveau. Les cadres existants sont dépassés, ils ne peuvent plus répondre à l'alternative et aux aspirations des populations : le défi à relever est à ce niveau, les sacrifices énormes devraient nous amener à concentrer nos forces dans ce sens. Il ne s'agit pas de faire semblant de vouloir le changement, le fossé est tellement large qu'il n'est pas évident de colmater les brèches. L'épreuve de la construction passe nécessairement par la dotation de ce cadre de lutte d'une direction de lutte : pas de mouvement dynamique sans direction, sans dirigeants et surtout sans adhésion populaire. Ce cadre de lutte constituera une sorte d'autorité morale consensuelle qui aura pour vocation de faire converger les positions, les analyses et les approches des différents acteurs, car toutes les décisions devraient se prendre dans le cadre d'une convergence des points de vue et avoir l'adhésion de l'ensemble des composantes de l'organisation. L'organisation aura à travailler dans le cadre d'une large concertation populaire qui impliquera la mobilisation des forces vives de l'Algérie (à l'intérieur et à l'extérieur du pays) autour des fondamentaux de la citoyenneté, en confrontant les propositions cadrant avec les objectifs de l'organisation. Un cadre de lutte populaire organisé, structuré, autonome, ouvert et rassembleur qui œuvrera pacifiquement par la mobilisation des citoyennes et des citoyens dans la perspective d'engager graduellement des actions de rue. Ce cadre de lutte demeurera mobilisé jusqu'à la réalisation des objectifs de ce projet dans la phase de transition qui ne devrait pas excéder deux années avant de passer le relai aux représentants légitimes du peuple habilités à gérer et à décider de sa destinée : c'est-à-dire ceux qui seront élus au suffrage universel, démocratiquement, dans une transparence totale. Ulach smah ulach Ulach l'vot ulach Le combat continue. B. A. * Ex-porte-parole de la délégation du Mouvement citoyen des aârchs