La Turquie a été contrainte vendredi d'ouvrir sa frontière pour accueillir quelques milliers de Kurdes de Syrie poussés à l'exode par les violents combats qui opposent les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) aux combattants kurdes dans le nord-est de la Syrie. Le gouvernement turc, qui a déjà accueilli près d'un million et demi de réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, a tenté vainement de bloquer les quelque 5 000 personnes qui se pressaient depuis la veille aux portes de sa localité de Dikmetas, avant de se résoudre à ouvrir ses portes. «Nous avons ouvert notre frontière. Nous allons évidemment porter assistance à ces gens», a annoncé le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu à la presse en marge d'une visite officielle à Bakou (Azerbaïdjan). «Nous allons aider tous les déplacés avec tous nos moyens mais notre objectif principal est de les aider, si possible, dans les limites des frontières syriennes», a-t-il ajouté. Sitôt la décision annoncée, des cohortes de femmes, d'enfants et de personnes âgées chargées de quelques effets personnels ramassés à la hâte ont pu franchir, soulagées, le rideau de barbelés qui séparent les deux pays, sous l'oeil des forces de sécurité turques et des caméras de télévision. «Que Dieu bénisse la Turquie», s'est exclamé une femme en pleurs interrogée par la chaîne de télévision Haber-Türk, «j'ai réussi à sauver mes deux enfants». Le gouverneur de la province de Sanliurfa, Izzetin Küçük, a immédiatement insisté sur le caractère «exceptionnel» de cette mesure. «Nous avons en effet décidé d'accueillir ces Syriens par obligation car ils étaient coincés sur un terrain très limité et menacés par les combats», a-t-il dit. «L'EI s'est approché à 7 ou 8 km de notre frontière, menaçant la vie de quelque 4 000 personnes qui se trouvaient dans le secteur», a lui aussi justifié le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus, qui a évoqué le risque d'un exode de 100 000 personnes si la localité de Aïn al-Arab (Kobané en langue kurde) venait à tomber aux mains des jihadistes. Des bruits d'armes à feu et des explosions d'obus étaient audibles depuis la localité turque de Dikmetas, ont rapporté les médias. M. Kurtulmus a également assuré que la Turquie était prête à se défendre en cas de menace directe de l'EI. «Toutes les mesures ont été prises», a-t-il dit. Les déplacés kurdes ont commencé jeudi à quitter le secteur d'Aïn al-Arab, encerclée par les combattants de l'EI qui se sont emparés de plus d'une vingtaine de villages des alentours, selon une ONG syrienne. Une déplacée a affirmé sur la chaîne Haber-Türk que les jihadistes avaient tué de nombreuses personnes dans les villages qu'ils ont conquis et évoqué des viols. La décision initiale d'Ankara de ne pas accueillir ce nouvel exode syrien a suscité l'ire des populations kurdes de Turquie. Dans la matinée, les forces de sécurité turques ont fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau sur le territoire turc pour disperser une centaine de manifestants qui protestaient contre la fermeture de la frontière. En vertu de sa politique de «porte ouverte», la Turquie accueille aujourd'hui près d'un million et demi de réfugiés syriens qui ont fui les combats qui opposent depuis 2011 les rebelles aux troupes du président Bachar al-Assad. Les capacités d'accueil des camps dressés le long de la frontière ont été dépassées depuis très longtemps et plus d'un million d'entre eux vivent dans les villes du pays, souvent dans la rue, provoquant des incidents de plus en plus fréquents avec la population locale. Membre de l'Otan, la Turquie refuse de participer à toute opération militaire contre l'EI dans le cadre de la coalition mobilisée autour des Etats-Unis, par crainte de mettre en danger la vie de 49 de ses ressortissants retenus en otage par le groupe radical.