Bien avant la talonnade de Madjer ou la roulette de Zidane, Aouar Omar, l'ex-N°10 du NAHD, avait exécuté, lors d'un mémorable match contre le grand CRB au début des années 70, un geste technique spectaculaire qui lui avait permis d'éliminer trois défenseurs d'un coup, d'ailleurs cette prouesse porte son nom, mais elle a aussi été rebaptisée «El-Ghoula». Souvenirs mémorables d'une ancienne gloire qui avait le sens du spectacle. Le Soir d'Algérie : Question classique, que devient Omar Aouar ? Omar Aouar : Je vais bientôt fêter mes soixante-quinze ans et je suis un retraité de la police nationale. Vous étiez inspecteur de police ? Non, je travaillais au niveau de l'identité judiciaire comme fonctionnaire. Ensuite, j'ai quitté la police pour travailler comme démarcheur au niveau de la Sonatro. Aujourd'hui, je me repose. Parlons de ce geste technique ahurissant que vous aviez exécuté en match officiel contre le CRB. C'était un match capital contre le grand CRB, au début des années 70. Le stade du 20-Août était archi-comble. A un moment-donné, je me suis retrouvé sur l'aile gauche près de la ligne de touche. J'avais en face de moi trois défenseurs du Chabab, Amar, Hamiti et un autre. Ils s'attendaient à ce que j'essaye de les dribbler. Soudain et instinctivement, j'ai soulevé le ballon au-dessus de leur tête et je suis passé pour le transmettre à Omar Oualiken qui, face à Nassou, la met dehors. Les trois arrières n'avaient rien compris à ce qui leur était arrivé et les spectateurs étaient ravis. Et ce geste portera le nom de «Derbat Aouar» (le truc de Aouar) ou de «El-Ghoula» ? C'était la première fois qu'on exécutait une telle prouesse dans le football dans notre pays, et c'est pour cela qu'il a longtemps porté mon nom. C'était un geste technique unique en Algérie et il le demeure d'ailleurs. Personne d'autre ne l'a tenté après vous ? Non, je ne crois pas. Je ne l'ai jamais vu tenté par un autre, à part Merzekane qui l'a également réussi une fois, toujours au stade du 20-Août à Alger et comme il a fait ses classes au NAHD, il a dû s'inspirer de moi pour l'apprendre. Et vous, qui vous a appris ce grigri ? Personne. En fait, à la fin des années 40, j'avais huit ans, je me suis rendu au stade Bologhine pour assister à une rencontre entre le club brésilien de Bahia et le Ghalia d'Alger. C'est un défenseur central «carioca» qui a exécuté ce geste et je l'ai enregistré dans ma mémoire. Ensuite, j'ai commencé à le faire jusqu'au point de le réussir avec les copains dans la rue et ensuite lors des entraînements jusqu'au jour où j'ai été inspiré face au CRB. Pourriez-vous nous expliquer comment on exécute «El-Ghoula» ? C'est difficile à expliquer théoriquement. Tout est dans la pratique. Il faut prendre le ballon avec le talon droit et le rapprocher du talon gauche. Ensuite, il faut soulever largement la balle jusqu'au niveau du mollet et ensuite on talonne vers le haut de façon à ce que le ballon passe au-dessus de la tête et de celle du défenseur adverse. Malgré tout, «El-Ghoula» n'a pas été suffisante pour manger l'ESS qui vous a battus en finale de la coupe d'Algérie en 1968. Ah ! ne m'en parlez pas. A ce jour, je n'arrive pas à comprendre comment on a pu laisser échapper la victoire. Pourtant, on s'était bien préparés pour ce rendez-vous à Ben-Aknoun où on ne manquait de rien, même s'il y avait moins de moyens qu'aujourd'hui. Ce jour-là, je n'avais pas fait mon geste mais on menait par deux buts à un. A quelques minutes de la fin, un coéquipier marque contre son camp. On était abattus et les Sétifiens en ont profité pour nous assommer pendant les prolongations. J'avais inscrit un but, mais il n'avait servi à rien. Mais plus tard, vous avez écrasé le CRB (5-2) en prenant une belle revanche sur une défaite très lourde (7-1). Oui, à l'aller au 20-Août, le Chabab nous avait écrasés. Au retour à Zioui, dans le couloir des vestiaires, Lalmas m'avait dit : «Alors, vous êtes prêts à recevoir sept autres buts?», je lui ai juste répondu : «Puisque c'est notre jour, on verra bien.» Au bout d'une demi-heure de jeu, le CRB menait par deux buts à un. Mais le défenseur gauche du Chabab tromper son gardien, Abrouk. C'était une égalisation inespérée. En deuxième période, une bagarre éclata entre les supporters mais sur le terrain, on avait repris l'avantage et on passa cinq buts au final aux Belcourtois. Et quelle a été la réaction de Hacène Lalmas ? Je ne me suis pas privé d'aller le voir pour lui dire : «Hacène, si l'arbitre avait rajouté juste un quart d'heure, on vous aurait rendu la monnaie de votre pièce en vous passant sept buts, parce qu'au Nasria, on est des hommes.» Et que vous a-t-il répondu ? Il a été sportif et m'a répondu : «Bravo pour votre victoire "yaâtikoum essaha".» Comment un joueur aussi doué que vous n'a pas eu une carrière internationale ? J'avais été convoqué pour un match à Tunis contre la Tunisie. C'était Abderrahmane Ibrir qui était le sélectionneur national. J'avais fait un bon début de match et puis au bout de vingt minutes, le coach me fait sortir pour me remplacer par un autre sélectionné. Etiez-vous blessé ? Non, pas du tout et je ne comprenais pas cette décision. Enfin, on ne procède pas au remplacement d'un joueur au bout d'un quart d'heure. J'ai mal vécu cette situation, et à mon retour à Alger, j'ai fait savoir à la Fédération que je ne souhaitais plus être convoqué. De toute façon, j'avais compris. Vous aviez compris quoi ? J'avais compris que pour être en équipe nationale, il fallait être parmi un clan. C'est Saïd Amara qui disait à l'époque que pour jouer en sélection, il fallait évoluer dans un club de l'Algérois ? Lui aussi avait compris que la sélection était basée sur le clanisme et non pas sur le talent. Vous avez joué avec Abdelkader ben Bahmane, qui était devenu un bon entraîneur, offrant même la Coupe au Nahd en 1979. Pourquoi n'avez-vous pas été coach comme lui ? Cela ne m'a jamais intéressé de devenir entraîneur. Moi, j'ai préféré me consacrer à mon job au sein de la police. De votre temps, les salaires et les primes étaient vraiment modestes. Comment réagissez-vous quand un joueur gagne 300 millions/mois aujourd'hui ? Moi je dis «bissahthoum». Si, aujourd'hui, il y a beaucoup d'argent dans le football, il est normal que ce soit les joueurs qui en bénéficient. Moi, je ne suis pas du tout choqué par ces gros salaires. Quel était le meilleur joueur algérien de votre époque ? Je pense que c'était Hacène Lalmas incontestablement et d'ailleurs, il est même venu jouer au NAHD quand il était en fin de carrière, avec également Mokhtar Kalem. Et quel est le meilleur joueur actuel au championnat ? Moi j'en vois un qui est largement au-dessus du lot et il s'agit de Ferhat, l'attaquant de l'USMA. Il est justement convoité pour le club professionnel français de Montpellier... Oui, et j'espère qu'il aura la chance d'évoluer dans un club professionnel et qu'il en profitera parce que, de mon temps malheureusement, il nous était interdit d'aller jouer ailleurs. Pour conclure, qu'est-ce qui pourrait encore vous faire vibrer dans le football ? Je vibre déjà à la possible accession du NAHD parmi l'élite et j'espère qu'elle se maintiendra parce que c'est un grand club et une formidable école de football.