Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Décidément, ce Premier ministre là, dont la notoriété publique lui avait valu l'indescriptible raillerie des internautes lors de la campagne présidentielle, mérite bien ce fameux torrent de persiflage. Excellent client à l'ironie, il est en passe de devenir la personnalité politique la moins crédible que Bouteflika a eu à promouvoir depuis 1999. Excessif dans la flagornerie lorsqu'il s'agit de flatter le parrain, il n'hésite pas également sur l'usage des superlatifs pour encenser l'action du pouvoir. C'est ainsi d'ailleurs que Constantine l'a retrouvée dans son exercice favori la semaine écoulée. Démagogue doué pour la démesure dans le propos, il a, encore une fois, été capable d'exprimer quelques stupidités qui ont sûrement laissé dubitatifs son auditoire de journalistes. D'inauguration en inauguration, n'a-t-il pas en effet déclaré à la cantonade qu'à part Constantine «aucune ville dans le monde n'a bénéficié d'autant de projets structurants» ! Il faut immédiatement surligner cette affirmation péremptoire qui vaut son pesant de ridicule. Car non seulement une métropole régionale ne se restructure pas uniquement par des opérations de voiries coûteuses dont nul ne sait comment elles sont budgétisées ni pourquoi ces dépenses sont programmées d'une année à l'autre ; mais plutôt par le souci de la puissance publique à s'interroger d'abord sur les raisons ayant été à l'origine du délabrement chronique d'une cité de cette importance. Car la régénérescence d'un site urbain ne se mesure pas seulement en dinars, comme le ferait un scrupuleux épicier. Elle est une affaire complexe qui relèverait bien plus d'une créativité susceptible de redonner une nouvelle impulsion à la tradition que chaque ville incarne. Cela est d'autant plus vrai pour Constantine que lorsqu'on s'amuse à baptiser un ouvrage de première importance, comme ce fut le cas du nouveau pont «transrhumel», l'on devrait d'abord prendre quelques avis sérieux avant de se fendre d'une piètre turquerie. Une fois de trop, Monsieur Sellal est bel et bien l'auteur d'une dénomination tout à fait douteuse. En décrétant que ce 8e joyau de la ville des Ponts porterait le nom de «Salah Bey», l'on devine aisément où commencent et où s'arrêtent les connaissances historiques de nos gouvernants. Car, en fin de compte, leur savoir dans ce domaine ne tenait qu'à une élégie larmoyante chantée dans les chaumières anciennes de Constantine et dédiée à un despote ottoman qu'un putsch de palais condamna à l'exil et à la mort. Autrement dit, parmi les proconsuls de la «Sublime Porte» qui s'y sont succédé à Constantine, d'autres noms méritaient mieux une telle postérité. C'est ainsi que par inculture crasse, la confusion s'imposa dans les esprits au point d'attribuer à un certain «Salah» ce qui devait revenir à son lointain successeur «Ahmed» ! Celui qui fut le dernier contemporain de la colonisation française et qui avait conquis une certaine légitimité algérienne en s'alliant à l'émir Abdelkader par l'envoi de troupes armées jusqu'aux rivages de Sidi-Fredj, n'est-il pas enterré au cimetière de Sidi-Abderrahmane à Alger ? C'est donc à travers cette somme de méprises et de propos incongrus, que l'on qualifiera évidemment de points de «détail», que se caractérise pourtant l'amateurisme du pouvoir actuel. Car, vue du pont «Salah Bey», Constantine porte en elle une autre histoire que celle que l'on s'efforce de raconter aux jobards consentants. Cité d'abord numide, ne devait-elle pas honorer en la circonstance le nom de son père fondateur ? Massinissa, simplement. Mais comme l'arabité va s'inviter dans ses murs l'an prochain, il était de bonne ruse (faute de rectitude historique, cela va de soi) de gommer son fonds berbère quitte à recourir à ces aïeuls supplétifs de l'empire turc. La revoilà donc réconciliée avec son statut de Beylicat. Une imposture pour la créditer en 2015 de «Beit El Arab» afin d'organiser des festivités somptuaires dont les dépenses hors normes ne feront sûrement pas d'elle une future capitale culturelle. C'est que l'on ne cesse de nier une évidence à son sujet jusqu'à s'accrocher à des poncifs en les exhibant comme des talismans. Par amour-propre et surtout par nostalgie, les gens de Constantine persistent effectivement à croire que leur ville demeure une destination «poétique» au point d'égarer le pèlerin des arts qui se présenterait devant ses murs. A sa désolante surprise, celui-ci découvrirait alors un ghetto lui qui espérait pérégriner dans une Andalousie-sur-Rhumel. En vérité, Constantine est depuis longtemps désertifiée alors que la légende a survécu. Et c'est de ce prisme du passé que profite le pouvoir pour lui attribuer un rôle dans la supercherie financière qu'il se prépare à organiser. Prétexte à une budgétisation exceptionnelle des multiples chantiers de rénovation, la ville est paradoxalement devenue la niche de l'affairisme des entrepreneurs de tous poils. Mieux encore, les marchés de réalisation, étant consentis de gré à gré au nom de l'urgence, l'on peut facilement s'imaginer tous les parcours des pots-de-vin qui ont fait l'objet de tractations. Or le Premier ministre s'abstient d'évoquer le sujet alors que la rumeur fait déjà ses choux gras jusqu'à mettre des noms sous chaque ouvrage. Il est vrai que les mœurs morales du pouvoir ne s'émeuvent plus d'un tel état des choses tant il est vrai qu'il a fait de la corruptibilité le moteur de sa pérennité.