Loin des reportages sulfureux représentant la belle oasis qu'a toujours été Biskra, sans mauvaise intention aucune et en flânant à travers ce qui reste de la reine des Zibans, pour laquelle on espérait depuis des années un éventuel recouvrement de son lustre, aujourd'hui, on est en droit de se poser une terrible question. Qui a déchu la Reine ? Une question qui trouvera certainement réponse auprès de ceux qui ont eu à gérer une ville plus grande que leurs capacités réelles, auprès de ceux qui, sans connaissance aucune de ce qu'est une cité par rapport à un village, une bourgade, se sont amusés à prendre des décisions incompatibles avec la mentalité des habitants, leurs coutumes, avec le climat et la nature environnante en ont fait une cité hybride difficilement reconnaissable, une cité semblable à ses sœurs du Nord où le béton, tel un cancer, a rongé le patrimoine phoenicicole avec toutes les conséquences actuelles. Biskra, longuement adulée, destination privilégiée de tous ceux en quête d'évasion, d'exotisme, de lumière et de détente a troqué son statut contre celui d'une cité dortoir où le moindre périmètre constructible est souvent squatté pour en faire des habitations attribuées à des inconnus qui ne tardent pas à les revendre et disparaître dans la nature et léguer aux vrais résidents un héritage difficilement gérable. Ici rares sont les espaces verts. Du béton, encore du béton et rien que du béton. L'architecture ne répond à aucune esthétique, cette dernière étant elle-même le résultat d'un esprit en béton. Au niveau de cités construites souvent à la hâte se sont entassés des gens venus de tous bords et de toutes classes sociales. Il n'est pas étonnant de voir cohabiter un gars des bidonvilles à côté d'un médecin, un avocat ou un cadre administratif. Ces derniers, minoritaires, sont contraints de déménager et trouver refuge ailleurs. Ceci nous amène à dire qu'au sein de ces cités, il ne fait pas bon vivre car l'insécurité s'y est installée de plus belle. Le règne des souks Agressions, vols, bruits assourdissants, langage vulgaire et incommodant auxquels s'ajoutent les camions-citernes qui, semble-t-il, sont au nombre de deux cents, voire plus, vendant une eau douteuse avec le bruit des moteurs qui vous réveillent à n'importe quelle heure avec, à la clé, un klaxon au cas où vous ne les auriez pas remarqués. Les marchés hebdomadaires sont quotidiens ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Eh oui, il y a Souk El Djemaâ, Souk El Tenine, Souk Larbaâ, Souk Lekhmiss, tous les jours de la semaine ont leur souk. Ces souks avec toutes leurs contraintes, leur cohue, leur cacophonie, sont également le lieu de prédilection des pick-pockets, des dealers, des entremetteuses où le label halal est loin d'exister. Une virée à Z'gag Berramdane, La Mecque des chineurs et surtout des chineuses. Ici l'informel est roi, aucune opération n'a eu raison de lui. Mieux encore, il prolifère, s'étend et gagne du terrain de jour en jour. La circulation même à pied y est très difficile. Les riverains n'en peuvent plus. Si un accident venait à avoir lieu, bonjour les dégâts ! Aucun accès pour intervenir et ce ne sont pas les agents de la Protection civile ou ceux du SAMU qui nous contrediront. Un peu plus loin, au quartier dit El Boukhari, après une opération coup-de-poing, cet espace avait pu retrouver son vrai visage, mais un léger relâchement semble rétablir les indus occupants aux mêmes endroits. Dans ce quartier, le moindre espace est loué : trottoirs, fenêtres, murs... La surface occupée devant les petits magasins représente plus du double de celle du magasin proprement dit, le mot «proprement» n'ayant cependant pas sa place ici. On peut en dire autant pour Haret Essoug, El Alia,Vieux Biskra M'cid où le soir venu ce sont des tonnes d'ordures laissées çà et là au grand dam des préposés au nettoyage de la commune qui, malgré leurs efforts, n'arrivent pas à faire face à une ville en perpétuelle croissance et à l'incivisme des habitants qui ne participent que pour rendre la situation plus difficile. Le maquillage de la ville, faute d'une chirurgie esthétique profonde, est élaboré sans goût particulier. Toutes les tendances sont présentes, les luminaires en tous genres et de tous types sont là. Aucune identité. D'une avenue à l'autre, ce sont des couleurs différentes, des modèles différents, preuve de l'existence de plusieurs partenaires, plusieurs maisons, plusieurs fabricants, donc plusieurs marchés. La principale avenue d'El Alia menant vers le nouveau pôle universitaire de Chetma est digne des grandes villes : largeur de l'avenue, espaces verts. Il y a même des espaces couverts de gazon naturel s'il vous plaît. De quoi être fier de l'existence d'un tel ouvrage. Mais ces espaces sont loin d'être protégés, bichonnés, entretenus. Le soir, ce sont des hordes de jeunes et d'autres plus âgés qui viennent s'y installer, gobelets de café ou thé à la main et des dizaines de bouteilles d'eau minérale qui, une fois vides, sont éparpillées en lieu et place pour donner un spectacle désolant. Derrière cette grande avenue, la rue adjacente, appartenant au campus universitaire, est jonchée d'ordures ménagères, un lieu que se partagent chèvres, chiens errants, chats et bien sûr les rats qui trouvent là un véritable festin. Commerce et insalubrité En l'absence de lieux de distraction ou d'un programme culturel permanent, les familles n'ont aucun moyen de distraction à l'exception du zapping, un jeu préféré des grands et des petits, particulièrement des femmes pour lesquelles les verbes sortir ou se divertir ont ici un autre sens à moins de les conjuguer au passé. Pour les hommes, le nouveau front de l'oued Sidi Zerzour est devenu la destination de bon nombre de Biskris particulièrement le soir. Un lieu où des dizaines de bonhommes s'entassent qui, autour d'une table de dominos, cartes ou en des conciliabules interminables dont le principal sujet est bien sûr la Coupe du monde. Et là ce sont de nombreux consultants d'un soir, des mini-entraîneurs qui vous donnent la formation type et ils iront jusqu'à vous donner des pronostics faisant de l'équipe nationale un éventuel lauréat du carré final ! Comme nous sommes à quelques jours du mois sacré du Ramadhan, de nouveaux commerces s'installent. Bien sûr ce sont les zelbendjia d'un moment qui sont là, d'autres vous proposent des kalb-ellouz qu'on appelle ici h'rissa, comme quoi la vraie harissa n'est pas aussi piquante, à moins que ce soit une autre manière de nous faire goûter un sucré-salé. Les marchands de pain en tous genres commencent déjà à vous épater et titiller vos papilles gustatives et votre odorat. Le tout exposé au soleil sans aucune protection au même titre que les œufs, les limonades, les jus en sachet, la doubara à emporter également en sachet. L'abattage clandestin fait rage, des étalages de viandes rouges couvertes de nuées de mouches, de la viande de vache, de mouton, de chèvre sans aucun contrôle.Si vous avez l'audace de faire n'importe quelle remarque, vous êtes considéré comme un gêneur ou un délateur au profit de la Houkouma. Attention quand vous vous déplacez, prudence car tout le monde veut être le premier à rentrer et là c'est la véritable cohue, notamment au niveau de la trémie qu'on appelle ici le tunnel. Interdit aux motocyclistes, ceux-ci braveront tous les dangers et tels des cascadeurs, ils slaloment entre les véhicules quitte à égratigner quelques tôles et prendre la poudre d'escampette. Enfin, au niveau de la nouvelle gare routière, un joyau architectural, située à quelques kilomètres de la ville, parfois il faut débourser l'équivalent du prix d'un ticket entre Biskra et une autre ville pour vous rendre de la ville à la gare routière. Quant aux bus, la plupart d'entre eux, au lieu de vous déposer sur les quais de la gare, vous déposent sur la route et à vous de vous débrouiller. Renseignement pris, certains bus ne veulent pas s'acquitter des frais d'entrée quand d'autres ne veulent pas perdre de temps surtout s'ils sont complets. Le confort et la sécurité du voyageur ne semblent nullement les préoccuper. Dans cette même gare routière, baptisée gare du 5-Juillet, le mât censé porter le drapeau national est tout simplement nu. Ce n'est qu'un tube en acier suspendu qui fait mal à regarder. Et dire que nous voulions faire de Biskra une destination touristique ou un pôle cultuel d'excellence. Beaucoup reste à faire. Le citoyen, ce grand absent, doit s'impliquer davantage à moins qu'il ne fasse de Biskra un dortoir, un moyen de gagner de l'argent avant d'aller le dépenser ailleurs. Biskra, me semble-t-il, est beaucoup trop agressée aux yeux de ceux qui l'aiment. Cette reine ne mérite pas une telle déchéance. Pourtant, pour peu qu'une bonne volonté s'y installe et que le mouvement associatif s'implique réellement, le défi mérite d'être lancé et aussitôt relevé. Sans cela, il ne nous restera plus qu'à invoquer le saint de la cité Sidi Zerzour pour que le mal soit exorcisé.